"Nous lançons un appel au peuple juif"
Le 14 mai 1948, c’était un Vendredi, quelques heures avant Shabbat, au Musée de Tel Aviv, trente sept membres du mouvement sioniste envoient un message au peuple juif : "Nous lançons un appel au peuple juif de par le monde à se rallier à nous" (Déclaration d’indépendance). Depuis près de deux mille ans, le peuple juif exilé aux quatre coins de la terre, dans plus de cent nations, a rêvé de revenir sur sa terre pour y recréer une souveraineté. Plus qu’un rêve, un vœu, répété chaque année lors de la fête de Pessach : "L’an prochain, dans la Jérusalem reconstruite". Plus qu’un vœu, une promesse, chaque fois qu’un nouveau couple juif se forme sous la Choupa traditionnelle : "Si je t’oublie Jérusalem, que ma main droite se dessèche, que ma langue s’attache à mon palais". Plus qu’une promesse, un droit juridique du "Retour à Sion" rappelé toutes les trois heures pendant deux mille ans. Et ce 14 mai 1948, après deux mille ans d’exil, voilà que trente sept membres du mouvement sioniste envoient au peuple juif cette "Déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël" qu’ils qualifient, eux-mêmes de "Rédemption d’Israël", une "Délivrance" attendue, de génération en génération, un rêve, un vœu, une promesse et un droit au "Retour à Sion". Pourtant, ce 14 Mai 1948, le mouvement sioniste a trahi le peuple juif : dans cette "Déclaration d’indépendance", malgré les apparences, il n’y a pas d’Etat pour les Juifs.
"La fondation de l’Etat d’Israël"
"Nous (…) proclamons, la fondation de l’Etat Juif (Medina Yehudit) dans le pays d’Israël, qui portera le nom d’Etat d’Israël" (Déclaration d’indépendance). Ce 14 mai 1948, c’est bien un Etat qui porte le nom d’Israël qui a été créé, mais y a-t-il vraiment eu la fondation d’un "Etat Juif" ? Depuis le début du mouvement sioniste et bien après la création de l’Etat, la question s’est posée : parlons-nous d’un "Etat juif" ou d’un "Etat des Juifs" ? Un "Etat juif" est un Etat qualifié de juif (adjectif qualificatif), c’est-à-dire que la nature de cet Etat est particulière. La religion officielle, les valeurs, les attributs, le projet de cet Etat sont qualifiés de juifs car ils sont fidèles à la tradition juive d’une Nation de prêtres, Nation sainte, lumière parmi les Nations, peuple élu sur une terre promise, fidèlement à l’Alliance entre le peuple d’Israël et le D.ieu d’Israël. Un "Etat juif" définit donc la nature de cet Etat. Par contre, un "Etat des Juifs" n’indique rien sur la nature de l’Etat, mais il définit les membres de cet Etat, les citoyens qui le forment, à savoir : les Juifs (nom commun). En d’autres termes, un "Etat des Juifs" est un Etat dont tous les citoyens sont Juifs, et dans lequel tout Juif peut devenir citoyen de plein droit. Les résidents non-Juifs de cet Etat, ne sont pas dépourvus de statut ni de droits, comme dans les anciens royaumes de Judée et d’Israël, ils sont étrangers, résidents temporaires ou résidents permanents. Mais ils ne sont pas citoyens et ne font pas parti du peuple de cet Etat Nation. Etrangement, aucune des deux options ne correspond à cet "Etat d’Israël" qui vient d’être créé, et qui bien qu’affirmant à quatre reprises qu’il est un "Etat juif" (Medina Yehudit), n’est ni un "Etat juif", ni même un "Etat des Juifs".
