Meeting du mardi 6 mai 2025. Place de la Bataille-de-Stalingrad, à Paris. Sous un ciel lourd de menaces, des centaines de militants se sont amassés, drapeaux tendus, slogans brandis, colère réglée au millimètre. À l’appel de La France insoumise, du NPA et de diverses franges de la gauche radicale, le rassemblement visait à contester la dissolution administrative de deux structures : « Urgence Palestine » et « la Jeune Garde ». Sur l’estrade, les visages familiers de la contestation : Salah Hamouri, Elsa Faucillon, Olivier Besancenot… Mais l’ombre tutélaire et sonore qui dominait les lieux était bien celle de Jean-Luc Mélenchon, chef d’orchestre d’un chœur devenu incendiaire.
Derrière les mots d’ordre - « solidarité », « liberté d’expression », « lutte contre la répression » - se tramait une entreprise autrement plus préoccupante : la dédiabolisation de mouvements intrinsèquement dangereux, au mépris du réel et au détriment de l’unité nationale.
Mélenchon s’est levé non pas pour rassembler, mais pour opposer ; non pour apaiser, mais pour cliver. À ses yeux, « Urgence Palestine » est un héraut de la justice, « la Jeune Garde » un bastion de l’antifascisme. La réalité, pourtant, est plus âpre. Et plus sombre.
Le meeting du 6 mai ne fut pas une simple démonstration politique : il fut le théâtre d’une mise en scène aux allures de pacte faustien. En réhabilitant deux organisations connues pour leur violence, leurs discours de haine et leurs pratiques d’intimidation, Jean-Luc Mélenchon a pris le risque délibéré de verser du sel sur les plaies béantes du corps républicain.

« La Jeune Garde » n’est pas, comme il le prétend, une vigie de la démocratie. C’est un groupe aux méthodes miliciennes, rompu aux passages à tabac et à la chasse à l’opposant. Son ancien porte-parole, Raphaël Arnault, sur l’estrade menton en avant, poing tendu, évoquait une pale réplique de la farce Mussolinienne. Désormais député LFI, il démontre que la violence peut se grimer en habits du dimanche (version jogging). Il fut condamné pour violences en réunion. Quant à ses membres, certains sont aujourd’hui mis en examen pour avoir agressé un adolescent juif de 15 ans, l’obligeant à crier « Vive la Palestine ! » dans un wagon du métro parisien. Un acte de barbarie filmé, partagé, célébré. Le ministère s’appuie sur de nombreuses publications issues du canal Telegram « Antifa Squads », dans lesquelles des militants revendiquent ouvertement des agressions contre des opposants politiques, souvent avec usage d’armes, témoignant d’une structuration violente et délibérée. D’autres incidents sont également retenus : passages à tabac de journalistes et de militants étudiants, et condamnation en 2022 de leur porte-parole Raphaël Arnault à quatre mois de prison avec sursis pour violences en réunion. L’ensemble de ces éléments confirme que la Jeune Garde ne constitue pas une simple association militante, mais bien un groupement recourant à la violence pour imposer son idéologie, justifiant pleinement la procédure de dissolution pour atteinte grave à l’ordre public.
« Urgence Palestine », quant à elle, s’est rendue coupable d’agressions ciblées contre des militantes juives lors d’un cortège féministe (Collectif Nous Vivrons), de glorification du terrorisme et d’appels à l’« intifada sur le sol français ». Leurs réseaux sociaux - pétris de haine - éructent un antisionisme qui flirte intimement avec l’antisémitisme, sans filtre, sans remords.
Le collectif « Urgence Palestine » a été dissous par le ministère de l'Intérieur en raison de multiples actes violents et de discours haineux, notamment à l'encontre des citoyens français de confession juive. Parmi les incidents les plus graves figure l'agression survenue le 8 mars 2025 lors d'une manifestation féministe à Paris, où des militants « d'Urgence Palestine » ont attaqué physiquement des membres du collectif « Nous Vivrons », une association juive engagée contre l'antisémitisme. Les agresseurs ont jeté des bouteilles sur les manifestantes, les isolant délibérément du cortège principal. Ces violences étaient précédées d'appels explicites à « s'opposer physiquement aux sionistes », démontrant une préméditation claire. En outre, des leaders d'Urgence Palestine ont publiquement glorifié des actes terroristes, qualifiant les membres du Hamas de « martyrs » et appelant à « l’intifada à Paris », incitant ainsi à la violence sur le territoire national. Le collectif a également relayé sur ses réseaux sociaux des contenus antisémites et haineux, sans modération adéquate, contribuant à un climat de tension et d'insécurité. Ces agissements ont justifié la décision des autorités de dissoudre ce collectif, afin de préserver l'ordre public et de lutter contre l'antisémitisme. Cette mesure vise à protéger l'ensemble des citoyens français contre les discours et actions extrémistes qui menacent la cohésion nationale et les valeurs républicaines.
