Archive

Les aventures extraordinaires de Moïse Lévy – Episode 11. Par Eden Levi Campana

9 minutes
28 juillet 2023

ParIsraJ

Les aventures extraordinaires de Moïse Lévy – Episode 11. Par Eden Levi Campana
Crédit dessin: MICHEL POLITZER. Réalisé exclusivement pour LPH INFO

Désolé, votre navigateur ne supporte pas la synthèse vocale.

Résumé épisode 10 :

 

Moïse, passe l’après-midi dans un champ de tournesols avec Noah. L’adolescent est très amoureux de Yaël. Un soir, à l’occasion du « concours Eurovision de la chanson », les habitants du Kibboutz Diamantkring sont tous réunis dans le réfectoire, pour voir gagner la candidate israélienne. Moïse assiste à une habituelle dispute entre ses grand-parents puis à une seconde plus sévère, plus inhabituelle avec ses parents. Son père affirme avoir rencontré Josef Grese, le fils de Josef Mengele et Irma Grese, deux nazis surnommés « Todesengel, L’ange de la mort » et « La hyène d'Auschwitz ». Les enfants sont dans les dortoirs Yaël tire la main de Moïse et l’embrasse. Un coup de feu éclate.

 

L’île des justes

 

 

Moszek Feinstein, grand-père de Moïse et fondateur du « Kibboutz Diamantkring » n’a jamais eu de rêve d’un socialisme à l'israélienne. Plus qu’une réponse à un appel patriotique ou religieux, faire l’Alyah, fonder un kibboutz en Haute-Galilée, avait répondu à un concours de circonstances, à des rencontres mais surtout à un impérieux besoin de protéger sa famille.

 

Fuyant le régime nazi, la Shoah, la haine, la violence, la course des Feinstein et des autres diamantaires juifs d’Anvers les avaient conduit jusqu’à Marseille. C’est là qu’ils furent cachés par la Résistance, dans des caves du quartier du Panier, qui appartenaient à la famille Guérini, des corses proches de la mafia américaine et notamment d’un certain Lucky Luciano.

 

Dans le Marseille de la seconde guerre, Moszek allait permettre à sa famille de survivre grâce à la contrebande de cigarettes. Matelot par la force des choses, gros bras à l’occasion, son trajet habituel le conduisait principalement de la ville phocéenne à Tanger. Il travaillait pour nourrir sa tribu, pour le compte de ceux que l’on appellerait bientôt les parrains de la French Connection.

 

L’époque était riche en personnages truculents, Paul Bonaventure Carbone, autre parrain corse de Marseille était de ceux-là. Dans ce monde interlope chacun avait choisi son camp, Résistance ou Collaboration avec les Allemands. Moszek bien entendu avait opté pour les Guerini et la résistance, mais il n’avait pas choisi la bonne cible en s’en prenant à Carbone, lors d’une soirée un peu arrosée. A l’aube, sans avoir décuvé, sur les conseils de Mémè Guerini, Moszek allait « prendre le frais en Corse avec sa famille ». Il fut d’abord accueilli au village de Calenzana, fief des Guerini, puis s’installa dans un village environnant.

Pierre Bona - CC BY-SA 3.0


Des années plus tard, en voyant le film « Borsalino » de Jacques Deray, Moszek allait définitivement trouver Alain Delon et Jean-Paul Belmondo, plus sympathiques que les vrais Carbone et Spirito, et pour cause.

 

Moszek s’acclimata à merveille à sa nouvelle vie insulaire. L’âge et l’expérience aidant, il n’était plus un luftmensch - comme on dit en yiddish - un jeune homme un peu rêveur. La compagnie des montagnards revêches lui allait bien. La Corse terre d’accueil des Juifs depuis la nuit des temps, la Corse-guerrière premier territoire libéré le 9 septembre 43, la Corse surnommée « l’île des Justes » car elle n’avait livré aucun juif, là était sa nouvelle demeure. Ici, sa famille n’avait pas besoin d’être protégée, elle faisait faire corps avec l’île, elle était l’île, au même titre que les autres familles corses. Une certaine idée de la communauté de destin.

De gauche à droite, Simon Sabiani, Paul Carbone et François Spirito


Moszek était devenu Mó, plus facile à prononcer pour les locaux et il avait rapidement perdu le contact avec le Milieu marseillais. Il était à présent un agriculteur, on disait propriétaire terrien même quand le terrain était minuscule. Le sien ne l’était pas… minuscule. Dans son esprit, il n’était plus question de remettre les pieds un jour sur la Canebière. Pourtant le Milieu n’en avait pas fini avec lui. En 1948, son ami Antò, un lieutenant de Mémè lui rappela à quel point il était redevable aux Guerini. Il fut invité à se rendre à Ajaccio en urgence pour prêter main forte à ce même Antò. Celui-ci avait planifié un rendez-vous à la préfecture d’Ajaccio, pour mettre « un peu de pression » sur le Préfet, un certain Maurice Papon. Le préfet était très réticent à l’idée d’une collaboration avec David Ben Gourion, donc quelqu’un avait dû se dire que ce serait pas mal de prendre un juif pour lui taper sur les doigts.

 

Jules Moch, alors ministre de l’Intérieur, exigeait du très antisémite préfet qu’il ferme les yeux sur le trafic aérien entre Marseille, la Corse et la Palestine. C’est vrai, que les avions étaient un peu chargés d’armes, achetées avec l’argent de « l’Agence juive », ce qui n’était pas tellement du goût du Préfet Papon.

 

C’est là que le Milieu corso-marseillais entra en scène. Les parrains de la French furent conviés, très officieusement, à sonner les cloches au préfet récalcitrant. Ils devaient rappeler à cet humaniste, combien il était favorable à la création d’un État juif, suave.

