Culture

Les aventures extraordinaires de Moïse Levy - Episode 4 - La lumière obscure surgie des cendres d’Auschwitz-Birkenau

Par Eden Levi Campana - Recruté par le Mossad, Moïse Levy n’est jamais retourné sur le terrain depuis 26 mois. Il a repris le cours tranquille de sa vie au kibboutz, une existence rythmée par les lois de la terre et celle des saisons, loin du tumulte du monde.

9 minutes
6 juin 2025

ParGuitel Benishay

Les aventures extraordinaires de Moïse Levy - Episode 4 - La lumière obscure surgie des cendres d’Auschwitz-Birkenau

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Quartier Darrous, Téhéran, Iran

Dans l'opulence d'un palais dont les dorures rivalisent avec les vestiges des empires d'antan, Shahram Vaziri règne en souverain, sur une armée de domestiques zélés. Les lustres de cristal, les tapis persans d'une finesse inouïe et les colonnes sculptées dégagent une aura de puissance et d’élégance. Autour de lui s'affairent en silence des femmes aux voiles aussi légers que la brise du désert, qui laissent peu de place aux doutes quant à leur beauté. De jeunes éphèbes s’activent non loin. Assis face à lui, Bahram Al-Nassiri contemple cette opulence avec un mélange de curiosité et de suspicion. Jamais il n’a vu un tel faste. 

Vaziri, vêtu d'une tenue traditionnelle, parle un persan précieux. Son propos est raffiné, et les tournures soignées, trop selon Al-Nassiri.

« Eminent commandant, dans l'histoire de notre terre. Des noms brillent tels des flambeaux. Si mon réseau ne se trompe pas, votre nom sera bientôt au firmament avec celui du général Sourena qui tint tête à Rome, ou encore celui de Rostam Farrokhzad, qui, jusqu'à son dernier souffle, défendit l'honneur de l'Iran. Cette patrie a toujours guidé ses fils vers la grandeur. On m’a murmuré que vous étiez de ce bois. »

« Ah ? » répond Al-Nassiri.

« Mon souhait n’est pas de vous flatter. Mais vous avez de l’esprit, m’a t’ont dit ».

« On vous a dit beaucoup de chose ».

Vaziri sourit. « Oui vous avez de l’esprit, bravo. La véritable splendeur d'un guerrier ne réside pas seulement dans son épée, mais aussi dans sa sagesse et sa clairvoyance. Tous ont été des esclaves de l’excellence, de Ferdowsi, qui immortalisa l'âme perse, à Khwâja Nasir al-Din Tusi et Molla Sadra et chacun à leur manière nous enseignent que force et sagesse doivent marcher ensemble. »

« Vous êtes la sagesse ? »

« Vous la force. »

« Qu’attendez-vous de moi ? »

« Travaillons ensemble. »

Al-Nassiri sceptique : « C’est une offre d’emploi ? »

« Pourquoi pas ? »

Al-Nassiri reste de marbre : « Ettela'at-e Sepah a fait des recherches sur vous. »

« Les renseignements iraniens ? C’est vous qui me flattez. »

« Dossier top secret. Un homme d'affaires, proche du Guide Suprême, puissant... »

Shahram Vaziri sourit légèrement et verse du thé dans une fine porcelaine.

« Très proche, en effet. »

« Qui êtes-vous ? »

 « Une question aussi directe, posée avec une netteté qui ne laisse place ni à l'ombre ni au doute… C'est là l'apanage des hommes d'action, ceux dont la parole ne s'embarrasse pas de détours. Mais voyez-vous, mon jeune ami, certains noms ne s'écrivent pas sur du papier. Ils se gravent dans la mémoire de ceux qui savent écouter. »

« En clair ? »

« En clair je me méfie des raccourcis et du papier. »

« Le papier ? Je ne comprends pas ce que vous me racontez. » réplique sèchement Al-Nassiri.

Vaziri amusé, tapote le bord de sa tasse.

« Le papier… quelle traîtresse surface. Il retient ce qu'on y inscrit, mais jamais ce qui est dans la marge. Rien de ce qui précède, ni de ce qui suit. On croit y trouver la vérité, alors qu'on n'y lit que ce que d'autres ont jugé bon d'y poser… « 

D’un geste de la main Al-Nassiri interrompt Vaziri : « Qui êtes-vous ? » lui demande-t-il avec insistance.

