Vie politique

L'alliance des croyants. Par Yaïr Cherky

9 minutes
9 mars 2020

ParIsraJ

L'alliance des croyants. Par Yaïr Cherky
Israelis count the remaining ballots at the Israeli parliament in Jerusalem, a day after the general elections, early on March 4, 2020. Photo by Olivier Fitoussi/Flash90 *** Local Caption *** ועדת בחירות\nכנסת\nספירת קולות\nפתק\nסיפרה\nסופרים\nקולות החיילים\nמעטפות כפולות \nפתקים

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La pierre d'achoppement entre le camp de droite et celui de la gauche se trouve dans leur relation à la foi et au judaïsme, et c'est la raison pour laquelle, Liberman ne fait pas partie du bloc de droite.

Lorsque le Premier ministre est monté sur scène et a parlé d'une ''grande victoire. Encore plus douce et grande que celle de 1996'', il ne s'est pas trompé dans sa lecture des faits, mais il les a embellis. Les 60 mandats que lui ont accordé les trois premières estimations télévisées se sont transformés en 59 alors qu'il n'était même pas encore arrivé là où le Likoud s'était rassemblé ce soir-là. Il espérait que ce chiffre de 60 revienne, mais le sceptique incurable savait qu'il pourrait même se transformer en 58. ''Cela va être très dur'', a-t-il confié à l'un de ses conseillers avant de revêtir son plus grand sourire et de monter sur scène devant ses soutiens.

Les remerciements qu'il a généreusement distribués étaient la preuve qu'ils savaient avoir encore besoin de tous ces gens. La liste des succès qu'il a énumérés et les promesses qu'il a lancées étaient ceux de quelqu'un qui n'a pas fini sa campagne et qui sait que l'hypothèse de quatrièmes élections est toujours plausible.

Deux chansons étaient diffusées ce soir-là, plusieurs fois avant le discours : l'hymne ''Binyamin, Yedid Hachem'' (Binyamin est l'ami de Dieu, ndlr) d'Ariel Zilber (mots : Rav Yedidia Shilo), et ''Mi shé maamin lo méfahed'' (celui qui croit, ne craint rien, ndlr) que Netanyahou a lui-même chanté sur scène, en duo, avec Regev Hod. Le passage du chant ''Halikoud zé na'hon'' à ''Binyamin Yedid Hachem'' décrit très bien le camp Netanyahou.

Une théorie répandue à droite prétend que Netanyahou est le leader du ''deuxième Israël'', mais il serait plus exact de parler de ''l'alliance des croyants''. Le dénominateur commun du camp n'est pas l'origine orientale, pas non plus le statut socio-économique faible, mais la relation à la foi et à la tradition juive. Les orthodoxes ashkénazes et séfarades, les sionistes religieux élitistes et traditionnalistes du Likoud sont reliés par un lien : leur rapport au judaïsme. Ce n'est peut-être pas un lien a priori, mais dans les faits, c'est là que passe la ligne de fracture de la politique israélienne. Le camp anti-Bibi face au camp Bibi se répartissent exactement de part et d'autre de ce ''et'' dans l'expression ''juif et démocratique''.

C'est la raison pour laquelle Israël Beitenou, parti d'olim qui correspond en tout point à ce ''deuxième Israël'', se trouve de l'autre côté de cette fracture, tout comme le nouveau parti travailliste de Peretz, d'Orly Lévy et d'Itzik Shmouli qui présentent un programme social pour les couches défavorisées et qui ont, depuis longtemps, laissé le rôle de successeur du Mapaï, à Bleu Blanc. Il y a aussi des croyants de ce côté, mais ce n'est pas leur drapeau.