 

Impressionné par tant d’amabilité et de cordialité, le préfet semblait presque prêt à livrer les armes en personne à la Hagganah, au Palmach, à l'Irgoun et au Lehi. On ne lui en demandait pas tant. La rencontre fut exceptionnelle. Moszek avait apprécié le moment où son ami Antò, avec son inimitable accent rocailleux, proposa à Papon un joli costume en sapin. Fou rire général.

 

En revanche, Moszek avait failli s’étrangler en apprenant que Maurice Papon venait d’être nommé Ministre du Budget en France. Il lui aura fallu attendre jusqu’à avril 1998 pour que finalement le même Papon soit condamné à dix ans de réclusion criminelle, pour complicité de crimes contre l'humanité, dans le cadre de la déportation des Juifs de la région bordelaise vers Auschwitz.

 

Avant l’affaire Papon, Moszek, avait fait la connaissance d’un saint homme, Yaakov Chai Abbo, futur rabbin, pilier de la communauté juive en Corse. Son influence, son intelligence, sa dévotion avaient su convaincre Moszek de revenir, un peu, vers la religion. Il faut dire que Moszek en bon ashkénaze, était en compte avec Hashem depuis qu’une partie de sa famille et six millions et quelques de personnes avaient été oubliées dans des camps d’exterminations.

 

Yaakov Chai Abbo faisait le métier de « Dragulinu », le marchand ambulant. Il retournait souvent au pays. Le berceau de sa famille était Tzfat, la « ville bleue des cabbalistes », la plus haute ville d'Israël. Moszek et Yaakov Chai discutaient pendant des heures de Tzfat. Guerres, pauvreté, famines, épidémies, tremblements de terre, Tzfat est une survivante mais également l’une des quatre villes saintes d’Israël, avec Jérusalem, Hébron et Tibériade. C’est sans doute à ces moments-là, pendant ces discussions, qu’est né le projet du « Kibboutz Diamantkring ». Il fallait bien que le peuple juif soit quelque part chez lui, finalement.

Yaakov Chai Abbo en bleu


- Le parcours de ma famille en Haute-Galilée est extraordinaire, lui avait dit Yaakov Chai. En 1827 le rabbin Shmuel Abbo devint Consul. Son premier acte fut de rassembler les communautés juives de Tzfat et de Tibériade sous la protection du gouvernement français, en les inscrivant comme sujets.

- Quel intérêt ? Avait demandé Moszek.

- En tant que sujets étrangers, des privilèges supplémentaires leur avait accordés et la maison Abbo devint rapidement un refuge pour tous les harcelés et persécutés, quelles que soient leur religion et leur nationalité. De fait, les autorités ottomanes n'ont jamais osé y entrer, en raison de l'immunité diplomatique.

- Bravo !

- En reconnaissance de ses efforts, Shmuel Abbo se vit offrir en 1833 par la communauté de Tzfat, un Sefer Torah. Nous étions à la veille de « Lag Baomer » et le rouleau a été apporté de la maison Abbo à Tzfat à la synagogue Bar Yochai à Méron.

- Je connais « Lag Baomer », dit Moszek.

- Oui, c’est une tradition qui, au fil du temps, est devenue une partie inséparable du folklore religieux de la Galilée. Peu de temps après, le premier rouleau donné par les Juifs de Tzfat a été remplacé par un rouleau décoré en argent et or, offert par le rabbin et consul Yitzhak Mordechaï.

Synagogue Beth Meier à Bastia, fondée en 1934 - Ingresso_della_sinagoga_di_Bastia - CC BY-SA 3.0


Pendant sa tournée de « Dragulinu », Yaakov Chai reliait quotidiennement les villages de Balagna et la grande ville de Bastia. Sa tournée le menait jusqu’à Isula-Rossa où habitait la jeune Aya. Sa famille s’était installée à Isula-Rossa à la demande du Général Pasquale Paoli en 1763, en même temps que 120 autres familles, soit une colonie de 600 juifs. Aya se disait corse mais aussi juive. Elle avait une théorie sur la question :

- Encore aujourd’hui, la proximité entre la culture juive et corse sont proprement hallucinants, disait Aya. Au milieu du 18ème siècle, le général Paoli fit venir en Corse un nombre impressionnant de Juifs d’Italie. Ils étaient persécutés dans toute l’Europe. Certains parlent de cinq à dix-mille Juifs. Ça me semble beaucoup. Étant donné que le chef-lieu, Corte, comptait à peine 1200 âmes. Mais même si c’était la moitié ou le quart. Même si la plupart sont devenus des marranes, voilà qui expliquerait beaucoup de choses sur les mélanges des cultures, favorisés par nos traditions orales.

Aya avait une parenté avec un certain Modigliani, pas le peintre, mais un commerçant à qui le Général Paoli avait dit : « Les Juifs ont les mêmes droits que les Corses puisqu’ils partagent le même sort ». Fermer le ban ! Concluait Aya avec fierté.

 

Tout le monde connaissait Yaakov Chai et Yaakov Chai connaissait tout le monde. C’est lui qui présenta Moszek à Aya. Ce petit bout de femme était un volcan en ébullition. La première rencontre avec Moszek fut nécessairement une première dispute, la seconde et les suivantes aussi. Ils étaient amoureux, éperdument, et cela durerait jusqu’à ce soir fatidique de l’attaque du Kibboutz, le 9 mai 1998.

 

Rendez-vous la semaine prochaine pour le prochain épisode des « AVENTURES EXTRAORDINAIRES DE MOÏSE LEVY».

 

https://moiselevy.fr

https://www.facebook.com/les.aventures.extraordinaires.de.Moise.Levy
Boaron blue