Sans se départir de son langage précieux et châtié Vaziri poursuit : « … qui suis-je ? Mon nom s'écrit dans le murmure des conversations, dans l'écho des regards échangés au détour d'un marché d'Ispahan, ou dans la mémoire de ceux qui, jadis, … mais bref, je comprends, vous vous impatientez. Que voulez-vous savoir ? Vraiment. »

« Votre nom. »

« Shahram Vaziri, pour vous servir. »

 « Votre vrai nom. »

« Mon votre vrai nom ? Quelle drôle d’idée, mon nom est aussi vrai que le vôtre, Al-Nassiri ... »

« Vous cachez quelque chose. »

Shahram Vaziri éclate d'un rire bref.

« Forcément, mon jeune ami. Certains dissimulent leurs fautes, d'autres leurs peurs… et d'autres leurs ambitions. Moi, je n'ai que des souvenirs à garder, des récits à embellir, des routes à parcourir et (il détache les lettres) d-e-s   g-e-n-s   à   e-n-r-i-c-h-i-r. »

Bahram Al-Nassiri s'appuie contre le dossier de son siège, plisse les yeux.

« Il est temps que je m’en aille. »

Un sourire fugace éclaire le visage de Vaziri. Le ton change, il se fait plus martial.

« Tu as raison de vouloir connaître ton maître » murmure-t-il en fixant son interlocuteur dans les yeux : « Alors écoute bien mon histoire. Mon nom de naissance est Josef Grese. »

Auschwitz-Birkenau, Pologne, octobre 1944

« Je suis la lumière obscure surgie des cendres d'Auschwitz-Birkenau. Un lieu de discipline, de pureté, d'ordre, d’équité. »

Un éclair de fierté brille dans ses yeux : « Ma mère, Irma Grese, était une déesse antique. Une femme d'une poigne inébranlable, d'une détermination absolue. Elle était Oberaufseherin à Auschwitz-Birkenau, responsable de dizaines de milliers de Juifs. Elle était : « la Bête de Belsen », « la hyène d'Auschwitz pour certains, l'Ange blond d'Auschwitz pour d’autres. ». Sa cruauté était une perfection du IIIe Reich.

Mon père était le légendaire Josef Mengele, « L'ange de la Mort ». Un nom que l'on murmure encore avec respect. Un fantasme pour certains. Il régnait sur les laboratoires, explorait les limites du corps humain, disséquait, mutilait, injectait. Il voulait changer la couleur des yeux, créer des mutations, explorer les frontières de l'hérédité. Mais ils ont manqué de temps. La défaite … la défaite … pas vraiment la défaite … les traîtres et les parasites ont modifié le cours logique de l’Histoire. Pour quel résultat ? L'Europe aujourd’hui ? Un bordel cosmopolite. Berlin, notre Capitale d'Empire, est désormais peuplée d'étrangers, de dégénérés. C'est ça leur victoire ? Une Allemagne enchaînée, humiliée, soumise aux sionistes et aux mangeurs de burgers ? Hitler n'a pas perdu. Ce sont les lâches qui ont baissé les bras ! Stalingrad ? Oui, un désastre. Mais nous aurions pu renverser la vapeur. Si Himmler et ses vipères n'avaient pas trahi, si Goering n'avait pas été un imbécile, si les généraux avaient eu la colonne vertébrale du Führer, nous serions encore là. » Vaziri-Grese inspire longuement.

« C’est à nous de faire nos preuves aujourd’hui. Les guerres continuent, les hommes cherchent toujours des chefs, des nations fortes. L'Ordre viendra, tôt ou tard. Le chaos appelle à la discipline, la faiblesse appelle à la force. L’Iran et l’Allemagne ont été à l'avant-garde d'une nouvelle humanité… et nous le redeviendrons. »

Bahram Al-Nassiri boit du petit lait. Ce discours enflammé, c’est sa vision de l’Orient et du Monde.

« Comment avez-vous survécu ? »

« Pardon ? »

« A Auschwitz ? « 

« Grace à ma mère. Elle a dissimulé sa grossesse. Un mois après ma naissance, elle m’a confié à une organisation clandestine, ODESSA qui exfiltrait l’élite du Reich. Ainsi commençait mon voyage dans l'ombre. Sous une nouvelle identité, je grandis en terre d’Islam. »

« En Iran ? »

« D’abord à Al-Quds (Jérusalem), puis dans le même village qu’Abou Mazen. Petit, il n’était pas grand. Sa fortune non plus. La cause palestinienne a bien des avantages. »

« En Palestine ! » indique Al-Nassiri.

