Judaïsme

Roch Hachana: Les paroles du Chofar. Par Rav Moshé Botschko, z’l

8 minutes
15 septembre 2023

ParIsraJ

Roch Hachana: Les paroles du Chofar. Par Rav Moshé Botschko, z’l
Photo by David Cohen/FLASH90

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Téqi‘a… chévarim… térou‘a… téqi‘a…

Que nous disent-ils ces sons mystérieux, tantôt mélancoliques, tantôt puissants, que nous écoutons avec ferveur le jour de Roch Hachana ? Langage imagé, plus fort que toute parole, ne sont-ils pas l’expression profonde et intense d’une pensée qu’il faut accueillir aux tréfonds de l’âme, où elle vibre déjà dans l’inconscient ?

Roch Hachana, le début de l’an, commémore l’anniversaire de la création qui, selon la tradition, fut achevée le premier Tichri. Mais il ne s’agissait pas d’une création arrêtée de l’univers. Nous ne célébrons pas un événement d’intérêt purement historique, sans retentissement actuel sur notre être, notre existence.

En ce premier Tichri de l’an un, naquit un univers plein d’énergie, de puissance, où l’homme était appelé à jouer un rôle primordial. Il aurait à découvrir ses énergies, à développer ses puissances, en y ajoutant le facteur humain qui imprimerait à cet univers une direction. Car cet univers n’aura finalement que le sens que l’homme lui insufflera, devenant ainsi l’associé de Dieu dans la création.

Hélas ! L’homme oublie souvent qu’il est l’un des piliers de l’univers. Il agit comme n’existant que pour lui-même, ignorant d’ailleurs sa propre vocation. Ainsi, au lieu de contribuer au développement de l’univers, il s’en détache. Au lieu d’être son soutien, il y devient un facteur non intégré, donc négatif.

Cette éventualité n’a pas échappé au Créateur ; aussi a-t-il doté l’univers d’agents correcteurs : la douleur, la souffrance, la mort, dont le rôle est d’empêcher le monde de tomber dans un chaos moral et spirituel. Ils amènent l’homme à se ressaisir, et l’univers, passant à travers des hauts et des bas, se remet sur orbite pour continuer sa marche vers sa finalité.

Roch Hachana est appelé Yom Hazikaron, jour du souvenir. C’est que chaque année, à pareille époque, Dieu se « souvient » du jour de la création, ce qui veut dire que, passant en revue l’an écoulé, et plus largement toute l’histoire depuis la création, il juge si cette marche va dans le sens de la création ou à l’opposé. À chaque Rosh Hachana, la création subit un nouvel examen. Ata zokher ma‘assé ‘olam… lisons-nous dans la prière de Moussaf de Roch Hachana : « Tu te souviens des événements de jadis, et tu te rappelles toutes les créations depuis toujours… Ton regard pénétrant va jusqu’à la fin de toutes les générations… Ce jour fut le commencement de Tes œuvres… C’est le jour du jugement de Dieu sur Jacob. »

Lorsque nous fêtons l’anniversaire de la création, il s’agit donc d’une rétrospective, d’un Yom Hazikaron où nous voyons se dessiner devant nous toute l’histoire depuis la création de l’univers, telle que Dieu la juge en fonction de sa conception et de sa finalité. Nous passons en revue cette suite fulgurante d’espoirs et de déceptions, de joie et de tristesse, de progrès et de ruines, de vie et de mort.

Pour celui dont la vision est étroite, localisée sur l’événement, cette histoire n’est qu’un tohou vavohou, un état chaotique sans direction ni sens. Mais pour qui s’élève à une vue plus large et cherche à dégager une ligne directrice, il devient clair que toute chose, même la détresse et la mort, s’inscrivent dans cette perspective ; que tous ces accidents apparents servent en fait à conduire le monde vers sa finalité. C’est ainsi que, le premier jour de l’an, dès que l’homme fut créé, son histoire fut placée sous le regard de Dieu.

Le chofar lui aussi nous aide à comprendre l’histoire, sa conception, son dénouement et sa finalité.

Téqi‘a –––, le son égal, rectiligne, c’est l’origine, l’univers créé par Dieu, sans faille : tout est parfait, tov méod, un monde qui devait permettre à l’homme d’évoluer dans une harmonie sans défaut. Hélas ! il y a des chévarim – – –, des cassures : celle d’un monde brisé par l’homme, bien proche souvent de l’agonie. Mais ces chévarim sont bien vite suivis par la térou‘a, un réveil souvent dramatique, fait de souffrance et de pleurs. Mais ce n’est jamais pour s’arrêter là : il s’agit de revenir à la téqi‘a, à la ligne droite ; de redonner à l’univers son orientation. Ainsi, de revirements en rebondissements, le monde marche vers la téqi‘a guédola, vers ce yom hagadol, ce grand jour, cette droiture qui ne connaîtra plus de déviation, quand le monde entier aura saisi le dessein du Créateur et s’associera à Lui de manière parfaite et durable.

