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Deux épisodes minuscules d’antisémitisme. Par Richard Prasquier

5 minutes
20 juillet 2022

ParIsraJ

Deux épisodes minuscules d’antisémitisme. Par Richard Prasquier

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Article de Richard Prasquier paru dans Actualité Juive numéro 1651

 

La grande affiche multicolore qui attire l’attention de tous, à l’entrée d’Avignon, s’appelle la Bête 2, lointaine référence à la Bête de l’Apocalypse. Le petit Macron est un pantin dont les fils sont tirés par un marionnettiste au sinistre regard dans lequel chaque aficionado reconnaît Jacques Attali, un Juif qui partage, dans la fachosphère, la
célébrité des Rothschild, de Mark Zuckerberg, de Georges Soros ou du président du Forum économique mondial,
Klaus Schwab - qui n’est pas juif. Pour les complotistes, ils font partie des forces occultes responsables des  malheurs du monde et, en particulier, de la "plan-démie" du Covid. Chacun des passants comprend le message,
les nombreux tweets en témoignent, certains pour s’en féliciter, d’autres pour protester.
Chacun? Non. Arguant de la liberté d’expression et de la pluralité d’interprétations, la maire d’Avignon, Mme Cécile Helle, et le président de l’Agglo, Joël Guin, refusent de masquer la fresque. Il faudra une semaine et une
injonction préfectorale pour qu’ils acceptent d’agir. Bon, me suis-je dit, Avignon, c’est une région où le RN
prolifère, et ces édiles en sont proches. Pas du tout: Mme Helle est une socialdémocrate, M. Guin un divers droite qui s’était dit très contrarié des succès de l’extrême droite. Alors, ai-je pensé, ce sont de jeunes politiciens sans culture historique. Mauvaise pioche de nouveau: Mme Helle, docteure en géographie et enseignante à la faculté était déjà députée il y a vingt-cinq ans...
Donc, devant une caricature calquée sur la propagande nazie, la seule réaction fut l’invocation de la liberté d’expression, ce paravent confortable à toutes les démissions de la démocratie. Antisémitisme, connaît pas...
Le 3 juin, les candidates aux législatives Danièle Obono et Danielle Simonnet se sont fièrement affichées
en compagnie d’un député britannique, symbole de leur combat commun pour la justice sociale et écologique: Jeremy Corbyn.
Celui-ci, ami proclamé du Hezbollah et du Hamas, avait été écarté de la tête du parti travailliste britannique pour cause d’antisémitisme. Danièle Obono, qui se revendique altermondialiste, afro-féministe et antiislamophobe,
a été élue au premier tour, Danielle Simonnet au second.
Dans leur circonscription, l’anti-impérialisme fait bien plus recette que l’antiantisémitisme. Le discours martelé par une figure d’autorité est la forme habituelle d’incitation à la haine... Mais le grapheur antisémite d’Avignon nous
rappelle que l’image aussi est un vecteur efficace, bien adapté à l’ère contemporaine. Celle de la synagogue aux
yeux bandés et celle des juifs recueillant le sang de l’enfant sacrifié s’imprimaient profondément. Le banquier
au nez crochu, féroce ennemi de Tintin, que Hergé a appelé Blumenstein en 1942 et renommé hypocritement
Bolhwinkel après la guerre, est gravé dans ma mémoire depuis que j’ai lu L’Etoile mystérieuse, il y a près de 70
ans.

L’image de Mohammed al-Durah, soi-disant assassiné par les soldats israéliens, a déclenché une haine contre Israël dont la virulence ne faiblit pas vingt ans après. Car la haine contre les juifs aujourd’hui se déplace sur les deux jambes de la judéophobie et de l’israélophobie. La première, façonnée par le christianisme, a abouti à l’orgie exterminatrice pseudo-scientifique, antichrétienne et raciste du nazisme. La seconde jambe est l’israélophobie, terme que je préfère à celui d’antisionisme. Non seulement il y a eu beaucoup de juifs  antisionistes (il y a aussi quelques juifs antisémites), mais je crois sincères beaucoup de ces israélophobes, humanistes autoproclamés, qui prétendent ne pas désirer la destruction d’Israël.
Ce qu’ils veulent est un Israël à la convenance de leurs illusions, désarmé et rapetissé, accueillant des millions d’arrière-petits-enfants de réfugiés palestiniens ivres de paix et de fraternité interconfessionnelle. Au diable
l’âpre réalité quand l’idéal est si beau! Lutter contre l’israélophobie n’est pas donner quitus à Israël de toutes ses actions, c’est vouloir qu’il soit évalué pour celles-ci comme le serait n’importe quel autre État. Rien n’empêche un
antisémite judéophobe de haïr Israël, même si ce n’est pas toujours vrai. Rien n’empêche un israélophobe
de détester les juifs et c’est fréquent. Un judéophobe peut abandonner ses préjugés par l’enseignement de la Shoah, mais un israélophobe ne le fera pas.
Ses bribes de connaissance, il les utilisera pour un transfert de victimisation et une nazification d’Israël.
Il y a les fanatisés pris en main par la prédication djihadiste. Il est aussi naturel de leur être hostile qu’il est difficile d’éliminer leur idéologie criminelle. Mais ils ne sont que l’écume de l’antisémitisme qui grouille dans le monde,  prônant la destruction d’Israël, ressuscitant les complots ou visant, comme les Frères musulmans, à pénétrer
une société perdue comme en voie de décomposition.
L’antisémitisme est un révélateur, le "canari dans la mine" qui en dit plus long sur la société que sur les juifs qui y vivent. Une société dans laquelle on trouve des sourds, des aveugles, des clientélistes, des naïfs, des suiveurs
(fussent-ils insoumis) et beaucoup d’indifférents.
C’est cette société-là qu’il faut convaincre. Les deux minuscules épisodes cités confirment que ce n’est pas facile.

 

Richard Prasquier est président d'honneur du Crif et du Keren Hayessod France

Article paru dans Actualité Juive numéro 1651

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