Tout récemment, le gouvernement argentin a mis en ligne un vaste ensemble de dossiers historiques : rapports de police, notes de renseignement et correspondances internes retraçant la présence de nazis dans le pays après la Seconde Guerre mondiale. S’il ne s’agit pas de nouveaux documents — ils avaient été déclassifiés en 1992 —, leur numérisation les rend accessibles au grand public pour la première fois.
L’ensemble comprend 1 850 documents, produits entre les années 1950 et 1980 par trois organismes de sécurité : la police fédérale, les services de renseignement de l’État et la gendarmerie nationale.
Le dossier 7-3772 : la chronologie détaillée de la fuite de Mengele
Un dossier central, le 7-3772, rassemble près de 400 pages exclusivement consacrées à Josef Mengele. On y découvre : son entrée en Argentine le 20 juin 1949, sous l’identité « Gregor Helmut » avec un passeport de la Croix-Rouge ; sa décision, en 1956, d’assumer ouvertement son vrai nom auprès des autorités, preuve de son sentiment d’impunité ; un formulaire de police daté du 26 novembre 1956 confirmant le changement officiel de son identité ; les démarches de sa famille pour obtenir des documents administratifs, que les autorités ont accepes sans difficulté.

Extrait des documents argentins relatifs à Josef Mengele rendus publics — Source : Archives nationales d’Argentine.
Les archives montrent que les autorités argentines connaissaient parfaitement le passé criminel de Mengele. Des témoignages de survivants, dont celui de Jorge Formansky, y sont même consignés, rappelant les sélections sur la rampe d’Auschwitz, les expériences médicales sur des enfants et la traque obsessionnelle des jumeaux.
Une extradition demandée… mais ignorée
En 1959, l’Allemagne de l’Ouest demande officiellement l’extradition de Mengele. Les documents argentins indiquent que la requête a été refusée sous prétexte de « défauts de procédure ».
Aucune mesure réelle n’a été prise, alors même que les services de sécurité savaient qu’il risquait la perpétuité en Allemagne.
De l’Argentine au Paraguay, puis au Brésil
À la fin des années 1950, sous la pression internationale croissante, Mengele quitte Buenos Aires pour le Paraguay, où il obtient la nationalité grâce au dictateur Alfredo Stroessner. Il gagne ensuite le Brésil, vivant sous les identités « Peter Hochbichler » puis « Wolfgang Gerhard ». Il meurt en 1979, victime d’un AVC alors qu’il nageait près de Bertioga. Son identité n’a été confirmée qu’au début des années 1990 grâce à des analyses ADN.
Une mise en ligne qui relance un vieux débat
L’initiative du président Javier Milei de diffuser ces documents relance un débat sensible :comment l’un des criminels nazis les plus recherchés a-t-il pu vivre librement en Argentine pendant près d’une décennie, sous le regard de services parfaitement informés ? Ces archives, désormais consultables en ligne, apportent une réponse glaçante : la passivité des autorités n’était pas liée à l’ignorance — mais à un choix politique.