De ce point de vue, le niveau de foi personnelle de Netanyahou ou de pratique religieuse – qui serait apparemment moindre que celui de Gantz – ne compte pas, tout comme le fait que Netanyahou soit ashkénaze, qu'il ait une grande maison et un niveau économique élevé, ne l'empêche pas de représenter les populations défavorisées (ce deuxième Israël). Netanyahou est peut-être moins pratiquant que Gantz mais sa conscience historique et la vision de son rôle dans l'histoire de l'éternité d'Israël se rapprochent de celles de Begin et de Ben Gourion.

Cette alliance de croyants a suivi Netanyahou depuis le début de sa campagne, avec la certitude étonnamment solide qu'il pouvait gagner. Cette foi s'avère justifiée après chaque élection. Le résultat est impressionnant. La victoire personnelle et politique brillante. Il a supplanté Bleu Blanc sur tous les plans : le plus grand parti, le plus grand bloc et si l'on analyse la majorité juive que Gantz et Lapid s'était fixée comme objectif, le fossé est sans appel. Mais tout cela peut se finir sans gouvernement.

Le prix de l'union

Avec 58 mandats pour le bloc de droite, la constitution d'un gouvernement s'avère très compliquée. Mais pour l'heure, le choix tourne toujours autour de Binyamin Netanyahou comme Premier ministre ou de quatrièmes élections.

Le bloc des 62 n'est pas un bloc. Il est comme de l'eau et de l'huile qui s'uniraient juste autour de leur haine de Netanyahou. Gantz, quoi qu'il arrive, ne pourra pas composer de gouvernement. Pour que cela se produise, il a besoin que Hiba Yazbeq et Avigdor Liberman, Yoaz Hendel et Ahmed Tibi se donnent la main. L'abstention de la liste arabe unifiée (que Liberman a rejetée la veille des élections) ne suffira pas pour un gouvernement minoritaire. Mais tous ceux-là sont prêts à coopérer pour une loi : un processus parlementaire qui changerait la Loi fondamentale pour empêcher toute personne accusée dans une affaire pénale de former un gouvernement. Ce serait personnel, sale, un changement radical des règles du jeu alors que celui-ci a déjà commencé, mais la possibilité existe bel et bien. Même si ce processus arrive à son terme, nous irons vers de nouvelles élections. Tout cela, en partant de l'hypothèse que la droite ne trahira pas son chef et que Netanyahou ne signe pas d'arrangement judiciaire.

Le scénario suivant lequel Netanyahou pourrait former un gouvernement repose sur le débauchage de trois députés de l'autre camp. Ce serait aussi sale et compliqué puisque cela supposerait de demander à trois députés de trahir leurs électeurs, et comme nous avons déjà pu le constater cette année, la probabilité pour que cela arrive est très faible.

Les deux côtés doivent accepter la situation. Au lieu de chercher des combines, ils doivent comprendre les rapports de force. Le peuple affirme qu'il n'y aura pas de résultats clairs. Plutôt que d'essayer d'humilier l'autre camp, il vaudrait mieux se diriger vers une union.

Cela suppose des renoncements de la part des partisans du Likoud (qui ont crié ''nous ne voulons pas d'union", le soir des élections) et de Netanyahou, au sujet des ministères, de lois concernant le système judiciaire. Des efforts aussi devront être faits chez Bleu Blanc – ou au moins une partie de Bleu Blanc, sans Lapid – pour accepter que Netanyahou dirige le gouvernement parallèlement à son procès. Le bon sens appelle à cette solution, mais il ne semble pas que les deux partis parviendront à laisser derrière eux les messages de haine de la campagne. Comment Netanyahou peut-il proposer un accord et une rotation à celui qu'il a présenté comme un danger pour Israël ? Comment Gantz peut-il permettre un gouvernement avec à sa tête celui qu'il a appelé ''Erdogan'' ?