"La vision d’un Etat des Juifs qu’avait eue Théodore Herzl"
"En 1897, inspiré par la vision de l’Etat juif (Hamedina Hayehudit) qu’avait eue Théodore Herzl, le premier congrès sioniste proclama le droit du peuple juif à la renaissance nationale dans son propre pays" (Déclaration d’indépendance). En situant la source du sionisme dans la vision de Théodore Herzl de 1896, un an avant le premier congrès sioniste, les signataires de la Déclaration d’indépendance font allusion à l’ouvrage de Herzl intitulé "Judenstaat", c’est-à-dire : "L’Etat des Juifs" ("Juden" étant le pluriel du nom commun "Jude"). S’il s’était agi, comme le suggère l’orthographe adoptée dans la Déclaration d’indépendance de "L’Etat juif", le titre aurait été "Jüdischer Staat" ("Jüdischer " étant l’adjectif "juif"). De toute évidence, ce qui a poussé les sionistes à écrire "Etat juif" tout en sachant qu’il ne s’agit pas de ce que le peuple juif entend par "Etat juif", c’est que la mention d’un "Etat des Juifs", plus conforme au livre de Herzl, les obligeait à réserver la citoyenneté de l’Etat d’Israël aux Juifs. Bien entendu, aucun "Etat de non-Juifs" ne peut créer un véritable "Etat juif". Les Soviétiques ont bien créé une "république juive" au Birobidjan, près de la Sibérie. On y parle le yiddish, les symboles sont juifs mais les habitants ne le sont pas, et il ne s’agira jamais d’un "Etat juif". D’une certaine façon, les sionistes ont agi de même, l’Etat d’Israël qu’ils ont créé ne peut pas, réellement, être un "Etat juif" puisqu’il n’est même pas un "Etat des Juifs".
"Le rétablissement d’une souveraineté du peuple juif dans le pays d’Israël"
La Déclaration d’indépendance parle ensuite du "rétablissement de l’Etat juif (Hamedina Hayehudit) dans le pays d’Israël". Lorsque les sionistes parlent du "rétablissement de l’Etat juif", ils font allusion aux deux royaumes de Judée et d’Israël qui étaient le foyer du peuple juif pendant 1500 ans, jusqu’à l’exil des Judéens au premier siècle de l’ère chrétienne. Au-delà de l’anachronisme du mot "Etat" pour parler des deux royaumes des Hébreux dans l’Antiquité, il s’agit bien de parler de deux souverainetés du peuple juif, et non pas de décrire la nature de ces souverainetés. C’est encore à la composition juive de la population de ces "Etats" Antiques que cela fait référence et non pas à la nature juive de ces "Etats", d’autant que la nature de ces "Etats" était souvent plus proche de l’idolâtrie que de l’Alliance d’Israël. Si l’on parle de "rétablissement" d’une souveraineté, il ne peut donc s’agir que d’une "souveraineté du peuple juif" et nom pas d’une "souveraineté juive" qui n’a jamais existé dans le passé et qui reste un objectif à atteindre pour le peuple juif.
"Une résolution prévoyant la création d’un Etat pour les habitants juifs"
"Le 29 Novembre 1947, l’Assemblée Générale des Nations Unies adopta une résolution prévoyant la création d’un Etat juif (Medina Yehudit) indépendant dans le pays d’Israël et invita les habitants du pays à prendre les mesures nécessaires pour appliquer ce plan (Déclaration d’indépendance). La résolution 181 de l’Assemblée Générale des Nations Unies votée le 29 Novembre 1947 prévoit un plan de partage de la Palestine qui donnera naissance à un "Etat juif" et un "Etat arabe". Lorsque les membres de l’ONU rédigent cette résolution, il n’est pas question de présenter un projet sur la nature respective de ces deux Etats. Il s’agit simplement de partager le territoire et de répartir la population selon la nature des habitants : un "Etat pour les habitants juifs" et un "Etat pour les habitants arabes". On s’aperçoit ici qu’à aucun moment, dans l’esprit des Nations qui ont voté le plan de partage de la Palestine, ils n’envisageaient de créer un "Etat pour les habitants Juifs et non-Juifs", aux cotés d’un "Etat pour les habitants Arabes et non-Arabes". Bien au contraire, le partage du territoire et des populations était la raison d’être de cette résolution.
