« La forme moderne de l’antisémitisme est de nier l’existence de l’État d’Israël », déclare en avril 2017 Antonio Guterres, le secrétaire général de « l'Organisation des Nations Unies » à la tribune du « Congrès Juif Mondial » (CJM). Trois ans passent. Le CJM attribue à Antonio Guterres le « prix Theodor Herzl ». A cette occasion, il réitère ses craintes face à la montée en puissance des néo-nazis et des suprémacistes blancs, des groupuscules qui portent l’antisémitisme, le racisme et la haine sous toutes ses formes.
27 janvier 2023, New-York - le secrétaire général de l’ONU dresse un bilan sombre de la situation actuelle. Il avertit - encore une fois - que l'antisémitisme, les discours de haine et la désinformation sont omniprésents.
Combien faudra-t-il de coups de semonces ?
27 janvier 2023, Bruxelles - le président israélien, Isaac Herzog, exhorte l’Union européenne à réagir : « Le tableau est profondément troublant. Le discours antisémite se répand non seulement au sein des régimes sombres, mais aussi au cœur de l’Occident libre et démocratique. La haine des juifs existe toujours. L’antisémitisme existe toujours. Le déni de l’Holocauste existe toujours. ».
A la suite du président israélien, Margot Friedländer, 100 ans, prend la parole. La survivante des camps de la mort, témoigne devant le Parlement.

27 janvier 2023, Paris - une géante d’un mètre cinquante-cinq entreprend (à 95 ans), l’ascension du Grand Auditorium de l'UNESCO. Raymond Riquier, le poumon de « l'Union des Déportés d'Auschwitz » aide (à peine) sa présidente et amie, à gravir les quelques marches qui la sépare du micro.
Une fois assise, elle prend son temps, jette un coup d’œil bref au grand écran derrière elle, regarde la salle, la jeune femme près d’elle, déplie deux feuilles de papier, s’approche du micro, inspire longuement et raconte : « Je m’appelle Isabelle Choko, je suis née Izabela Sztrauch Galewska à Lódz en Pologne, en septembre 1928. J’ai eu une enfance heureuse… » elle marque un temps et reprend : « J’ai été déportée à 15 ans à Auschwitz, puis à Bergen-Belsen. ».
Il n’y aura jamais rien de plus touchant que l’émotion d’Isabelle, à chaque étape de son récit. Elle a 11 ans en septembre 1939, les Allemands envahissent la Pologne. Lodz qui est la deuxième ville du pays, est à ce moment-là un pôle industriel majeur. Un ghetto y est établi le 30 avril 1940. Izabela, ses parents et quelques 164 000 Juifs y sont rapidement internés. Cette main d’œuvre à bas prix, sera exploitée par les nazis pendant plus de quatre ans.
Les conditions sont terribles dans le ghetto. La malnutrition et les mauvais traitements ont raison de la grand-mère et du père d’Izabela. Hersz-Motel Sztrauch, son père, décède le 20 décembre 1942, ses derniers mots sont pour sa chère fille : « Elle est grande, assez forte et intelligente. Elle s’en sortira. ».
Les prédictions d’Hersz-Motel se sont réalisées, Izabela a survécu à la géhenne, survécu à l’inimaginable, survécu aux sévices, survécu aux appels mortels dans la fange des camps de concentration, survécu au Kommando de travail, survécu au typhus, survécu à la mort de sa mère.
Jenta s’est sacrifiée pour sauver sa fille, elle meurt dans la nuit, à ses côtés. Quand Izabela se réveille à l’aube, elle prend sa mère inerte dans ses bras, la supplie : « Ne pars pas, je suis là, s’il te plaît, reste avec moi. ». Puis on vient lui arracher le dernier membre de sa famille, pour la jeter dans un charnier. Isabelle a survécu à ça. Elle témoigne, raconte ce traumatisme 73 ans plus tard.
Isabelle Choko évoque les survivants. Je fais les comptes. Il n’en restait plus que 152 000 en Israël, reconnus par l'État en 2019. Il en disparaît un millier chaque mois. L’oratrice parle ensuite des raisons pour lesquelles elle continue sa lutte, la désinformation. Je pense à une autre rescapée, la française Charlotte Delbo. En 1974, elle reçoit une lettre ignoble du négationniste Robert Faurisson qui lui demande si son sentiment sur l’existence des chambres à gaz a évolué depuis 1945. Charlotte Delbo est une résistante. Sa réponse cinglante paraît le 12 août dans les colonnes du journal « Le Monde », sous le titre : « Démythifier ou falsifier ».
Malheureusement Faurisson a fait des émules. La montée des extrémismes se multiplie encore et encore comme des cancers, souvent à la barbe des autorités.
Je comprends les inquiétudes de Roberta Metsola, la Présidente du Parlement Européen, qui insiste sur le fait que l'Holocauste ne s'est pas produit du jour au lendemain, que la sonnette d'alarme aurait dû être tirée bien plus tôt, que malgré les années qui nous séparent de l’Holocauste, il reste essentiel de continuer à témoigner parce que l'antisémitisme existe toujours, et que cette génération est la dernière à recevoir des témoignages directs des survivants. C’est exactement ça. Combien reste-t-il de témoins directs engagés dans le combat de la mémoire ? Qui mènera la bataille quand la dernière garde aura disparue ? Face à la barbarie, qui reprendra le flambeau, sur le dernier rempart ?
Eden Levi-Campana