Culture

L’Opéra d’Israël revisite Strauss avec une “Ariadne auf Naxos” détonante

Créée en 1912, Ariadne auf Naxos trouve un écho étonnamment actuel dans cette version israélienne : à une époque où prestige culturel et divertissement instantané se confondent, la production de Ricklin parvient à poser les bonnes questions – sans leçon de morale, mais avec une créativité débridée.

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15 mai 2025

ParNathalie Sosna Ofir

L’Opéra d’Israël revisite Strauss avec une “Ariadne auf Naxos” détonante
Crédit : Opéra d'Israël

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C’est un opéra qui parle de tout. De l’amour et de la solitude, de l’idéalisme et de l’intérêt personnel, de l’art et de la vie elle-même. Pour son retour à l’Opéra d’Israël, le metteur en scène Ido Ricklin offre une lecture audacieuse de Ariadne auf Naxos de Richard Strauss, mêlant tragédie et comédie, grand art et culture pop, dans un tourbillon visuel et sonore aussi irrévérencieux qu’envoûtant.

À l’affiche du 19 au 30 mai à l'Opéra d'Israël à Tel-Aviv,, cette production en coproduction avec l’Opéra de Cracovie, dirigée par Asher Fisch, embrasse résolument les contradictions de l’œuvre : un prologue satirique sur les coulisses du théâtre, suivi d’un opéra dans l’opéra, revisitant le mythe d’Ariane abandonnée. Mais chez Ricklin, point de sauveur divin : Dionysos fait son entrée façon groupe Eurovision, paré de lumières criardes et de sons électrisants.

Tout commence dans les salons d’un mécène viennois, bien décidé à offrir à ses invités une soirée de culture. Mais entre l’opéra classique et la farce bouffonne prévus... aucun choix n’est fait. Les deux devront se jouer simultanément, sur la même scène. Le chaos s’installe, soigneusement orchestré par le majordome du maître des lieux, campé par l’acteur Itay Tiran dont la performance est projetée en vidéo. “Il est à la fois producteur et agent du chaos”, sourit Tiran. “Il sait exactement où appuyer pour faire éclater les contradictions des autres. C’est à la fois drôle et dérangeant.”

La seconde partie donne la parole à Ariane, princesse crétoise esseulée après le départ de Thésée, interprétée dans un univers baroque saturé de références modernes. La chanteuse de cabaret Zerbinetta, transformée en caricature de pop star, entre alors en scène. Hila Fahima en incarne une version irrésistible, insolente et magnétique. Ce choc des esthétiques, loin d’être un simple effet de style, interroge les hiérarchies artistiques. “Quand on juxtapose culture dite ‘basse’ et art dit ‘noble’, on voit qu’ils visent la même chose : toucher le cœur”, affirme Ricklin.

La scénographie se veut résolument contemporaine : costumes imprimés en 3D (grâce à une collaboration avec la société israélienne Print D3), projections vidéo interactives et effets visuels qui abolissent les frontières entre théâtre et cinéma.

Au centre de ce tumulte se trouve la figure du Compositeur, un idéaliste déchiré entre pureté artistique et compromis imposés. Écrite pour mezzo-soprano, cette partition est interprétée ici par Anat Czerny. “Ce rôle me touche profondément”, confie-t-elle. “Le Compositeur veut juste créer quelque chose de vrai et de beau, mais tout le monde lui dit comment couper, adapter, plaire. Cette quête de fidélité à soi-même, je la connais. Beaucoup de femmes la connaissent.”

Créée en 1912, Ariadne auf Naxos trouve un écho étonnamment actuel dans cette version israélienne : à une époque où prestige culturel et divertissement instantané se confondent, la production de Ricklin parvient à poser les bonnes questions – sans leçon de morale, mais avec une créativité débridée.

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