Park Tzameret, Tel Aviv, Israël
La ville blanche dormait sous ses rideaux de béton. Ilan regardait les feux arrière d’un taxi filer dans la brume. David se tenait debout, devant la fenêtre.
« On a provoqué une onde dans leur réalité. Une onde qu’ils ne peuvent pas nommer. »
« Vous croyez que c’est assez ? »
David resta silencieux. Puis il déclara, presque à voix basse : « Ce n’est jamais assez. Mais ça va nous permettre de faire le ménage. Ils vont se terrer et nous allons les déterrer. »
Il alluma une radio portative. Une station iranienne. Au loin, des voix tremblantes parlaient de malédictions technologiques. De bipers maudits. De sorciers sionistes. De magie noire.
Marais, Paris, France – au même moment
La pluie avait cessé, mais l’air restait glacé. Moïse, Yaël et Yonatan s’étaient donné rendez-vous dans un bar discret du Marais - lieu choisi pour leur ultime stratagème. Le plan était simple : appâter la taupe. L’appât ? Une information sensible, fausse mais crédible, distillée dans les réseaux internes : l’acheminement d’un composant clé pour l’enrichissement de l’uranium iranien, et une rencontre avec un scientifique français, supposément proche de son gouvernement, probablement en lien avec l'Iran. Installés à une table près du comptoir, les trois agents attendaient.
Quelques minutes plus tard, un homme dans la soixantaine entra, trench-coat, lunettes teintées. Il se dirigea droit vers eux, sans hésiter. La conversation, feutrée, jouait de demi-teintes. Sous les banalités, les sous-entendus s’épaississaient. Le scientifique confirma, de manière oblique, l’existence d’un programme clandestin. L’Iran a déjà enrichi l’Uranium, ils sont au seuil de la bombe, mais le danger est ailleurs. Tout se déroulait comme prévu. Jusqu’à ce que Yaël, sans tourner la tête, désigne du regard un homme, près de la sortie, qui tendait l’oreille. Un visage inconnu. Probablement un soldat d’Al-Nassiri.
Quelques secondes plus tard, Bahram Al-Nassiri et ses hommes surgirent dans la rue.
« Je ne le crois pas, ils sont en France. »
Yaël, Moïse et Yonatan s’éclipsèrent par la sortie secondaire. Un homme tenta de les bloquer.
Yonatan murmura : « On est bon. Allez-y. Je les retiens. »
« On est bon ? » Moïse suivit Yaël, sans comprendre tous les détails du plan. Ils contournèrent le bâtiment - une, deux, trois rues - pour revenir en façade, à quelques mètres de leur point de départ. Là, un véhicule sombre. Moteur allumé. À l’intérieur : Jarod. Moïse tressaillit. Mais Yaël souriait. Ce stratagème avait déjà fonctionné. Pas pour coincer une taupe cette fois. Pour l’identifier. Ils continuèrent à pied, rue du Temple, jusqu’au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme. Accolée à ses murs, une galerie d’art, discrète « Saphir. »
« On n’attend pas Yonatan ? », demanda Moïse, encore essoufflé.
« Il va se débrouiller », répondit Yaël sans se retourner.
Elle avait les clés. Ils entrèrent. Descendirent un escalier dissimulé. « Ce n’est pas juste une galerie de peinture » souffla-t-elle.
Elle activa un panneau caché derrière un vieux puits. Une porte coulissante s’ouvrit sur un monte-charge. « Monte, vite ! »
Moïse grimaça. Il n’aimait pas les espaces clos. Ni les automatismes. L’ascenseur descendit en silence. Long. Trop long. Une descente au Géhenne.
Puis, soudain : un appartement de luxe, enfoui sous les fondations de Paris. « Une de nos planque », dit simplement Yaël. Elle vérifia les lieux. Moïse, tendu, observait sur des écrans allumés des flux cryptés. Il ne comprenait pas tout mais son cerveau enregistrait les informations, à son insu. Yaël savait quoi faire. Les caméras, les enregistrements. Une base de surveillance souterraine. Tout lui était familier.
