La société israélienne est proche du point de rupture
Lorsqu’il y a des clivages dans une société, il est bon de trouver des points de convergence, des terrains d’entente, des passerelles qui permettront de renouer un semblant d’unité, au moins partiel, afin de raccommoder un tissu social qui se déchire. Dans de telles circonstances, la division est entretenue par des esprits clivants, bruyants et marginaux, et la majorité silencieuse doit se faire entendre pour un retour à une unité passagèrement troublée. Mais lorsque la société toute entière est un seul clivage, absolu, total, entre deux camps, et comme dirait Brassens : « Quand mon âme et mon corps, ne seront plus d’accord, que sur un seul point : la rupture », dans de telles circonstances, les apôtres de l’unité ne font qu’entretenir la division. En l’occurrence, la division au sein de la société juive d’Israël est bien celle de l’âme, le sionisme religieux, le Messie fils de David, et du corps, le sionisme laïc, le Messie fils de Joseph.
Aujourd’hui, les Juifs sont d’un côté et les Sionistes de l’autre
En refusant d’assumer la réalité, terrorisés par l’idée d’une scission, les apôtres de l’unité deviennent les idiots utiles du camp le plus sournois, assez malin pour les convaincre que la société n’a pas atteint le point de rupture, et qu’il existe encore des points de convergence. On leur fait croire que c’est la mauvaise volonté des « autres » qui fait obstacle à l’unité. Et les voilà rejoignant le camp des « uns », brouillant les pistes, propageant les malentendus, encourageant la confusion et entretenant, malgré eux, la division. Il faut être capable d’ouvrir les yeux sur la réalité qui n’est pas pire que son déni, et qui permettra, surtout, de briser le cercle vicieux de la division. Il faut assumer la scission, sans la nier, sournoisement, sans la réduire, naïvement, sans l’attiser, dangereusement. Il ne faut pas avoir honte de refuser la voie qui ne nous convient pas et d’affirmer la sienne. Pour être plus précis, la société juive d’Israël est arrivée au point de rupture entre les « uns » qui se disent Sionistes et Post-Sionistes, et qui, au nom d’un soi-disant Etat Juif prônent un Etat universel d’origine juive qui devrait, selon eux, devenir un Etat universel d’origine judéo-arabe, et les « autres » qui se disent simplement Juifs, traditionnels, fidèles à l’Alliance, et qui sont venus réaliser le Retour à Sion annoncé par les prophètes, dans ce qu’ils croyaient être un Etat des Juifs avec l’espoir d’en faire un Etat Juif.
Depuis 1948, nous ne vivons pas dans un Etat Juif
Pendant 75 ans, nous avons vécu le malentendu d’un Etat Juif. Derrière ce malentendu, il y avait l’espoir que cet Etat d’origine juive, ce « berceau du peuple juif » (selon la définition de la Déclaration d’Indépendance) devienne un Etat des Juifs, passage obligé vers un Etat Juif. Avec le temps, avec l’Alyah, avec la natalité, avec la transmission, avec le peuplement de la terre, les Juifs, plus fidèles à l’Alliance d’Israël qu’au sionisme, se sont renforcés, sont devenus plus nombreux, ont construit des maisons, des villages, des villes, des familles, des électeurs, pour, finalement, en 2023, voter, enfin, pour le premier gouvernement d’Israël entièrement favorable à un Etat des Juifs, un « Etat Nation du Peuple Juif » (selon la loi sur la Nationalité de 1998). La majorité a voté pour un gouvernement légitime, démocratiquement élu, respectueux des lois, porté par un idéal commun, avec des dirigeants responsables et des citoyens désireux de réaliser le rêve trimillénaire d’un véritable Etat Juif. Cette élection a déclenché une révolte civile sans précédent, un appel à la désobéissance, à l’agitation, à la désertion, au boycott, à la guerre civile contre les « fascistes », les « racistes », les « suprémacistes », les « colons », les « messianiques », les « millénaristes », les « homophobes », les « misogynes » et contre une supposée dictature aussi fantasmatique que la bonne conscience des supposés défenseurs de la démocratie.
