Sécurité

"Il reste six mois à vivre au Hamas", affirmait récemment Yasser Abu Shabab, l'opposant tué à Gaza

Yasser Abu Shabab et sa milice étaient considérés comme une possible alternative au Hamas

3 minutes
4 décembre 2025

ParJohanna Afriat

"Il reste six mois à vivre au Hamas", affirmait récemment Yasser Abu Shabab, l'opposant tué à Gaza
Yasser Abu Shahab Photo : Facebook

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Yasser Abu Shabab a été tué à Gaza ce jeudi au cours d'une rixe interne à son clan. Nous publions de nouveau une interview de lui exclusive réalisée par Pierre-Simon Assouline pour AJMag.

Yasser Abu Shabab n’était, jusqu’à récemment, connu que de quelques cercles sécuritaires israéliens, mais il a depuis peu émergé dans les médias israéliens comme une possible alternative au Hamas à Gaza. Ancien chef de clan bédouin originaire du sud de l’enclave, il incarne aujourd’hui une figure aussi controversée qu’inattendue. Accusé par le Hamas d’avoir volé de l’aide humanitaire, parfois décrit comme un opportuniste, il se présente désormais comme le protecteur de Rafah, qu’il tente de transformer en zone sécurisée.

Dans un entretien exclusif, Abu Shabab se dit animé par une rupture claire : « Je suis sorti du silence pour rejeter l’injustice. Le Hamas nous a enfermés dans un tunnel sans lumière. Il fallait dire stop. » Sa réponse a pris la forme d’une milice de jeunes Palestiniens, les « Forces populaires », fondée pour « défendre les droits humains des deux millions d’habitants de Gaza », selon ses mots. Ni vengeance, ni idéologie extrême, insiste-t-il : « Nous n’avons commis aucun crime. Nous ne terrorisons pas les civils. »

À Rafah, ses hommes — d’anciens policiers, des civils volontaires — assurent des patrouilles, protègent les écoles, supervisent la distribution alimentaire. « Quand l’aide arrive, on sécurise les convois, on répartit les colis dans les tentes. Pas de vol, pas de détournement. C’est notre priorité : garantir un cadre de vie digne, même sous les bombes. » Abu Shabab affirme même étendre son influence dans les zones limitrophes, tout en informant la population via Facebook, « le seul vrai canal qui reste ici », pour rassurer, documenter, et contrer « la propagande du Hamas qui veut nous faire passer pour des gangs manipulés par Israël ou les États-Unis. »

Le Wall Street Journal rapporte que ses forces contrôlent aujourd’hui plusieurs quartiers de Rafah et qu’elles auraient reçu des armes israéliennes saisies au Hamas. Benyamin Netanyahou lui-même a avoué à demi-mots leur fournir des armes récupérées dans des caches du Hamas. Une aide qui fait polémique. Avigdor Liberman, opposant et ancien allié déçu du Premier ministre, a accusé ce dernier d’avoir « acoquiné Tsahal à des bandes de voyous ».

Mais Abu Shabab réfute tout mercenariat : « S’il faut discuter avec Israël, l’Égypte ou les États-Unis, pour garantir la liberté des Palestiniens, je suis prêt. » Il insiste : « Nous ne portons pas d’armes contre notre peuple. Nous ne commencerons jamais les hostilités. »

Face à cette émergence, la réaction du Hamas a été brutale. « Ils ont tué mon frère, mutilé un autre. Vingt-deux de nos compagnons sont morts — une femme, un enfant, un handicapé. » Il évoque aussi une unité de répression baptisée « Saham », formée de mercenaires qui traquent les civils affamés. « Leurs soi-disant crimes ? Chercher à manger. Leur punition ? Torture, diffamation, parfois exécution. »

La fracture est profonde. « Le 7 octobre a été décidé sans consultation. Puis les dirigeants du Hamas ont disparu, pendant que nous étions sous les bombes. » Abu Shabab parle d’une organisation « morcelée, souterraine, désespérée » : « Il reste six mois au Hamas. » , a-t-il affirmé.

Alors que des rumeurs persistent sur ses ambitions personnelles, il se veut pragmatique : « Je veux construire. Rafah est un début. On refuse la peur comme mode de gouvernement. Ce que nous faisons, c’est préparer l’après. » Reste à savoir si cette voix dissidente, locale, ancrée, tiendra dans le tumulte et aura les épaules nécessaires pour porter un projet politique viable et acceptable par Israël.

Article publié dans AJMag du 4 septembre 2025 (numéro 1024)