Alon Ohel a été libéré après 738 jours de captivité. 738 pendant lesquels il a subi les pires sévices: enchainé la majorité du temps, il a subi une agression sexuelle et était constamment affamé. Pendant tout ce temps, il s'est rattaché à son envie de vivre quoi qu'il arrive afin de retrouver les siens, aidé en cela par un autre otage, Eli Sharabi, qui est devenu son père d'adoption.
Hier (lundi), il a tout raconté dans une interview accordée à la chaine israélienne N12.
''Il n'y a pas d'innocents à Gaza''
Alon commence son récit par ce samedi noir, le 7 octobre 2023, quand il a été enlevé alors qu'il faisait la fête au festival Nova.
"Nous avons fui la fête dès le début des bombardements", se souvient-il. "Nous avons vu les interceptions et nous nous sommes dit : 'On dégage d'ici'. Nous pensions nous arrêter dans un abri et poursuivre notre route dès que les tirs cesseraient. Nous étions dans l'abri et ça ne s'arrêtait pas. Pire encore - nous avons commencé à entendre des Kalachnikov. Où est l'armée ? Tu attends simplement ta mort."
Face à lui se tenait Aner Shapira, qui lançait les grenades hors de l'abri les unes après les autres. "Je lui ai dit 'mon frère, tout ira bien'. Il ne m'a même pas regardé dans les yeux. Il était comme fou. Il nous a tous sauvés. Grenade après grenade jusqu'à ce qu'ils l'abattent lui aussi. Après son assassinat, il y a eu une grenade qu'Hersh (Goldberg) voulait lancer. Il hésitait et je lui ai crié : 'Lance la grenade'. Il n'a pas eu le temps. La grenade a explosé à quelques centimètres de lui et lui a arraché la main."
"J'ai tout vu de mes propres yeux, et je pense que c'est cette grenade qui m'a fait perdre mon œil", se rappelle-t-il. "Ils m'ont jeté comme un sac de pommes de terre dans le pick-up. J'étais en état de choc, je me disais 'quoi, je suis dans un rêve ?'. J'ai vu quelqu'un sauter du pick-up et à la seconde même, ils l'ont déchiqueté. Je me suis dit : 'Peu importe, je choisis la vie'", décrit Alon en évoquant ce moment terrible.
"On démarre", reconstitue-t-il. "En quelques secondes nous étions à Gaza, j'étais sous le choc. Nous avons franchi un portail et hop - Gaza. Tu te dis p***, où est l'armée de l'air, que se passe-t-il. Ils ont simplement traversé une clôture. Tous mes cheveux étaient pleins de béton de l'abri et je saignais sans arrêt. Des douleurs atroces à la tête, à l'épaule et à l'œil. Je ne vois plus."
Ils sont arrivés à un hôpital, face à une foule haineuse qui les attendait. "Les appeler des innocents ?", demande-t-il avec dédain. "Il n'y a pas d'innocents là-bas. Tu pries pour qu'ils réussissent à te faire entrer quelque part. C'est une peur terrible. Je leur crie que je ne vois plus, et ils m'ont déshabillé tout en essayant d'empêcher les gens d'entrer."
Le soir, raconte-t-il, ils sont arrivés dans une maison près de l'hôpital et ont reçu des sédatifs. "Je ne me suis réveillé que le lendemain", se souvient-il. "Je n'arrivais pas à respirer tellement j'avais mal."
Ils les ont recousus de manière atroce - à la tête et à l'épaule, sans anesthésie. Ils leur ont interdit de crier et même de parler. "Les deux premières semaines, nous n'avons pas parlé", se rappelle-t-il. "J'étais assis là avec des gens dont je n'avais aucune idée de qui ils étaient." "Ils t'arrachent à la vie en un instant. Je suis un gamin de 22 ans, qu'est-ce que je connais de la vie ? Ils m'ont arraché de la réalité et m'ont mis en enfer en une seconde."
Eli Sharabi: comme un père
Après 52 jours, ils sont descendus dans les tunnels. Là, ils ont rencontré Eli Sharabi, Almog Sarusi, z'l, Uri Danino, z'l et Hersh Goldberg-Polin, z'l. Soudain, Almog, Uri et Hirsch ont été emmenés. Alon était certain qu'ils allaient être libérés, mais en réalité ils ont été transférés dans un tunnel où ils ont été assassinés par les terroristes. Dans le tunnel, il est resté avec Elya Cohen et avec Eli Sharabi, qui était pour lui, comme un père.
"Dès le premier instant, lui et moi avons créé un lien. Il y avait ce déclic. Une fois, ils nous ont jeté un bol avec un peu de pâtes et c'est tout. J'ai donné un coup de poing dans le mur, je me suis cassé la main et j'ai commencé à pleurer. Et là, il était là pour me serrer dans ses bras. Il était comme un père pour moi là-bas. C'était une étreinte de père. Parce que le manque te tue. C'est tellement dur."
"Il me soutenait et me remontait le moral là-bas", poursuit-il. "Il se traînait lui-même tout en me portant sur son dos." Alon se souvient comment Eli lui a parlé de ses filles Noya et Yahel, assassinées le 7 octobre, et s'est effondré en larmes. Ils se sont promis l'un à l'autre de survivre pour les familles qui les attendaient, sains d'esprit et en bonne santé. "Il était avec moi dans ma tête tout le temps, même quand j'étais seul."
''Enchainé comme un signe, nourri comme un chien''
"Celui qui n'y était pas ne pourra jamais comprendre", souligne-t-il. "Vous n'avez jamais connu la faim dans votre vie, vous n'avez jamais été enchaînés pendant un an et demi. Menotté comme un singe – et nourri comme un chien. Là-bas, tu n'es pas un être humain, tu es une bête."