Depuis 1948, nous vivons dans un Etat d’origine juive
La Déclaration d’Indépendance de 1948 avait défini ainsi le nouvel Etat : « Israël est le lieu où naquit le peuple juif », autrement dit un Etat d’origine juive, ou un « Etat de l’origine du peuple juif. Qu’importe que cette définition soit historiquement fausse puisque la famille d’Israël-Jacob vient de Babylonie, et que le peuple d’Israël se soit formé en Egypte. C’est sur cette définition que les sionistes ont proclamé « la fondation de l’Etat Juif dans le pays d’Israel qui portera le nom d’Etat d’Israël ». Dans la seconde partie de cette Déclaration, qui n’a jamais eu force de loi, mais que certains voudraient transformer en constitution, la paix est proposée aux Etats arabes voisins et la citoyenneté est offerte aux Arabes résidant sur la terre d’Israël. Ce choix n’avait rien d’obligatoire ; la tradition et la loi juive envisagent depuis des siècles la présence d’étrangers et de résidents ayant un statut officiel et reconnus par la loi, sans les intégrer au peuple et aux citoyens. Mais les sionistes ont préféré opter pour un Etat d’origine juive pour Juifs et non-Juifs, que le post-sionisme a fait évoluer en Etat d’origine judéo-arabe pour juifs et non-Juifs.
Depuis 1917, les Juifs ont payé le prix du sang
Après le massacre et la prise d’otage du 7 Octobre 2023, après dix-huit ans d’agressions depuis le retrait unilatéral de Gaza, après trente ans d’attentats sanglants depuis les accords d’Oslo, après 55 ans de terrorisme permanent depuis la Guerre des Six Jours, après 75 ans de guerres ouvertes ou larvées depuis la création de l’Etat, après plus de 100 ans de meurtres et de pogroms depuis la Déclaration Balfour, une partie du peuple veut encore poursuivre dans cette voie à travers un « Etat d’origine juive » ou son prolongement dans un « Etat d’origine judéo-arabe » au nom de « la dignité et de la liberté de l’Humain » et au nom de la « révolution institutionnelle » d’Aaron Barak ». L’autre partie du peuple, majoritaire, par la voie des urnes, veut un « Etat Juif » qui doit passer par un « Etat des Juifs » où tous les citoyens sont Juifs et tous les juifs peuvent en être citoyens. Les non-Juifs seraient alors résidents ou travailleurs étrangers. C’est un choix légitime qui ne supporte pas l’anathème. C’est un choix pour la survie du peuple juif, pour la sécurité de ses enfants et pour le respect de millions de vies juives sacrifiées au nom de cet idéal pendant les deux mille ans de notre Exil.
Un jour viendra où le dernier point de rupture sera le premier point de convergence
La société juive d’Israël est divisée, chacun possède sa couleur, chacun dévoile son vrai visage, chacun défend sa vérité. Mais, il s’agit de choix existentiels, personnels, légitimes et respectables. Ceux qui s’érigent en « apôtres de l’unité » portent un jugement négatif sur une partie du peuple d’Israël. Le peuple d’Israël, malgré la division profonde et radicale qui l’anime, n’est pas en guerre civile, ni en guerre fratricide. Crier au loup ne fait que l’attirer. Ouvrir la bouche au Satan ne fait que le renforcer. Prophétiser le malheur ne fait que l’inviter. Les Juifs ne sont nullement en train de se battre, les uns contre les autres. Si chacun lutte pour faire triompher sa vérité, c’est avec la conviction profonde que cette vérité est la meilleure pour l’épanouissement, la réalisation, l’accomplissement, la survie, la santé et le bonheur, non seulement de son camp, mais de tout le peuple juif et de toutes les collectivités de créatures humaines à travers Israël. Ce n’est pas un anti-douleur qui apportera la guérison. La société juive d’Israël s’affronte depuis soixante-quinze ans sur un choix Cornélien : la poursuite d’un « Etat d’origine juive » au risque de déboucher sur un « Etat Arabe », ou la refondation d’un « Etat des Juifs, au risque de devenir un « Etat Juif ». Il n’y a pas de clivages dans la société juive d’Israël, il y a une scission, et nous devons l’assumer si nous voulons, au plus profond du point de rupture, découvrir le plus profond du point de convergence.