"Nous invitons les habitants arabes du pays à préserver la paix"
"Aux prises avec une brutale agression, nous invitons cependant les habitants arabes du pays à préserver la paix (…) sur la base d’une citoyenneté égale et complète (Déclaration d’indépendance). Aucune personne saine de corps et d’esprit ne peut comprendre pourquoi, malgré le projet de Herzl qui parle d’un "Etat des Juifs", malgré deux mille ans de tradition qui appellent au rétablissement d’une "Souveraineté du peuple juif", malgré le souhait des Nations qui proposent un "Etat pour les habitants Juifs", et malgré le refus des Arabes qui n’ont jamais demandé une "citoyenneté égale et complète" dans un "Etat juif", les sionistes décident de créer cette chimère d’un "Etat juif pour Juifs et non-Juifs". Pour comprendre le délire des sionistes de la première heure, il faut comprendre la fantasmagorie qui les habitait en 1948, et qui continue de les habiter aujourd’hui. Dans la Déclaration d’indépendance, en pleine guerre avec les Arabes, ils parlent de "préserver la paix". Comment peut-on parler de "préserver la paix" lorsqu’on est "aux prises avec une brutale agression". C’est aussi absurde que d’affirmer de façon péremptoire : "On ne fait la paix qu’avec ses ennemis". Quelle absurdité : on fait la guerre avec ses ennemis, et lorsque les ennemis demandent grâce, lorsqu’ils expriment leur volonté de ne plus être ennemis, on entame des discussions pour tenter d’établir un cessé le feu, un armistice, un pacte de non-agression, des accords bilatéraux et, peut-être, dans un lointain avenir, une paix. Le mirage d’une paix illusoire peut se comprendre après des siècles et des années de turpitudes, mais il n’explique pas la trahison des sionistes envers le peuple juif, ce 14 mai 1948. Le peuple juif qui a attendu deux mille ans pour vivre dans un véritable "Etat des juifs" se voit privé de cet Etat le jour même de la création de l’Etat d’Israël.
"Le rêve de la rédemption d’Israël"
Revenons sur l’appel solennel que les sionistes ont adressé au peuple juif, en ce 14 Mai 1948, quelques heures avant Shabbat. "Nous lançons un appel au peuple juif de par le monde à se rallier à nous dans la tâche d’immigration et de mise en valeur, et à nous assister dans le grand combat que nous livrons pour réaliser le rêve poursuivi de génération en génération : la rédemption d’Israël (Gehulat Israël)" (Déclaration d’indépendance). En Mai 1948, il y avait environ six cent mille Juifs sur la terre d’Israël, sionistes de la première heure. Pendant 77 ans, les masses juives ont entendu l’appel et se sont rendues, par vagues d’Alyah successives, dans cet Etat d’Israël qui compte à présent plus de sept millions de Juifs. Fidèles au "rêve poursuivi de génération en génération" ils sont venus réaliser le projet qui est la raison d’être de leur existence : "la Rédemption d’Israël". Ce sont des "sionistes messianiques" comme l’étaient leurs parents et leurs aïeux pendant deux mille ans, soucieux de fidélité et de transmission, attachés à la continuité historique d’un projet prophétique qui semblait pouvoir se réaliser. Or, les sionistes de la première heure, en contradiction absolue avec leur discours, ont effectué la plus grande rupture de toute l’Histoire juive. Non seulement ils ont trahi les Juifs naïfs qui sont venus, "comme des rêveurs", participer à la "Rédemption d’Israël" et à l’accomplissement du projet messianique, malgré les guerres, les attentats et les difficultés d’intégration, mais ils ont trahi les générations précédentes qui ont subi les pogroms, les inquisitions, les croisades, les razzias, les expulsions et la Shoah, sans jamais rompre la continuité Historique, avec l’espoir que leur descendance connaitrait l’immense bonheur de vivre, un jour, dans un "Etat des Juifs". Le jour de la naissance de "l’Etat d’Israël", le 14 mai 1948, les sionistes n’ont créé ni un "Etat des Juifs", ni un "Etat pour le peuple juif", ni un "Etat pour les habitants Juifs", ils ont créé un corps infécond incapable d’accomplir la "Rédemption d’Israël" et qu’ils ont cyniquement appelé un "Etat juif".
Dr Isaac Attia
Historien, Sémiologue