Bienvenue sur IsraJ

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Ailesbury Road, Dublin, Irlande – 18:18 minutes

Dans un appartement feutré de Dublin, Karam Al-Safir prépare une conférence. Le regard de Nour, 22 ans, se perd dans celui de Karam, son héros, un islamologue aux allures de prédicateur, dont la voix, tantôt douce, tantôt cinglante, captive les foules et les esprits. Brillant intellectuel, auteur prolifique et invité régulier aux émissions télé, Karam est son mentor et son amant. A sa demande, Nour vient d’intégrer une cellule de Daesh. Eperdument amoureuse, elle voulait l’impressionner. Elle sait que derrière son vernis de défenseur d’un islam en phase avec les démocraties occidentales se cache une réalité insidieuse, un engagement profond dans l’ombre guerrière de Daesh. Un soir, après un baiser fougueux il lui avait confié : « Je défends un islam éclairé, compatible avec la démocratie… », puis, dans un murmure qui trahissait une autre vérité, il ajouta : « … même si Allah me guide parfois sur des chemins différents. »

Park Tzameret, Tel-Aviv, appartement de David – 22:22 minutes

Moïse est à moitié allongé sur le canapé noir, en simili cuir, du salon de David, les bras croisés. Assis sur des fauteuils coordonnés, trois agents du Mossad le scrutent, quatre en comptant « Struwelpeter » le chat tricolore de David, qui revendique nécessairement sa qualité de chat-espion. Ephraïm, Yonatan et Noah écoutent méticuleusement l'exposé magistral de David sur la situation géopolitique du Moyen-Orient. Moïse reste silencieux. Autour d'eux, la pièce minimaliste est baignée dans une lumière tamisée, avec la table basse servant de mini-bar et le buffet en noyer où repose un immense écran. L'archet du violon suspendu au mur ajoute une touche personnelle à l'ensemble.

David détaille les enjeux : Israël, seule démocratie entourée de vingt-deux pays arabes, la menace du Hezbollah au nord, le Hamas à Gaza, le Jihad islamique palestinien, les tunnels sous Gaza, les résultats improbables de l’opération « Tsouk Eitan », les « Accords d'Abraham » fragilisés et la réorganisation économique mondiale. Moïse, faussement concentré, joue distraitement avec un stylo. « Struwelpeter », s'installe sur ses genoux et ronronne avec ferveur. Moïse caresse le félin machinalement, tout en levant les yeux vers la fenêtre. Derrière la baie vitrée, Tel-Aviv scintille sous ses pieds. Depuis le 15ᵉ étage, la vue est imprenable sur les gratte-ciel modernes du Park Tzameret, les piscines azurées sur les toits et, plus loin, les lumières du boulevard Namir et de la mer qui reflètent les éclairages urbains. Là-bas, des voitures filent sur l'Ayalon Highway, traçant des sillages lumineux entre les tours de verre.

« Je peux avoir ton attention un instant ? »

Moïse inspire à fond et compte sur ses doigts. Après une forte respiration, il prend la parole, le chat-espion dans les bras. Il se lève avec le félin et marche dans la pièce de long en large, sous l'œil médusé des agents. Noah sourit, elle a déjà vécu cette situation.

Moïse complète la présentation de David, comme s’ils avaient réalisé un rapport à quatre mains. Le Hamas à Gaza dont la charte proclame la destruction d'Israël, la prétendue libération de la Palestine, l’accord économique ambitieux entre les États-Unis, l'Inde, l'Arabie saoudite et Israël visant à court-circuiter la Chine et à faire de l'Inde l'usine du monde. Moise insiste sur le fait que Haïfa pourrait devenir le port majeur en Méditerranée. Il conclut par une citation magistrale qu’il prête à l’historien Georges Bensoussan : « On peut se demander s’il n’y a pas quelque chose d’indécent à voir 22 états arabes et 87 états musulmans contester (à quelques exceptions près) le droit d’exister au seul état juif de la planète et disputer des miettes (28000 km carrés) quand on dispose soi-même plus de 4 millions de km carrés. »

David reprend la parole, on dirait un numéro de claquettes savamment préparé. Il aborde ensuite la question des BRICS et leur volonté de réformer le Conseil de Sécurité de l'ONU ainsi que les institutions de Bretton Woods. « Vous verrez qu’un jour ces girouettes de français vont finir par reconnaitre un état palestinien. Auront-ils vraiment le choix d’ailleurs ? »

Moïse se met à jouer avec le stylo, lâche une blague ici et là, coupe David en plein monologue. Agacé, ce dernier la fusille du regard : « Mon frère, c'est sérieux. »

Avant que Moïse ne réponde, Yonatan tape du poing sur la table. Il parle de Moïse comme s’il n’était pas dans la pièce : « Voilà exactement pourquoi je suis contre son implication ! Certes c’est un puit de science, pour ça oui, mais il se fiche de tout. Il n’a rien à faire comme agent de terrain, analyste à la rigueur. Et même ! Il sait à peine se servir d’un ordinateur ou d'un téléphone. »

Noah l'interrompt : « Pour le téléphone, c'est bon, c'est moi qui lui ai appris. »

Yonatan regarde Noah : « On respecte la hiérarchie, je n’ai pas fini » puis il se tourne vers David : « Et toi assume tes choix. Dans une mission comme celle-ci, ce n'est pas correct de l’imposer comme tu le fais. »

Ephraïm, assis en retrait, observe la scène, impassible : « Ou bien c'est son coté atypique peut-être un atout. C'est bien… aussi. »

Yonatan hausse le regard vers le plafond : « Ken, pour ramener nos agents dans des sacs. »

Moïse pose brutalement le stylo sur la table et se lève, fusillant Yonatan du regard.