Alon raconte comment il s'est battu pour rester fort mentalement afin de ne pas devenir fou. "Nous mangions une pita et quatre cuillères de petits pois par jour. Il y a eu une période où nous ne mangions que des dattes séchées. Et tu sais que les terroristes ont de la nourriture. Tu te dis 'au final on s'habitue à la faim', mais non. Ce sont des douleurs dans tout le corps – tout le temps. Tu ressembles à un squelette. Tu te regardes et tu vois un cadavre, et ça leur fait plaisir."
Lors d'une des frappes aériennes, Tsahal a bombardé le tunnel où ils se trouvaient. Le missile a détruit la mosquée et l'école sous lesquelles étaient les tunnels. "Nous sommes sortis et avons couru parmi les ruines. C'était comme dans les films", se souvient-il. "Nous avons entendu des mitrailleuses et avons continué à courir, jusqu'à ce que nous arrivions à un autre puits. Nous sommes arrivés dans un autre tunnel – où il n'y avait rien. Juste trois chaînes." Et alors, au moyen de la troisième chaîne, ils l'ont attaché à Eli Sharabi. "Nous allions aux toilettes ensemble", reconstitue-t-il. "Nous faisions tout ensemble."
"Nous avons compris que quelque chose se passait", se souvient-il. "Le responsable entre et dit : 'Il y a un accord'. Alon, Eli et Elya sortent. Et moi je reste seul." Les terroristes l'ont arraché à Eli, et il a refusé de partir. Ce fut un moment bouleversant pour tous les deux. "Tout ce que je craignais se réalisait", se rappelle-t-il. "J'ai dit à Eli 'Wow, je suis content pour toi', il me dit que tout ira bien. Que ça continuera pour la deuxième partie et que tant qu'ils ne ramèneront pas tout le monde, ils remueront ciel et terre. Et moi je reste là-bas, dans cet enfer."
L'agression sexuelle
Et puis les négociations sur la deuxième partie ont échoué. "C'était un mardi", se souvient-il. "Ils sont descendus en courant au milieu de la nuit et parlaient de 500 martyrs. J'ai compris que quelque chose s'était passé. Je ne savais pas quoi faire de moi-même. C'était encore un cauchemar qui se réalisait." Il est resté seul dans le tunnel. Face à des terroristes dont tout l'objectif était de le maltraiter et de lui faire peur. "Ils jouaient avec les quantités de nourriture et il y avait du harcèlement sexuel."
"C'était quand j'étais seul", raconte-t-il avec courage. "Tu entres pour te doucher et il vient te savonner. Il met du savon sur sa main et commence à te savonner sous la douche. Il te touche." Alon a essayé de le repousser, de lui dire qu'il pouvait se débrouiller seul, mais le terroriste n'a pas cédé : "Il disait que c'était important pour lui que je me douche bien, que je n'aie pas d'éruptions cutanées. Heureusement, ça n'est pas allé plus loin."
La libération
Après la libération d'Eli Sharabi et Elya Cohen, Alon a commencé à recevoir plus de nourriture: le Hamas a compris que les images des otages squelettiques étaient mauvaises pour lui. Alon a même reçu un exemplaire d'Harry Potter en anglais qu'il a eu le temps de lire de nombreuses fois, pendant ces huit mois où il est resté seul.
Puis les terroristes l'ont transféré vers le nord de la Bande de Gaza afin de se servir de lui et des autres otages restants pour empêcher l'offensive israélienne. Là il a rencontré Guy Gilboa Dalal, qu'il connaissait pour avoir servi avec lui dans la marine.
Un jour, Izz al-Din al-Haddad – qui est devenu chef du Hamas, entre et leur annonce en deux mots : "Vous sortez." À partir de là, tout se passe rapidement. "La femme de la Croix-Rouge me prend et dit qu'elle est désolée", raconte-t-il. "Elle était très embarrassée, parce qu'ils n'ont rien fait. Une organisation honteuse. Pas différente de l'ONU, n'est-ce pas ?"
Encore 15 minutes passeront avant qu'il ne se sente vraiment en sécurité. Par la fenêtre du véhicule de la Croix-Rouge, il voit pour la première fois les forces de Tsahal. Alon ne pense pas à lui-même à ce moment-là, ni même à sa famille. "Je commence à regarder dehors et je vois des soldats. Et ce ne sont pas des enfants. Ce sont des hommes adultes, avec des familles et des enfants. Tu vois qui se bat pour toi. Tu vois des gars réservistes et ça te déchire."
Lors des retrouvailles avec sa famille, il ne s'effondre pas. Ce qui compte pour lui, c'est de leur donner la première impression qu'il est revenu sain d'esprit, en bonne santé et entier. Mais ensuite, petit à petit, il s'autorise à faire tomber les barrières. Et en particulier, quand on lui apprend à l'hôpital qu'Eli Sharabi, qui était comme un père pour lui en captivité, a perdu toute sa famille. "Je me suis effondré", se souvient-il en craquant à nouveau. "Je les connais. La famille qu'ils étaient et les enfants qu'elles étaient."
"Pendant deux ans, j'ai été un homme mort", résume-t-il. "J'ai prié pour cette lumière, pour que quelqu'un me sauve. Mais j'ai découvert que je suis fort. Que je peux tout faire. Je ne suis pas une victime, je ne cherche pas l'apitoiement sur moi-même. J'ai traversé ce que j'ai traversé, et je prends ça – pour grandir seulement. Je continue d'apprendre et de me développer. Je vais dévorer ce monde."