Un article publié dimanche dans le Wall Street Journal s’est penché sur une question qui intrigue nombre d’analystes militaires : comment Israël est-elle parvenue, en seulement deux jours d’opération contre l’Iran, à s’imposer dans la majorité de l’espace aérien iranien — là où la Russie échoue depuis plus de trois ans à imposer sa domination dans le ciel ukrainien ?
Quarante-huit heures après le début de l’opération militaire israélienne baptisée Eveil du Lion (Am Kelavi), Israël a annoncé avoir acquis une supériorité aérienne sur l’ouest de l’Iran, y compris au-dessus de la capitale, Téhéran. Une avancée stratégique majeure qui permet aux avions de chasse israéliens d’opérer presque librement au-dessus du territoire iranien, sans recourir à des missiles longue portée coûteux. Cette liberté d’action s’est traduite par une série de frappes massives — un « blitz total » — ciblant notamment les installations nucléaires, les batteries anti-aériennes, les missiles sol-sol, les infrastructures militaires et les hauts responsables du régime.
Dans l’article, plusieurs experts soulignent que cette réussite illustre un principe fondamental de la stratégie militaire moderne : la supériorité aérienne constitue la clé de voûte de toute campagne militaire efficace. « Ces deux conflits démontrent l’importance cruciale de la domination aérienne pour atteindre les objectifs militaires globaux », déclare David Deptula, ancien haut responsable de l’US Air Force, qui avait dirigé les frappes alliées contre les talibans et Al-Qaïda en 2001. « Le conflit russo-ukrainien montre clairement ce qui se passe lorsqu’aucun camp ne parvient à s’imposer dans les airs : une impasse, voire une guerre d’usure. »
Selon le Wall Street Journal, les premières frappes israéliennes ont été menées par des avions furtifs F-35 de cinquième génération. Ce n’est qu’après la neutralisation de la majorité des systèmes de défense anti-aérienne iraniens que des appareils plus anciens, tels que les F-15 et F-16, ont été engagés. Israël a ensuite adopté des munitions plus courtes et moins coûteuses, comme les bombes guidées JDAM.
À l’issue de ces premières 48 heures, le chef d’état-major israélien Eyal Zamir a confirmé que le corridor aérien vers Téhéran était désormais « ouvert ». Martin Sampson, ancien commandant des frappes britanniques contre Daech en Syrie et en Irak, affirme : « Israël peut désormais mobiliser l’ensemble de son arsenal offensif, avec une plus grande intensité et une efficacité accrue. »
Les spécialistes militaires interrogés dans l’article s’accordent à dire qu’Israël a tiré des leçons des erreurs russes et des réussites ukrainiennes. Toutefois, ils soulignent que, dès le départ, l’armée de l’air israélienne disposait d’un net avantage opérationnel par rapport à son homologue russe, tandis que l’Ukraine, à l’inverse de l’Iran, a réussi à mieux défendre son espace aérien.
« Les systèmes anti-aériens iraniens étaient bien plus vulnérables que ceux de l’Ukraine, dans pratiquement tous les domaines », explique Michael Kofman, chercheur au Carnegie Endowment et spécialiste des forces russes et ukrainiennes. Il insiste sur l’écart de capacités entre les forces aériennes russe et israélienne, qualifiant l’asymétrie de « massive ».
Edward Stringer, ancien haut responsable du ministère britannique de la Défense, qui avait supervisé la campagne aérienne en Libye en 2011, souligne quant à lui que la culture militaire, le niveau d'entraînement, l’innovation, les capacités de renseignement et de cyberdéfense de Tsahal sont les fondements de ce succès éclatant. « Les Russes, eux, ne forment leurs pilotes qu’à faire voler de l’artillerie volante — et rien de plus », ironise-t-il.
Tout comme l’Ukraine au début du conflit, l’Iran ne dispose pas de chasseurs capables de rivaliser dans les combats aériens modernes. Mais contrairement à Kyiv, Téhéran a échoué à établir un système de défense aérienne robuste. Ce choix stratégique — accorder la priorité aux missiles balistiques et aux réseaux de milices par procuration plutôt qu’à la défense aérienne — s’est révélé lourd de conséquences.
Au fil des années, Israël a méthodiquement affaibli les capacités anti-aériennes de ses ennemis : au Liban, le Hezbollah a subi de lourdes pertes, et en Syrie, les forces israéliennes ont neutralisé les systèmes de défense du régime d’Assad, créant ainsi un couloir aérien vers l’Iran.
Autre point clé : l’élément de surprise. En février 2022, prévenue par les renseignements américains, l’Ukraine avait anticipé l’invasion russe en dispersant ses batteries anti-aériennes. À l’inverse, l’Iran a été pris de court, malgré les menaces publiques d’Israël — résultat probable d’une campagne de désinformation efficace menée par Tsahal.
« Ce qu’Israël a réalisé en Iran, c’est ce que la Russie rêvait de faire en Ukraine », conclut l’analyste géopolitique israélien Michael Horowitz. « Moscou espérait mener une opération secrète, décapiter le régime ukrainien et imposer un changement rapide. Mais la société ukrainienne a résisté. En Iran, en revanche, le régime est tellement impopulaire que trouver des collaborateurs n’a rien de difficile pour Israël. »