Ce qui évitera peut-être de nouvelles élections, c'est la pression. La dernière fois, les deux camps pensaient qu'ils avaient à y gagner. Aujourd'hui, ils ont, tous les deux, peur de perdre. Netanyahou craint une loi qui l'empêcherait de gouverner et le renverrait à la maison justement après sa plus belle victoire. Gantz sait que des élections pourraient signifier son exclusion. Ses amis perdent patience. Ashkénazi est persuadé qu'il est plus compétent et plus populaire, Lapid a renoncé à la rotation et attend une récompense en retour.

 

L'alliance avec les Arabes

La campagne qui a motivé les électeurs du Likoud à aller voter, a aussi motivé les Arabes. Le slogan ''Gantz n'a pas de gouvernement sans Tibi'' a touché Gantz de manière significative au sein de l'électorat juif et dans le même souffle, a donné de l'espoir aux électeurs arabes. Pour la première fois, les Arabes israéliens ont senti qu'ils avaient un pouvoir d'influence.

Parmi les quinze mandats de la liste arabe unifiée, on trouve des députés de Balad - les nationalistes arabes, mais aussi de courants différents qui veulent faire avancer des sujets comme les constructions illégales, l'éducation ou les infrastructures chez les Arabes. Tant qu'ils courront sur la même liste, nous ne pourrons pas les différencier. Mais le jour où se lèvera une formation politique arabe qui renoncera à la lutte nationale contre l'Etat juif et se concentrera sur les questions citoyennes qui touchent à la vie quotidienne, il conviendra de lui tendre la main.

Le gouvernement de Netanyahou a investi des milliards de shekels dans le secteur arabe, plus que n'importe quel autre avant lui. Mais parallèlement, il a envenimé la dispute publique pour les besoins de sa campagne. Les électeurs juifs se sont éloignés de Bleu Blanc, les électeurs arabes ont voté en masse pour la liste arabe. Ce changement et la mobilisation croissante des Arabes d'élection en élection, sont des transformations profondes de la politique israélienne. Sur le long terme, ce sera justement la droite qui pourra conclure une alliance politique avec les Arabes israéliens.

 

Cela ne passe pas chez les sionistes religieux

 

Shass a obtenu 120000 voix de plus en 11 mois. Les partis sionistes religieux, dans leurs différentes alliances, ont perdu 60000 voix dans le même temps. Pendant que Derhy se renforce, le nombre de votants aux kippot crochetées qui choisissent le parti religieux, diminue.

La campagne de Shass, qui a été dirigée par deux personnes issues du sionisme religieux, était constante. On avait un dirigeant et non quatre. Il y avait un message permanent et clair. La loyauté envers Binyamin Netanyahou était franche. Traditions, lien à Israël, piyoutim. Sans zigzag et sans mauvais pas, et surtout sans querelles internes.

Shass, en restant fidèle à lui-même, a réussi à attirer plus d'électeurs non religieux que le parti sioniste religieux qui s'était engagé à une collaboration avec les laïcs. La réussite du parti orthodoxe séfarade, dont près de la moitié des électeurs ne sont pas orthodoxes, prouve qu'il y a une place pour un parti satellite à droite, aux côtés du Likoud, et accentue la question de savoir pourquoi chez les sionistes religieux, cela ne fonctionne pas.

La réponse se trouve, il semblerait, dans les egos de la direction, mais aussi dans l'ADN des électeurs. Les disputes qui déchirent le sionisme religieux sont trop profondes pour se réunir en un seul parti. En l'absence de base politique solide pour deux partis distincts, les électeurs se ruent vers le Likoud. Il y a la place pour un parti religieux sioniste torani, qui se préoccuperait des établissements, des yeshivot et qui bénéficierait du soutien des Rabbins. La branche libérale a, de toute façon, tendance à fuir le sectarisme, et donc ses représentants devraient s'intégrer dans le Likoud. Les trois dernières tentatives nous amènent à cette conclusion. Peut-être que quelqu'un sera capable de le comprendre d'ici les quatrièmes élections.

 

Source : Besheva

Photo by Olivier Fitoussi/Flash90

 
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