Culture

Vers un Facebook juif médiéval ?

Grâce au projet MiDRASH et à un nouvel outil de transcription piloté par intelligence artificielle, les chercheurs peuvent désormais explorer les 400 000 documents de la Gueniza du Caire, la plus vaste collection d’archives juives médiévales au monde, une avancée majeure qui permet d’ouvrir un pan entier de l’histoire juive au grand public comme aux spécialistes.

3 minutes
26 novembre 2025

ParNathalie Sosna Ofir

Vers un Facebook juif médiéval ?
Fragment d’un livre de prières de Yom Kippour découvert dans la Gueniza du Caire datant des XIᵉ siècle, Collections de la Bibliothèque nationale d’Israël

Désolé, votre navigateur ne supporte pas la synthèse vocale.

La Gueniza du Caire, plus grande collection au monde de documents juifs médiévaux, a occupé des générations de chercheurs depuis plus d’un siècle et des spécialistes en Israël espèrent réaliser de nouvelles découvertes sur l’histoire juive en intégrant une base numérique de manuscrits millénaires dans un nouvel outil de transcription reposant sur l’intelligence artificielle. Les 400 000 documents de la Gueniza ont été numérisée, mais seule une petite fraction a té étudiée en profondeur. Bien que toutes les images soient en ligne, la majorité des fragments ne sont ni catalogués ni reconstitués, et seulement environ 10 % disposent d’une transcription.

En entraînant un modèle d’IA à lire et transcrire ces textes anciens, les chercheurs peuvent accéder à l’ensemble de la collection beaucoup plus rapidement : recherche de noms, assemblage de fragments, comparaisons linguistiques entre hébreu, arabe, araméen ou yiddish.

« Nous cherchons en permanence à améliorer la capacité des machines à déchiffrer les écritures anciennes », explique le chercheur Daniel Stokl Ben Ezra de l’École Pratique des Hautes Études à Paris, l’un des responsables scientifiques du projet.

Le projet, financé par le Conseil européen de la recherche, et qui répond au nom de MiDRASH, repose sur la base numérique de la Bibliothèque nationale d’Israël. Il réunit des chercheurs de plusieurs universités.progresse rapidement. Les manuscrits difficiles sont relus par des spécialistes, ce qui enrichit l’entraînement du modèle. « Les outils de traduction modernes sont devenus incroyablement performants ; combiner tout cela rend la matière beaucoup plus accessible, non seulement aux chercheurs mais aussi au public », ajoute Stokl Ben Ezra.

Parmi les documents déjà transcrits figure une lettre en yiddish du XVIᵉ siècle : Rachel, veuve de Jérusalem, écrit à son fils en Égypte. Celui-ci ajoute dans les marges sa réponse, décrivant comment il tente de survivre à une épidémie ravageant Le Caire.

Qu’est-ce qu’une Gueniza ?

Une gueniza est un dépôt situé généralement dans une synagogue destiné aux documents religieux ou importants devant être enterrés rituellement. Celle de la synagogue Ben Ezra, dans le vieux Caire, offrait un climat sec idéal à la conservation du papier. Au Moyen Âge, Le Caire, centre du commerce mondial, du savoir et des sciences, surpassait Damas et Bagdad. Sa communauté juive florissante s’était agrandie après l’arrivée de réfugiés expulsés d’Espagne. Le philosophe juif Maïmonide — médecin de la famille de Saladin — priait dans cette synagogue lorsqu’il résidait en Égypte. Pendant des siècles, la communauté a déposé dans la Gueniza ses écrits administratifs, juridiques, religieux ou personnels, créant un fonds exceptionnel, comprenant même des documents manuscrits de Maïmonide. Découverte à la fin du XIXᵉ siècle, la Gueniza fascine depuis, mais sa taille gigantesque a laissé de vastes pans inexploités.

La possibilité de reconstruire la vie de toute une société, de reconstituer presque un Facebook juif du Moyen Âge, est, selon les chercheurs, à portée de main.