Avant le 7 octobre, les tables israéliennes ne désemplissaient pas. Dans les grandes villes du monde, les restaurants affichaient complet, les chefs rivalisaient de créativité et les critiques saluaient une gastronomie audacieuse, métissée, portée par une nouvelle génération d’artisans du goût. La cuisine israélienne vivait son âge d’or.
Mais depuis l’attaque du Hamas et la guerre à Gaza, l’atmosphère a changé. Les saveurs israéliennes ne font plus l’unanimité, et la cuisine est devenue un terrain d’affrontement politique.
De Sydney à Berlin, en passant par Athènes ou Bruxelles, une enquête menée par la chaîne N12 montre que les restaurants israéliens sont la cible d’actes hostiles. Les mouvements anti-israéliens ont compris la portée symbolique de cette diplomatie culinaire et ont décidé de la frapper.
À Sydney, des manifestants ont fait irruption dans un établissement du célèbre chef Eyal Shani. À Berlin, l’ouverture d’un autre de ses restaurants a dû être reportée après des protestations. En Grèce, un restaurant israélien a été vandalisé, ses murs couverts de graffitis et de tracts.
Même les établissements les plus réputés n’y échappent pas : Prism, le restaurant étoilé de Gal Ben-Moshe à Berlin, a fermé ses portes, officiellement en raison du climat ambiant. Aux États-Unis, une chaîne a cessé ses activités après une campagne de boycott du mouvement BDS.
« Mes clients de toujours ont disparu »
À Bruxelles, Simone Alharrar, propriétaire du restaurant Kitchen 151, affronte chaque jour cette hostilité. Sur le chemin de son restaurant, elle passe devant des murs tagués de slogans anti-israéliens. « Je ne peux plus passer de musique israélienne, les gens refusent de boire du vin israélien », confie-t-elle. Après le 7 octobre, le maire de Bruxelles l’a appelée : pour la protéger, il a fait retirer le mot “israélien” de son enseigne.
Mais cela n’a pas suffi. Quelques jours plus tard, Kitchen 151 a été vandalisé. Des employés ont démissionné, et des habitués de longue date ont disparu. « Certains étaient là depuis douze ans, et du jour au lendemain, plus rien. Je les ai vus sur Instagram, drapeau palestinien à la main », raconte-t-elle avec amertume.
Aujourd’hui, Kitchen 151 n’est plus un restaurant, mais un service traiteur privé. « C’est ma façon de continuer à cuisiner, tout en choisissant mes clients », explique-t-elle. « J’ai toujours rêvé de réussir en Europe, et soudain, tout s’est effondré. »
En France, le succès sous silence
À Paris, Matan Zaken incarne la réussite israélienne. Son restaurant NHOME a décroché une étoile Michelin en 2024, puis l’a conservée en 2025 — en pleine guerre. Mais le jeune chef de 30 ans avance sur la pointe des pieds.
« Je cuisine, je ne fais pas de politique », dit-il simplement. « Ce qui est le plus difficile, c’est de devoir se cacher pour continuer à exister. » Certains clients lui demandent d’où vient le chef. « Que répondre ? », s’interroge-t-il.
Lorsqu’il a publié sur Instagram une photo d’un repas chez un ami israélien, les messages haineux se sont multipliés. Comme d’autres, il vit ce dilemme permanent : assumer son identité ou préserver son restaurant.
À Londres, la peur derrière les vitrines
À Londres, Ran Shmueli, chef emblématique de Tel Aviv, a ouvert Claro London au cœur de la capitale britannique. Mais chaque samedi, les cortèges pro-palestiniens qui défilent devant ses grandes baies vitrées rappellent la tension.
« Nous n’avons pas de drapeau israélien à l’entrée », explique-t-il. « Certains clients écrivent dans leurs avis : “Le restaurant est excellent — n’oubliez pas qu’il est israélien.” »
À quelques rues de là, le chef Eran Tibi a vécu la même descente aux enfers. Son restaurant Kafra arborait autrefois fièrement des néons en hébreu. Aujourd’hui, tout a disparu.
« Après le 7 octobre, tout a changé », raconte-t-il. « Les insultes, les menaces, les appels anonymes… Il y a eu des graffitis, des crachats, des déchets jetés devant la porte. »
Son établissement figure désormais sur la liste noire du mouvement BDS. Pour protéger son équipe, il a dû engager des agents de sécurité. « Mes coûts explosent, mes revenus chutent », confie-t-il. « On paie le prix d’être israélien. »