Judaïsme

"Panim el panim". Par David Peretz

4 minutes
13 mars 2020

ParIsraJ

"Panim el panim". Par David Peretz

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"Or L'Eternel s'entretenait avec Moïse face à face (panim el panim) comme un homme s'entretient avec un autre." (Exode.33, 11). "Face à face" signifie sans médiation ! Telle est la différence fondamentale entre la prophétie de Moïse et celle des autres prophètes que Maïmonide formule ainsi : "Tous les prophètes recevaient leur message prophétique dans un songe ou une vision et Moïse avait ses inspirations dans l'état de veille et en pleine possession de ses facultés." (Le livre de la connaissance. VII. 6).

Suprématie de Moïse sur tous les prophètes au point que Maïmonide dit n'utiliser le terme de "prophétie" que pour le désigner par "amphibologie" (homonymie) en l'absence de terme adéquat. Au point que la Tradition interdit de distinguer entre la parole de D.ieu et celle de Moïse, "Tant est fort, écrit Levinas, le principe selon lequel le truchement prophétique de Moïse est la concrétude de la Révélation sans médiation." (A l'heure des nations. P.129).

Pourtant quelques versets plus loin, à la demande de Moïse "Découvre moi ta Gloire (Kvodekha)" (33, 18), D.ieu répond "Tu ne saurais voir ma face car nul homme ne peut me voir et vivre." (33, 20). Réponse que Maïmonide comprend ainsi : " la réalité de Mon existence telle qu'elle est ne saurait être saisie." (Le guide des égarés. I, 37).

Par contre à la première demande de Moïse : "Fais-moi connaître tes voies (dérakhékha) afin que je te connaisse, pour que je trouve grâce devant tes yeux" (33,13), D.ieu consent à lui révéler ses attributs qui consistent en qualités morales (midot).

Ces attributs constituent donc le sommet de la vision de D.ieu que Moïse a pu entrevoir et communiquer au peuple d'Israël. Quelle est donc la signification de ces attributs ? Réponse de Maïmonide : "On ne veut pas dire ici (en parlant des midot de D.ieu) qu'il possède des qualités morales, mais qu'il produit des actions semblables à celles qui, chez nous, émanent de qualités morales…ce sont là les actions émanant de D.ieu pour faire exister les hommes et les gouverner." (Guide. I, 54).

Ce n'est pas la "face" de D.ieu mais ses "arrières" (ahoraï) que Moïse entrevoit de la cavité du rocher où D.ieu l'a placé pour le protéger (33, 23). Le Midrash (Berakhot.7a) nous enseigne que les "arrières" de D.ieu qu'a entrevus Moïse consistent en le nœud formé par les courroies des phylactères sur la nuque divine.

La théophanie aboutit à un enseignement prescriptif, elle devient nomophanie : non pas Révélation de D.ieu mais révélation de la Loi ! Or la Révélation des Dix Commandements n'était-elle pas également une nomophanie ?

Dès lors, la relation sans médiation à D.ieu ne relèverait-elle pas du commandement ? La différence entre la prophétie de Moïse et celle de l'ensemble des prophètes ne se situe-t-elle pas au niveau prescriptif ?

Moïse aurait-il "vu" ce qu'aucun prophète n'a "vu" ? Le Texte talmudique répond négativement :

"Tous les prophètes ont eu une vision qui n'était pas lumineuse et Moïse, notre maître a eu une vision lumineuse", commentaire de Rachi ; "Tous les prophètes ont eu une vision qui n'était pas lumineuse et ont imaginé qu'ils l'ont vu et Moïse, notre maître, a eu une vision lumineuse et a su qu'il n'a pas vu Sa face."(Yébamot.49).

Quel est donc le secret du "face à face" avec D.ieu que seul Moïse aurait connu ? Quelle est la relation la plus directe que l'homme puisse avoir avec son Créateur ?

Seul Moïse, parmi tous les prophètes, a reçu les 613 commandements de la Torah. Ni les patriarches, ni les prophètes n'ont reçu de commandements à inculquer au peuple d'Israël. Telle est la spécificité de la prophétie de Moïse, telle est la relation directe à D.ieu : Être commandé ! "Connaître D.ieu, écrit Levinas, c'est savoir ce qu'il faut faire." (Difficile Liberté. p. 34).

Le judaïsme, avant d'être une orthodoxie (croyance) est une orthopraxie (pratique) !

La relation "face à face", le texte biblique la compare à celle qu'un homme entretient avec un autre homme.

Or la relation avec autrui ne relève-t-elle pas du commandement ? Autrui n'est-il pas la veuve, l'orphelin, l'étranger ou l'indigent ? Sa présence n'est-elle pas un appel ? Son "visage", nous dit Levinas, n'exprime-t-il pas une injonction ? N'est-il pas étrange que lorsque quelqu'un nous regarde, il nous est impossible de garder le silence ! Le regard d'autrui exige une réponse !

La responsabilité à l'égard de l'autre homme, telle est la source du commandement, telle est l'origine des 613 mitzvot que D.ieu a révélées à Moïse "face à face" !

 

David Peretz
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