« Vous croyez qu'un kibboutznik n’est pas capable de comprendre les enjeux ? C’est juste que c’est votre job tout ça. »

« Besseder, retourne dans ton kibboutz et laisse-nous travailler. »

« Continuez votre théâtre géopolitique, moi, je veux juste sauver Yaël. » réplique Moïse.

Yonatan ricane, sec et froid.

« Tu veux sauver quoi ? Qui ? Tu ne sais rien de la mission de Yaël. Pourquoi elle serait en danger ? »

« Oy vaï ! Je le sais. »

« Tu le sais ? Ce n’est plus Moïse Bourne ou Doron Levy, c’est Uri Geller… »

Yonatan se tourne vers David : « La réalité, c'est que chaque pas qu’il va faire en dehors du protocole va mettre Yaël et le reste des équipes en danger. »

David prend une inspiration, lève la main pour calmer la tension : « On ne peut pas nier que Moïse a un lien unique avec Yaël, et la dernière mission a été une réussite… »

Yonatan secoue la tête, exaspéré : « Si vous misez sur la chance… Moi je refuse d'assumer les conséquences de vos échecs. »

Moïse s'approche de Yonatan et lui dit dans une grimace : « Contente-toi de me donner les moyens d'agir, chef ! Je me débrouillerai. »

Yonatan éclate de rire : « Il est fou ? Vous avez fait venir un dément ? Mais pour qui tu te prends ? Tu connais les subtilités de la diplomatie ? La diplomatie ce sont des stratèges de haut niveau, qui jouent avec des hommes comme on pousse des pions sur un échiquier. Et toi tu sais qui sont nos ennemis ? Les vrais. Tu connais les proxies ? Les proxies des proxies ? »

Moïse retourne s’assoir près du chat-espion. « Ce que je sais me suffit. Le Hezbollat et le Hamas sont justes des valets des mollahs, le reste c’est de la littérature. «

Yonatan s’apprête à lui répondre point par point : Et toi Moïse Levy… comment dire ? »

Il reste un moment suspendu au nom du kibbutznik.

Noah murmure : « On lui demande d'aider Yaël, pas de changer les frontières de la Judée-Samarie. «

Ephraïm se lève, son regard pèse sur Moïse : « Je suis d’accord pour coordonner l’action mais tu suis mes instructions. Sinon, je t'attache à une chaise et je te laisse ici. »

Moïse hoche la tête : « Quelle destination ? »

David tourne la tête vers Noah : « Est-ce que l'avion pour la Corse est prêt ? »

Noah donne une enveloppe à Moïse, qui regarde le contenu : « Tout était ficelé. Pourquoi ces discussions stériles ? », puis il demande à David : « Comment je la retrouve ? »

David montre Ephraïm du menton : « Tu suis les consignes d’Ephraïm. Et va voir ton père en Corse. Yaël devait le rencontrer avant sa disparition. Noah va te conduire à l’aéroport. Tous les documents sont au nom de Pasquale Paoli. »

Yonatan secoue la tête, les bras croisés, tandis que Moïse et Noah sortent de l’appartement. Ephraïm le suit du regard avant de murmurer en riant à Yonatan : « Il va nous attirer des ennuis. »

Yonatan jette un regard noir à Ephraïm hilare et s'emporte :

« Tu te crois amusant ? vous jouez avec de la nitroglycérine. »

Il regarde David en prononçant ces derniers mots.

« C’est certain qu’en Corse la situation va être explosive » dit Ephraïm dans un éclat de rire.

Circular Rd, Dublin, Irlande – 22:22 minutes

Dans l’atmosphère enfumée d’un pub aux murs de briques délabrées, Nour regarde fixement le verre d’Irish stout qui lui a été servi. Ses yeux, à la fois brûlants de passion et empreints d’incertitude, reflètent une âme tiraillée. Ali, un homme à l’allure discrète s’approche d’elle.

Il murmure-t-il d’une voix basse et mesurée : « C’est haram. »

« Je sais… » répond-elle, la voix cassée « … je ne bois pas... »

Laïla, la sœur de Nour, une jeune fille de 15 ans, entre dans le pub à ce moment-là. Nour la voit, pique sur elle, l’attrape par la manche et la tire dans un couloir sombre, loin des regards indiscrets.

« Qu’est-ce que tu fais ici ? » demande Nour visiblement courroucée.

Laïla, les larmes aux yeux, réplique dans un murmure : « Je t’ai suivi. Je ne veux pas que tu sois une martyre. »

« Qu’est-ce que tu racontes ? » dit Nour à voix basse, la serrant contre elle.

« J’ai surpris une discussion entre Karam et Ali, ils ont dit que tu avais parlé aux israéliens. »

« Quand ? » demande Nour stupéfaite.

Ali arrive à ce moment, la main dans la poche. « Elle vient avec nous » dit-il en désignant Laïla. La conversation est interrompue par la sonnerie d’un téléphone portable vibrant dans sa poche. La mission vient d’être confirmée : l’enlèvement d’un informaticien américain d’origine irlandaise, dont les compétences en cyber-protection sont cruciales. La pièce se remplit d’un murmure lourd, seulement troublé par le cliquetis nerveux des verres et le bourdonnement des discussions étouffées. Nour se dirige vers sa cible. Le bal de la séduction commence.

Trois minutes plus tard, la porte arrière du pub s’ouvre avec fracas. Ali pousse devant lui l’informaticien effrayé. La pénombre se mêle aux murmures persistants du dernier appel à la prière (Isha), émanant de l’Islamic Cultural Centre of Ireland, situé à quelques dizaines de mètres.