Le Grand Rabbin de France Haim Korsia était l'invité de l'Ecole Internationale de l'Université de Tel-Aviv dimanche 4 mai. Il a été reçu par le Pr. Milette Shamir, Vice-Présidente de l'université et Maureen Meyer, directrice de l'Ecole internationale, et a participé à une passionnante conversation avec le Prof. Astrid von Busekist, professeure à Sciences po et invitée de l'Institut d'études avancées de l'Université de Tel-Aviv. La conférence, sur le thème « Israël, une nation juive, une diaspora engagée », modérée par Céline Corsia, directrice du programme francophone de l'Ecole internationale, s'est déroulée devant un public nombreux.
En amont de la conférence, Maureen Meyer a présenté l'Université de Tel-Aviv, la plus grande université du pays avec ses 30 000 étudiants et ses neuf Facultés (10 avec l'Ecole des neurosciences), couvrant tous les domaines de la connaissance et des arts, et permettant des démarches multidisciplinaires innovantes. L'Ecole internationale de l'université accueille en temps normal près de 3 000 étudiants de plus de 100 pays différents, et vient de mettre en place un programme en français qui compte cette année 15 inscrits. Maureen Meyer relève cependant que depuis le début de la guerre l'université est en butte à des tentatives d'isolement provenant entre autres du mouvement BDS : « Nous nous battons au quotidien pour préserver nos partenariats. Les communautés juives de Diaspora constituent un élément essentiel dans ce combat ».
Qu'est-ce qu'une nation ?
Elle présente ensuite les intervenants. Responsable du master de théorie politique à Science Po Paris, le Prof. Astrid von Busekist est professeur invité à l'Institut d'études avancées de l'Université de Tel-Aviv, qui a pour but de promouvoir l'excellence académique en accueillant d'éminents chercheurs internationaux, leaders reconnus dans leur discipline. Ancien aumônier en chef du culte israélite de l'armée française, Grand Rabbin de France depuis 2014 et membre de l'Institut de France, Haim Korsia est connu pour son soutien indéfectible à l'Etat d'Israël.
Le dialogue entre les deux intervenants a abordé les notions de normalité de l'Etat et de la nation, la polarisation et les divisions internes, la force de la société civile et le soutien de la Diaspora à l'Etat d'Israël.
Le Pr. von Busekist s'attache tout d'abord à définir le concept de nation, rappelant que la naissance des nations est un phénomène moderne. Elle retient la définition devenue classique d'Ernest Renan dans sa célèbre conférence de 1882 à la Sorbonne, selon laquelle une nation se caractérise par « […] la possession en commun d'un riche leg de souvenirs, et […] le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis ». Elle pose alors la question : « Israël est-elle une nation normale ?», et cite à cet égard deux textes modernes, celui d'A.B. Yehoshua : Pour une normalité juive (1980) et celui de Denis Charbit publié en 2024 : Israël, l'impossible Etat normal, selon lequel seule la paix peut ramener Israël à la normalité. Pour sa part, elle distingue plusieurs éléments « d'anormalité » de l'Etat. D'abord la constatation que l'Etat en Israël est plus vaste que la nation qu'il englobe; ensuite le fait que la nationalité y soit dissociée de la citoyenneté, puisque l'Etat réunit différentes nations ; troisièmement, le fait qu'Israël admette une « nationalité potentielle » par le biais de la Loi du Retour, qui en quelque sorte déterritorialise la nation ; et enfin le constat que l'Etat d'Israël n'a pas de frontières fixes ni de constitution. Israël serait-il donc un Etat anormal ?
Les dangers de l'ultrapolarisation
A cette interrogation, le Grand Rabbin de France Haïm Korsia répond que la quête de la normalité est une hérésie : « Il n'y a pas d'humain normal. Il faut accepter que l'humanité se vive comme un ensemble d'exceptions protégées par la notion de respect de l'autre. Au niveau collectif, les évènements traumatiques vécus ensemble soudent le groupe. Pour reprendre la définition de Renan, le peuple d'Israël capitalise sur ses expériences vécues ensemble pour continuer. Dans le cas d'Israël, contrairement aux autres nations, la Diaspora a existé avant l'épicentre, et continue de se maintenir en parallèle avec lui, conformément au midrash des trois serments du Cantique des Cantiques qui interdisent au peuple de monter en masse vers la Terre d'Israël pour ne pas affaiblir les nations. Il n'y a pas de normalité parmi les nations. On peut donc dire qu'Israël est normal parce qu'il est anormal ».
Cependant, malgré son incroyable passé, le peuple d'Israël est guetté par un danger : l'ultrapolarisation, impossibilité de parler avec ceux qui ne pensent pas comme nous. Les deux intervenants sont interpelés par les divisions qui se sont cristallisées au sein du peuple d'Israël depuis le 7 octobre et menacent sont intégrité. « La polarisation, l'enfermement, le fait d'interdire à l'autre de penser ce qu'il pense, mettent le vivre-ensemble de la nation en danger. Les divisions, les guerres intestines, la jalousie entre Juda et Éphraïm constituent un problème majeur du peuple juif », déclare le Grand Rabbin Korsia.
Comment faire revenir ensemble les différentes composantes du peuple israélien ? « Arriver à faire assoir à la même table des personnes qui n'ont pas la même façon de penser, comme les Quatre fils de la Haggadah de Pessah, constitue un enjeu depuis toujours », relève le Grand Rabbin.
« Soutenir Israël inconditionnellement etsubjectivement »
Comment la Diaspora compose-t-elle avec ces divisions internes , interroge le Pr. Astrid von Busekist ? « Tout d'abord le judaïsme a toujours intégré parfaitement la culture dans laquelle il vit : Dina demalkhouta dina – La Loi est celle de l'Etat où l'on vit. L'important est l'espace dans lequel on vit. C'est d'ailleurs pour cela que personne, dans le judaïsme institutionnel de Diaspora, ne doit critiquer Israël. Les antisémites le font très bien. Pour critiquer Israël, il faut venir y vivre et faire partie de son espace. La seule façon de faire partie de la nation juive en Diaspora est de soutenir Israël inconditionnellement et subjectivement ».
Le Grand Rabbin a d'ailleurs toujours pris publiquement position en faveur de la défense d'Israël, y compris dans le conflit actuel : « Le 6 octobre Israël ne bombardait pas Gaza ; tous les morts après le 7 octobre sont donc à imputer au Hamas », dit-il. Cette position lui a d'ailleurs valu d'être attaqué en justice, l'affaire ayant été classée sans suite par le Procureur de la République de Paris.
« Unité n'est pas conformité, mais il s'agit de faire le chemin ensemble. Nous devons faire en sorte de construire en permanence le lien qui existe entre nous », conclut le Grand Rabbin. « On ne peut pas être juif si on n'a pas l'espérance. La paix est un horizon à construire et à offrir aux autres ».
L'entretien captivant entre le Prof. Von Busekist et le Grand Rabbin Korsia, émaillé d'anecdotes et de références philosophiques et bibliques a été suivi d'un questions-réponses avec le public.
Source: Les Amis français de l'Université de Tel Aviv