Société

Réhabiliter la mémoire de l’exil forcé des Juifs d’Afrique du Nord et d’Orient

Cette tragédie est commémorée en Israël le 30 novembre

4 minutes
1 décembre 2025

ParJohanna Afriat

Réhabiliter la mémoire de l’exil forcé des Juifs d’Afrique du Nord et d’Orient
Juifs du Yémen sur la route de l'exil Photo : Wikimedia Commons

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L’histoire a commencé il y a une quinzaine d’années, alors que Gérard Darmon se trouvait devant un tableau représentant le martyre de Sol Hachuel, une jeune fille juive de 17 ans décapitée à Fès, au Maroc, en 1834. Bouleversé par cette œuvre, ce maître de conférence en biophysique en Faculté de médecine à Paris qui est aussi artiste-peintre et auteur, a alors réalisé que toute la vérité n’avait pas été dite à propos de l’histoire des Juifs d’Afrique du Nord et d’Orient. Que le récit qu’on en faisait était au mieux édulcoré, au pire travesti – y compris par les Juifs eux-mêmes : « La plupart des personnes de mon entourage qui avaient immigré de ces pays évoquaient leurs bons souvenirs, allant jusqu’à parler d’un âge d’or dans les relations israélo-arabes. Ces récits ne reflétaient en rien les brimades et les persécutions qui les avaient poussés à fuir. J’y vois une sorte de syndrome de Stockholm, sans compter la douleur qui pousse à la sélectivité de la mémoire », analyse Gérard Darmon.

Lui est alors venue l’idée de recueillir les récits de souffrance et d’exil de ces personnes afin de contribuer à faire la lumière sur cette page d’histoire trop négligée. Intitulé « La clé de ma maison », en référence aux Palestiniens qui brandissent leur clé devant les caméras du monde entier pour signifier qu’ils ont été chassés de chez eux par les Juifs en 1948, ce projet ne cache pas sa vocation éminemment politique : contrebalancer le narratif relatif aux réfugiés palestiniens, en montrant que les exilés ne sont pas ceux que le monde croit, et obtenir reconnaissance et réparation pour les populations juives chassées de leurs terres natales. Il s’agit aussi de renforcer la légitimité d’ Israël sur le plan international en démontrant que les agissements des pays musulmans à l’égard de leurs populations juives ont été un facteur déterminant d’Alyah et donc de développement de l’État juif.

Ministère israélien des Affaires étrangères

Contraint par la suite de mettre son projet de côté par manque de financement, Gérard Darmon a tout de même eu le temps de le présenter au ministère de la Justice israélien – petite pierre apportée au grand édifice de la mémoire des Juifs orientaux, comme on les désigne dans l’État hébreu.

L’Etat hébreu n’a malheureusement pas été plus prompt que le reste du monde à mettre en avant le destin brisé de ces communautés d’Afrique du Nord, d’Égypte, d’Irak, d’Iran, de Syrie, du Liban, du Yémen et de Libye, qui forment pourtant plus de la moitié de sa population. Les choses n’ont commencé à changer que depuis une dizaine d’années. Le 23 juin 2014, la Knesset a adopté une loi établissant le 30 novembre comme Journée nationale de commémoration du départ et de l'expulsion des Juifs des pays arabes et d'Iran – une date choisie pour sa proximité symbolique avec le Plan de partage de la Palestine adopté par l'ONU le 29 novembre 1947, après lequel de nombreuses communautés juives au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont commencé à être victimes d’hostilité et à subir des pressions.

Depuis 2016 et la Commission Biton mise en place par Naftali Bennett, alors ministre de l’Éducation, les programmes scolaires se doivent quant à eux d’intégrer des chapitres sur la culture des Juifs « mizra'him » et leurs contributions, et d’inclure l’étude d'auteurs et de poètes issus de cette immigration.

Dans le même temps, des initiatives de plus en plus nombreuses ont été prises afin de susciter une prise de conscience dans l’arène internationale. En septembre dernier, l’organisation internationale Justice pour les Juifs des pays arabes (JJAC) a soumis au Conseil des droits de l’homme de l’ONU onze rapports inédits retraçant le sort des communautés juives du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Fruit de cinq années de recherche, ces documents dressent un tableau sans précédent du déclin – souvent jusqu’à la disparition – de communautés millénaires, ainsi que des pertes matérielles colossales qu’elles ont subies. Une avancée diplomatique qui espère en amener beaucoup d’autres.

A l'occasion de la Journée du 30 novembre de cette année, le ministère des Affaires étrangères israélien a publié sur X un message cinglant dénonçant la responsabilité de l'ONU dans la précarité des Palestiniens : "Pendant des décennies, l’UNRWA a entretenu le statut de réfugié palestinien, le transmettant de génération en génération au lieu d’aider ces populations à reconstruire leur vie. Après 1948, 700 000 Juifs expulsés des pays arabes et d’Iran ont trouvé refuge en Israël. Ils ont été pleinement intégrés et sont devenus des contributeurs majeurs à la société israélienne. C’est ainsi que se résout une crise de réfugiés : par l’intégration, la dignité et la construction d’un avenir, non par la dépendance institutionnalisée que promeut l’UNRWA.

Article paru dans le numéro 1805 d'ActuJ

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