« Devenu Israël après la Nakba. » Répond Vaziri-Grese.

« Je ne reconnais pas Israël. »

« On ne peut reconnaître ce qui n'a jamais eu de légitimité à exister. » surenchéri Vaziri.

« A quel âge … »

Vaziri le coupe. « Vous êtes à très curieux mon jeune ami. Tant mieux. Nous sommes venus vivre à Téhéran, j’avais 5 ans. »

Al-Nassiri l’observe scrupuleusement.

« La personne qui s’occupait de moi a changé mon identité. J'ai été un enfant choyé, un surdoué que rien ni personne n'arrêtait. Polyglotte, diplômé des meilleures institutions, évoluant entre Téhéran, Moscou, Berlin, New York, Paris. Mes parents m’ont laissé beaucoup de propriété aryanisés, d’argent, d’œuvres d’art mais j’ai bâti mon propre empire dans la finance. »

« C’est là que j’entre en jeu ? »

« Oui. Ma Fondation Phönix, est la plus grande fondation philanthropique privées au monde, avec une dotation qui s'élève à 500 milliards de dollars américains. Phönix est une machine de guerre. Je finance des groupes armés, je déstabilise des Nations, je manipule les marchés, j’alimente les conflits. L’objectif est d’instaurer un nouvel ordre mondial, un Reich planétaire. »

« Quel est votre plan ? »

« Je mise sur la destruction d’Israël, le 51eme état américain. Le plus petit et le plus vulnérable. Sa destruction va causer un effet domino, que j’utiliserai pour instaurer le quatrième Reich. »

Bahram Al-Nassiri, stupéfait, se demande si Vaziri est un mégalomane fou dangereux ou un génie.

Son regard oscille entre l'homme face à lui et le chèque qu’il vient de poser sur la table. Un rictus carnassier tord les lèvres de Grese. Il pousse lentement le chèque vers Bahram, un montant astronomique est écrit en fines lettres.

« Cela suffit-il pour faire de toi l'architecte de mon armée planétaire. Son centre opérationnel sera ici, à Téhéran. »

Bahram hoche la tête, lentement et met le chèque dans sa poche. L'accord est scellé dans un silence pesant.

Grese se redresse, son ton se durcit encore.

« J’ai une première mission. Je veux que tu protèges une de mes poules aux œufs d’or. Il doit faire de nombreux voyages en Europe et je n’ai pas confiance, ni en lui, ni en nos ennemis. »

Il fait signe à un domestique qui quitte la pièce.

« Ali Mahdavi est un ingénieur de renom. Son projet dans le nucléaire surpasse tout ce qui a été réalisé jusqu'ici. Il dirige un programme confidentiel : la construction d'un complexe de fusion laser enfoui dans nos montagnes iraniennes. Une installation gigantesque, dissimulée dans des grottes inaccessibles, où la science redessine l'apocalypse. La fusion nucléaire se prépare à libérer une puissance cataclysmique. « 

Bahram l’écoute avec attention.

« Ali Mahdavi, comme le reste du monde, ignore qui je suis. Pour lui Shahram Vaziri est un bienfaiteur, un mécène discret. »

« Pourquoi moi ? Pourquoi me l’avoir dit ? »

« Tu m’aurais suivi sans ça ? »

Bahram fait non de la tête. Vaziri sourit.

Le jeune et beau domestique revient avec Ali Mahdavi. Il s’efface et laisse l’ingénieur rejoindre Vaziri. Le maître des lieux redevient précieux : « Commandant, permettez-moi de vous présenter une vision incarnée, un architecte du futur dont l'ombre s'étend bien au-delà de notre époque, plus loin que nos civilisations. Ali Mahdavi n'est pas simplement un ingénieur, il est l'orfèvre qui dompte l'énergie. Là où d'autres tâtonnent encore dans l'obscurité du possible, lui grave déjà les lois de demain dans la roche de nos montagnes. Son œuvre n'a pas d'équivalent, son projet n'a pas de précédent. Il érige, loin des regards indiscrets, la plus grande cathédrale de lumière jamais conçue par l'Homme, un sanctuaire scellé dans le secret, où naîtra la force qui changera le cours de l'Histoire. » Mahdavi salue Bahram d’un geste de la tête.

 

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