« On a ce qu’il nous faut ici » reprit Yaël. « C’est Jarod, la taupe. David va s’en charger. »
Moïse grogna. Quelque chose ne tournait pas rond. Yaël alluma une radio civile. C’est comme ça qu’ils apprirent l’affaire des bipeurs. Yaël alluma la radio. Un flash info, saccadé, capté sur une fréquence internationale. Voix radio : « … explosions en chaîne dans plusieurs pays… plus de 3 à 5 000 victimes, morts et blessés… tous portaient le même type de dispositif de communication… sources non officielles évoquent une opération israélienne de grande ampleur… »
Moïse se figea. « Quoi ? Qu’est-ce qu’ils ont dit ? »
Yaël augmenta le volume. Une autre voix relayait les premières analyses : « … technologie de type ‘bipers’ utilisée pour identifier et localiser des éléments des Gardiens de la Révolution et du Hezbollah… tous activés dans la même fenêtre de vingt minutes… »
Yaël se tourna lentement vers Moïse. « Wow. J’ai compris. Nous avons distribué des bipers aux pions du régime. Et David devait le savoir. »
Moïse se redressa brutalement. « C’est pour ça qu’il ne voulait pas que l’on bouge ce soir. » Il regarda Yaël, livide. « Il savait. Il a lancé la tempête. Et nous, on est en plein dedans. »
Yaël pianota sur la tablette sécurisée. « Attends… voilà. Regarde. C’est une carte satellite. Paris. Quartier du Marais. Les signaux des bipers activés, il y a dix minutes. Regarde cette rue… cette façade … »
Moïse recula d’un pas. « C’est le bar. Là où on était avec le scientifique. »
Un point rouge clignotait encore. « Lui aussi avait un biper. »
Yaël souffla, terrassée. « C’était notre appât. Mais c’était aussi un maillon de leur chaîne. Le Mossad l’a ciblé. Et Al-Nassiri l’a repéré en même temps que nous. »
Moïse blêmit. « Yonatan ! »
Yaël zooma sur les données. « Il était là. Trop proche du porteur ciblé. »
Moïse lui répondit : « Tu crois qu’il est mort dans l’explosion ? »
Silence.
Yaël, penchée sur l’ordinateur crypté, activa une liaison sécurisée. Moïse, en retrait, fixa l’écran principal. Des signaux rouges se mirent à clignoter.
« Regarde ça, dit-elle d’une voix blanche. »
Moïse s’approcha. Sur la carte, deux cercles s’affichaient, à peine espacés : Explosions – 21h47 et 21h49.
« C’est le bar. Et… c’est quoi, ça ? Là, juste devant ? »
Yaël fronça les sourcils. « Jarod, il devait avoir un bipeur. » lui répond Moïse. « Et Yonatan ? »
Elle saisit une tablette, tapa frénétiquement. « Il a réussi à s’échapper… »
Yaël regarda les flux vidéo. Une caméra de surveillance extérieure avait capté Jarod. L’explosion du biper, puis lui qui git au sol. Yonathan sortit du bar en titubant.
Moïse murmura : « Ils l’ont vu. »
Sur la vidéo il voit Yonatan, traîné hors champ.
Pendant ce temps – quelque part dans Paris
Quand il reprit conscience, les poignets de Yonatan étaient liés derrière son dos. Son corps gémissait dans l’étroitesse d’un coffre de voiture. L’odeur du cuir mêlée à celle de la poudre et du béton. Le moteur ronronnait. Il roulait. Il ne savait pas depuis combien de temps. Puis la lumière. On l’extirpa, brutalement. Traîné à travers une cour, puis des escaliers de ciment ruisselants d’humidité. Un espace clos. Faiblement éclairée. Et ce visage. Bahram Al-Nassiri. Penché sur lui, l’œil terne, mais la bouche tordue d’un rictus presque affectueux. « Où sont les deux espions ? »
Yonatan serra les dents. La question était attendue. La suite, une partition connue.
Mensonges, planques obsolètes, trajets délibérément erronés, rendez-vous imaginaires.
Chaque mot : un coup de poing. Chaque silence : une décharge. Il mordait ses lèvres pour ne pas hurler. Il connaissait les règles. Tant qu’il tenait, il gagnait. Et chaque seconde tenue était un souffle offert au Mossad pour le retrouver.
Au matin, il avait perdu espoir. Le Mossad serait déjà arrivé. Ses tortionnaires décidèrent de le déplacer. Il ne résista pas. Il fit semblant de ne plus avoir de forces. Ils le hissèrent dans une camionnette banalisée, puis le transportèrent dans un immeuble anonyme en banlieue parisienne. Des cages d’escalier délabrées. Un ascenseur en panne. Yonatan se laissa porter, chancelant. Mais ses yeux, eux, guettaient. Une fenêtre. Un souffle d’air. Et soudain, la fulgurance du désespoir. Il ne se rendrait pas, il ne parlerait pas. Une épaule lancée. Le bruit sec du verre brisé. Et le vide. Il tomba. Six étages. Le trottoir l’accueillit avec un bruit sourd, inhumain. Un cri. Puis un autre. Une femme. Un passant. Quelqu’un appela les secours. Une sirène au loin. Au-dessus, Al-Nassiri regardait la scène, impassible, depuis l’embrasure brisée. Il soupira. « Un mort ne parle pas. »
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