La commission ministérielle chargée de la législation a approuvé dimanche un projet de loi porté par le ministre des Communications Shlomo Karhi du Likoud qui vise à réformer en profondeur la régulation du paysage médiatique israélien. Le texte, critiqué pour ses risques d’ingérence politique, est désormais transmis à la Knesset pour entamer son processus législatif, qui devrait durer plusieurs mois.
La réforme ambitionne officiellement d’adapter la régulation aux réalités du marché actuel, de faire baisser les prix pour les consommateurs, de diversifier les contenus, d’encourager la concurrence et de multiplier les retransmissions sportives gratuites. Le cœur du projet prévoit la dissolution des deux principales autorités de régulation actuelles – le Conseil du câble et du satellite, et l’Autorité de la télévision et de la radio – au profit d’un organisme unique chargé de superviser l’ensemble des médias audiovisuels publics, y compris la télévision, la radio, les plateformes de streaming, etc. Une recommandation déjà formulée dans plusieurs rapports parlementaires ces dix dernières années.

Mais les aspects les plus controversés concernent les informations télévisées. Le texte prévoit l’abrogation de deux garanties essentielles censées préserver l’indépendance des rédactions vis-à-vis des pressions politiques et commerciales : d’une part, l’obligation pour les journaux télévisés d’être juridiquement distincts des chaînes qui les diffusent, et d’autre part, l’interdiction des participations croisées, c’est-à-dire la détention simultanée de plusieurs types de médias -chaîne TV, journal, radio afin de limiter la concentration du pouvoir médiatique entre les mains d’un petit nombre de protagonistes.
Shlomo Karhi estime que ces obligations entravent inutilement le marché et découragent les investisseurs. Ses détracteurs, eux, craignent qu’en supprimant ces garde-fous, la réforme ne favorise au contraire une mainmise accrue sur l’information, tant par les intérêts économiques que par les sphères politiques.
Dans un avis détaillé, le procureur général adjoint pour les affaires économiques, Meir Levin, a mis en garde contre un affaiblissement de la presse libre en Israël. L’avis, validé par la procureure générale Gali Baharav-Miara, souligne que malgré des centaines d’heures de travail juridique, le texte ne contient pas les garanties suffisantes pour préserver l’indépendance des médias ni leur capacité à critiquer le gouvernement. Il pointe notamment une clause permettant à l’organe de régulation de s’immiscer dans les systèmes de mesure d’audience, pourtant aujourd’hui indépendants et utilisés pour fixer les prix publicitaires. Un levier qui, selon lui, pourrait être manipulé à des fins politiques.
« Il existe un risque sérieux de porter atteinte à la liberté de la presse », conclut Levin. Un avis balayé par Shlomo Karhi, qui a répliqué dans une lettre en accusant la procureure d’être une « actrice politique » et de « défendre les monopoles » au lieu de la démocratie, se présentant lui-même comme un défenseur des intérêts du public contre « les élites ».
Le ministre a confirmé qu’il souhaite faire voter le projet en première lecture avant la fin de la session d’été de la Knesset, fin juillet, quitte à court-circuiter les procédures professionnelles en cours.
L’Ordre des avocats d’Israël (IBA) a lui aussi exprimé son inquiétude dans une lettre publiée dimanche, rappelant que la liberté de la presse est un pilier de la démocratie, ancrée dans la Loi fondamentale sur la dignité humaine et la liberté. L’association évoque un danger pour tous les citoyens, quelle que soit leur orientation politique, et énumère quatre risques majeurs : la politisation des médias, la réduction du pluralisme journalistique, la suppression des critiques et l’appauvrissement de l’information accessible au public. Elle recommande de suspendre le projet, d’adopter une loi fondamentale consacrant la liberté de la presse, et de créer une commission publique pour évaluer l’état des médias publics en Israël.
Le Mouvement pour un gouvernement de qualité en Israël (MQG) a pour sa part comparé le projet à un « copier-coller du modèle hongrois », accusant le gouvernement de vouloir placer les médias sous contrôle politique en supprimant l’autonomie des rédactions et en menaçant les organes critiques de lourdes amendes. « C’est une nouvelle attaque contre les contre-pouvoirs », a déclaré l’avocat Ori Hess, chef de la division économique du MQG. « Après la tentative de modifier la commission de nomination des juges et la mise à l’écart du chef du Shin Bet, on s’attaque maintenant aux médias. Nous utiliserons tous les moyens pour empêcher que les médias israéliens ne deviennent une chambre d’écho du pouvoir. »