Tout comme le monde, l’individu a son propre chofar, ses espoirs et ses déceptions, ses satisfactions et ses déchirements, des moments sublimes où il s’épanouit, d’autres où il s’égare. Pourtant il fut lui aussi créé à l’origine de manière parfaite, avec comme potentiel une vie éternelle, éternelle dans chaque instant. Non pas faite du seul passé, chaque moment vécu tombant aussitôt dans l’oubli. Une vie, au contraire, qui se déroule dans un présent continu.

Le Midrach nous raconte que, au moment de sa création, Adam était aussi grand que le monde mesuré d’un bout à l’autre ; qu’il remplissait à lui seul toute l’atmosphère, qu’il embrassait du regard toute chose, jusqu’à la fin des temps. Ce que le Midrach veut nous dire dans ce langage poétique, c’est que l’homme était alors lié à Dieu, à l’infini, comme il est dit au Psaume 145 : « Ton règne est le règne de tous les mondes et de toutes les générations. » Il transcendait l’espace et le temps.

L’homme qui, par son corps, est limité dans son être et dans son champ d’action, peut néanmoins se dépasser et considérer sa propre personne comme une partie de l’infini ; sentir son appartenance à un monde en mouvement, dont il doit être lui-même le moteur, grâce à son contact avec cet infini. C’est ainsi qu’Adam, au début, avait une grandeur intérieure que ne limitaient ni son corps restreint ni le temps limité. Par son âme, il voguait bien au-delà et pouvait s’enrichir de la totalité de l’existence. Mais il goûta du fruit défendu, c’est-à-dire que, trop souvent tenté par le plaisir et le confort immédiats, il se diminue, ne pense qu’à l’instant et à ses quatre coudées. Voué à l’infini, il se limite à n’être que le petit homme de tous les jours.

« Le jour où tu mangeras de ce fruit, tu mourras », veut dire, peut-être, que le plaisir que tu recherches n’est que celui de l’instant, consumé et oublié aussitôt que pris. Tel est le défi proposé à l’homme jour après jour : un choix entre l’éternel et le passager, l’important et le futile, la grandeur et la petitesse, la vision large ou limitée.

Oumotar haadam min habehéma ayin : « La supériorité de l’homme sur l’animal ? néant. » Ce verset a pu s’interpréter ainsi : la distinction entre l’homme et les autres créatures se trouve dans les lettres du mot ayin, soit alef, yod et noun final.

L’homme à l’origine représente le alef, la première lettre de l’alphabet, le chiffre un, le début qui permet à l’homme d’édifier le monde selon ses conceptions ; il peut construire, il peut détruire ; à l’aide du yod, cette petite étincelle de l’âme divine qui se trouve en chacun, il peut se raccrocher à l’infini, figuré par la longue ligne du noun final.

Préoccupé l’année durant par ses soucis et ses plaisirs quotidiens, l’homme oublie sa vocation, sa grandeur. Mais Roch Hachana, le jour de sa création, il est appelé à se dépasser, à franchir ses limites étroites pour considérer l’univers, l’histoire, Dieu, l’infini. Dans nos prières de Roch Hachana, nous faisons appel à cette vision messianique, avec ce leitmotiv : Melokh ‘al kol ha‘olam koulo bikhvodèkha, « Étends ton règne sur le monde tout entier, que chaque individu reconnaisse que c’est Toi qui l’as créé ». Et le son du chofar de nous rappeler tout ce que l’homme est appelé à faire, à créer, à travers peines et obstacles.

Avant tout, il doit se créer lui-même, se donner cette dimension de l’infini, se nourrir de cet « arbre de vie », nourriture spirituelle. Alors lui qui, au début, est représenté par le alef ou la simple téqi‘a, il pourra passer, à travers toutes les vicissitudes des chévarim et de la térou‘a, jusqu’à atteindre, en sa personne et dans l’humanité, à la téqi‘a guédola.

En définitive, c’est l’homme qui, moyennant le petit yod que chacun porte en soi, peut former et transformer le monde. De lui dépend qu’il prenne la direction voulue par les principes éternels de justice et de bonté. Alors vé‘assou koulam agouda a‘hat – toute l’humanité reconnaîtra le règne d’Hachem.

Téqi‘a, chévarim, térou‘a, téqi‘a guédola.

 

Genèse i, 31 : Et Dieu vit tout ce qu’Il avait créé, et Il le trouva parfait.

Selon Rachi s/Béréchit ii, 4.

Ecclésiaste iii, 19.

Voir Rachi s/Genèse ii, 4 et Béréchit Rabba xii, 10 : « le monde qui vient est représenté par le yod. »

 

 

Extrait de l'ouvrage du Rav Shaoul David Botschko ''A la table de Shabbat''

Pour se procurer l'ouvrage:

hesder2@gmail.com
029972023

 
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