Les actes de ces deux groupuscules sont donc largement condamnables. Ce ne sont pas des dérapages. Ce sont des trajectoires. Et en s’acharnant à les blanchir, Mélenchon épouse, sciemment ou non, leur pente. L’Insoumis en chef aime le feu. Il aime la fureur, la tension, le vacarme. Mais ce qu’il attise, aujourd’hui, c’est une guerre de récits, où les Juifs de France deviennent les cibles implicites d’un discours de plus en plus virulent.
Depuis le 7 octobre 2023, Jean-Luc Mélenchon a substitué aux faits une « contextualisation » douteuse, donnant à entendre que les massacres d’Israéliens n’étaient que les effets collatéraux d’une « résistance ». En miroir, il s’est érigé contre le CRIF, en accusant l’institution juive d’être un obstacle à la paix. En cela, il a rompu avec les règles minimales de la décence politique : ne pas accuser ceux qui pleurent d’orchestrer leur propre douleur.
Ses mots ont eu des conséquences. Dans les lycées, les universités, les manifestations, des pancartes détournent désormais les symboles de la Shoah pour les appliquer à Gaza. Étoiles jaunes portées par des non-Juifs, slogans équivalents à « Israël = Nazis », musique de La Liste de Schindler en bande-son des ruines. Mélenchon ne tient pas la caméra, mais il a écrit le scénario. Et chaque plan insulte la mémoire.
La mémoire est prise en otage : du « Plus jamais ça » sans les Juifs. Rien n’est plus obscène que le détournement de la douleur. Mardi soir, Olivier Besancenot a entonné le traditionnel « Plus jamais ça » - sans jamais nommer les Juifs. Ce silence est un vacarme.

Le mot Shoah n’a pas franchi la scène. Pas une mention du massacre du shabbat noir. À croire que la mémoire de l’extermination des Juifs d’Europe est devenue un outil modulable, réutilisable, vidé de sa charge spécifique. Une allégorie utile, que l’on plaque sur tout et n’importe quoi - surtout sur ce qui sert une cause idéologique.
Ce recyclage de la souffrance est un détournement. Il n’honore pas les morts ; il les trahit. Il n’ouvre pas le dialogue ; il condamne, amalgame, inverse. Gaza n’est pas Auschwitz. Israël n’est pas le Troisième Reich. Et celui qui ose écrire cette équivalence commet une infamie, non seulement contre la vérité historique, mais contre la dignité humaine.
Mélenchon affirme que « défendre la Palestine n’est pas un crime ». En dédiabolisant ces structures, Mélenchon fait pour la violence d’extrême gauche ce que Marine Le Pen fait pour l’extrême droite : il l’habille en victime. Il l’intègre dans le cercle républicain. Il fait de l’excès une vertu.
Mais les vertus ne brûlent pas de voitures. Elles ne menacent pas d’enfants. Elles n’humilient pas ceux qui pleurent leurs morts, elle ne viole pas des fillettes de 12 ans, ne frappe pas des rabbins ni des jeunes étudiants, n’incendie pas de synagogues. Mélenchon ne semble pas le comprendre. Ou feint de ne pas le vouloir. Ce qu’il a offert avec des moyens financiers très importants, ce 6 mai, c’est un micro à l’intimidation, un podium à l’impunité, une tribune à ceux qui rêvent de fracture. Jean-Luc Mélenchon ne joue plus un rôle d’opposant. Il joue avec les allumettes. Il fait danser des flammes autour d’un baril de poudre qui ne demande qu’à s’embraser. L’étincelle c’est Omar Alsoumi. Il conclut ce meeting en grand officiant « d’Urgence Palestine », vêtu de certitudes et parfumé aux encens de la colère. Bercé par la voix de Mélenchon, ivre de ses regards comme d’oracles muets, il tend à ses adeptes un calendrier d’initié, où chaque date flamboie d’un ressentiment soigneusement attisé. Le 15 mai, jour de la Nakba, y trône comme une lune noire, pivot d’un rituel séculier : manifestations, slogans, slogans encore, et peut-être plus. Reste à savoir quelle est la nature de cette poudre qu’il sème dans les esprits : poudre de perlimpinpin pour les foules crédules ou bien mèche lente d’un embrasement qu’il appelle de ses vœux - communautaire, révolutionnaire, incandescent - le Grand Soir rêvé par l’extrême gauche française, d’une place Stalingrand en transe.
Eden Levi Campana