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Propos recueillis par Nathalie Sosna-Ofir pour AJ Mag numéro 1013
La docteure Liran Antebi, chercheuse à l'Institut israélien d'études de sécurité nationale (INSS), supervise le programme sur les technologies avancées et la sécurité nationale. Elle répond aux questions que se pose AJ MAG au sujet de la place des drones dans la guerre « Épées de fer ».
AJ MAG : En regardant du côté de l'Ukraine, de la Russie, de l'Iran et d'Israël, on a la nette impression que le drone, ce véhicule aérien sans pilote, est aujourd'hui devenu une composante essentielle du champ de bataille. Est-ce le cas ?
Liran Antebi : Les drones étaient déjà essentiels auparavant, mais ils étaient principalement entre les mains de pays très avancés. Au cours des quinze dernières années, nous avons assisté à une véritable révolution. Ce qui était autrefois réservé à des nations hautement développées est devenu accessible à presque tous les acteurs, y compris les acteurs non étatiques comme les organisations terroristes et les forces proxys, qui les utilisent désormais de manière plus généralisée. Et ces cinq dernières années, nous avons observé une évolution : les organisations terroristes, qui jusqu’alors utilisaient principalement des drones artisanaux ou de petits appareils, emploient désormais des dispositifs plus grands, plus lourds, et chargés de nombreux explosifs, ce qui représente un défi même pour des forces comme Tsahal et l'armée américaine. On peut parler d'une véritable démocratisation des drones.
Peut-on considérer les drones comme une arme low cost ?
Il existe des systèmes de drones à faible coût, dans la fourchette de quelques centaines à quelques milliers de dollars, mais certains systèmes utilisés contre Israël sont beaucoup plus chers. Ce qui est frappant, c'est surtout la capacité et la sophistication dont font preuve des acteurs comme l'Iran et le Hezbollah. Ils utilisent des systèmes relativement simples et peu coûteux pour exploiter les faiblesses des forces occidentales, en adaptant leurs outils en fonction de ces vulnérabilités.
Quelles sont ces vulnérabilités ?
Bien qu'ayant des systèmes de défense aérienne très avancés capables d'intercepter des drones même en dehors de l'atmosphère, des pays comme Israël ou les États-Unis ont des faiblesses dans les couches inférieures. L’Iran ou le Hezbollah se concentrent alors sur des drones lents, volant bas, et fabriqués à partir de matériaux simples. Dans ces cas-là, nos systèmes de défense sont moins adaptés et ont du mal à les détecter. Bien sûr, nous travaillons constamment à les adapter, mais l'ennemi cible clairement nos points faibles.
Comment se fait-il qu'Israël n'ait pas identifié cette menace plus tôt et ne s'y soit pas préparé en conséquence ?
Je ne pense pas que la menace n'ait pas été identifiée, mais plutôt qu'elle n'a pas reçu une réponse adéquate. Les renseignements étaient disponibles et l'information était même entièrement publique ; il était possible de voir, dans les vidéos et les rapports, ce que les Russes utilisaient en Ukraine et de comprendre que ces systèmes étaient iraniens. Il était donc logique de conclure que ces menaces arriveraient également en Israël. Il se peut que la gravité de la menace n'ait pas été correctement évaluée ; et même si elle l'a été, il est possible que des difficultés aient empêché l'investissement dans le développement ou le déploiement opérationnel de solutions, d'où le fait que cela se fait maintenant sous pression, par manque de préparation préalable.
Le Hezbollah apprend-il également des acteurs mondiaux en matière de drones ?
Oui, il profite des leçons tirées par les Russes en Ukraine. Ces conclusions passent par l'Iran qui développe et ajuste des outils en fonction de ce qu'il apprend, et qui transmet ces informations via des conseillers et des experts qui aident le Hezbollah à s'améliorer. Bien sûr, d'autres clients iraniens bénéficient probablement de ce que le Hezbollah apprend ici.
A-t-on une idée de la capacité du Hezbollah en matière de drones ?
Les estimations ouvertes parlent de plusieurs milliers. Mais je ne pense pas que le nombre soit la principale source d'inquiétude. Ce qui est plus préoccupant, c'est la manière dont ces drones sont utilisés. Si le Hezbollah disposait de plusieurs milliers de drones et les utilisait un par un, contrer ces attaques ne serait pas un problème. Mais s'il en utilise même « seulement » quelques centaines en combinaison avec des roquettes et d'autres moyens dans une attaque combinée, cela représente un défi majeur pour Israël. Le système de défense aérienne israélien, bien que très performant, a une capacité limitée à traiter un nombre élevé de menaces simultanées. Évidemment, grâce à diverses technologies, Israël s’emploie à augmenter cette capacité.
La quasi-majorité des drones lancés par l’Iran contre le territoire israélien dans la nuit du 13 au 14 avril ont été interceptés. Faut-il comprendre qu’il y a une différence entre les drones lancés de loin ou de près ?
Oui : la distance modifie la capacité à les détecter. Ensuite, le renseignement peut permettre de détecter des outils tirés de loin avant leur lancement, ce qui rend éventuellement possible une attaque préventive. La capacité à préparer une attaque préventive contre le Liban existe aussi, mais nous voyons que le système de sécurité préfère éviter cela pour ne pas amplifier la menace prématurément si nous pouvons l’éviter. Mais il est vraiment important d'avoir des moyens de détection à travers le monde, en possession de nos alliés, et d’être capables de détecter les menaces venant de loin, comme les missiles de croisière, les missiles balistiques, etc.
On parle de plus en plus de drones « tueurs » autonomes. Va-t-on assister dans un avenir proche à des scénarios de science-fiction : des guerres entre drones kamikazes ?
Nous sommes déjà témoins de progrès significatifs dans ce domaine. Cependant, il est peu probable que nous voyions un champ de bataille entièrement constitué de drones ou de robots dans les cinq à dix prochaines années. Je mène des recherches sur ce sujet depuis quinze ans et nous n'en sommes pas encore là, pour diverses raisons, notamment parce que les combats se déroulent souvent dans des zones urbaines et peuplées. Beaucoup de soldats sont encore déployés sur le terrain.
Une régulation va-t-elle être mise en place pour éviter les outrances ?
L'ONU ne parvient pas encore à réguler les questions liées à l'autonomie et à l'utilisation de l'intelligence artificielle dans ces systèmes. Nous voyons un champ de bataille de plus en plus technologique, mais cela ne conduit pas nécessairement à une plus grande précision ou à moins de dommages pour les civils, en raison des acteurs, notamment des organisations terroristes, qui ne se préoccupent pas de minimiser les dommages, contrairement à Israël qui respecte le droit international et qui fait de grands efforts dans ce domaine, bien qu’il combatte dans des conditions très difficiles qui compliquent la réduction des dommages aux civils, car son ennemi se cache souvent parmi les civils, dans les écoles et les hôpitaux.
Quel est le plus grand défi inhérent aux attaques de drones ?
Le plus grand défi réside dans la combinaison de véhicules aériens sans pilote – UAV –, de grands drones à aile fixe, et de multirotors, des drones plus petits qui sont utilisés par de nombreuses forces, car chaque type de drones nécessite une solution ajustée, et ces solutions doivent être mises en œuvre simultanément.
Ceux qui pensent que ce problème ne les concerne pas se trompent, car ce phénomène est en pleine expansion et devient de plus en plus difficile à contrer. Cette menace pourrait même atteindre des pays qui ne sont pas en guerre mais qui sont confrontés à des menaces terroristes internes. Les démocraties libérales doivent donc se mobiliser collectivement pour lutter contre ce phénomène, car il pourrait frapper à leur porte demain.