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La mise en scène de la ”sur-mort”. Par Gilles Clavreul

4 minutes
12 octobre 2023

ParIsraJ

La mise en scène de la ”sur-mort”. Par Gilles Clavreul
Photo by Chaim Goldberg/Flash90

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La violence jihadiste a inventé quelque chose qui va au-delà de la mort méthodique et systématique des génocides du XXème siècle, au-delà, également, des raffinements de torture et de cruauté destinés à épouvanter les victimes, les témoins directs et, à travers leurs témoignages, les populations environnantes. Le répertoire de la violence humaine était déjà immense. Que lui fallait-il de plus ?




Il lui fallait cette chose apportée par le jihad contemporain, avec l'aide de l'image numérique et des réseaux permettant sa production décentralisée et son utilisation immédiate : la mort comme fin en soi, d'une part ; et d'autre part le "plus-de-mort", c'est-à-dire une mort précédée ou suivie d'actes d'humiliation, de barbarie, des sévices pour le moment sommaires et improvisées, à la hauteur des brutes sexuellement frustrées et intellectuellement limitées qui les ont commises, mais qui pourraient rapidement gagner en sophistication...le corps mort et supplicié conservant une valeur d'exposition sadique pour les proches, comme en attestent ces vidéos postées aux proches sur les téléphones portables des victimes.




Au XXème siècle, le meurtre de masse était discret et le génocide, honteux : ordres d'élimination cryptés par les massacreurs turcs, secret du plan Nacht und Nebel, dissimulations des opérations génocidaires en Bosnie ou au Rwanda. Al-Qaïda d'abord, Daesh ensuite, ont fait exploser le paradigme : désormais l'horreur ne s'accomplit plus à l'abri des regards, elle est à la fois exhibée et revendiquée. Le Hamas, organisation frériste violente "old school", opérait jusqu'à présent dans un schéma de violence terroriste classique, visant d'abord des objectifs militaires, puis civils, mais toujours de façon opportunément limitée. Ce vieux paradigme n'est plus : désormais, la sidération par l'image abominable entre dans la grammaire politique. Il impose ses conditions, qui ressemblent à celles de Carl Schmitt : vous êtes pour ou contre, mais rien au milieu.




Et contre toute attente (enfin, justement, c'est bien tout le sujet...), cette proposition sidérante, parce qu'elle est folle et radicale et épouvantable, séduit certains (pas les plus nombreux heureusement, nulle part, ni à Gaza, ni dans le monde arabe, ni bien sûr chez nous), mais surtout bloque les réflexes humains élementaires de beaucoup, braves gens épris de justice et pétris de principes, qui n'arrivent pas à condamner ce que la morale humaine la plus commune enjoint de rejeter comme un rat crevé.




Comment le comprendre ? Si on ne s'intéresse qu'aux petits calculs politiques immédiats, on a une réponse facile - ne pas braquer tel électorat, etc. Mais je pense sincèrement que le sujet porte très au-delà. Il y a une efficace dans l'hyperviolence jihadiste. Elle s'appuie sur le pouvoir de fascination de l'image, capitalise sur les frustrations sociales, etc. Mais j'aimerais que l'on s'attarde et que l'on médite plus en profondeur sur le noyau anthropologique qui, à mon avis, est touché à travers cette mise en scène de la "sur-mort" : infliger à autrui des souffrances si atroces que la mort devient une délivrance ; et surtout : mettre en scène, en images, et en images diffusables à l'infini, le spectacle de la souffrance infligée, afin que celle-ci se démultiplie.




Que le noyau anthropologique en question existe depuis toujours, nul doute ; il y a cependant qu'il trouve à la fois aujourd'hui et une technologie, et une idéologie, pour lui donner une puissance jusqu'à présent inégalée. Même par les totalitarismes du XXème siècle.


 

Gilles Clavreul dans un post sur FaceBook

 

Gilles Clavreul a été délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme en France.

 
Boaron blue