Culture

L’HATIKVAH film musical by ADAMA – EDEN

Il est des hymnes que l’on écoute debout, main sur le cœur, souvent trop guerrier comme un rituel d’État. Et il en est un — L’Hatikvah — que l’on reçoit en silence, les paupières entrouvertes sur les larmes.

5 minutes
1 mai 2025

ParGuitel Benishay

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Il est des hymnes que l’on écoute debout, main sur le cœur, souvent trop guerrier comme un rituel d’État. Et il en est un — L’Hatikvah — que l’on reçoit en silence, les paupières entrouvertes sur les larmes. Ce chant, que l’on croit connaître, que l’on fredonne parfois à la volée, est en vérité une prière laïque, un kaddish mis en musique, le souffle d’un peuple dispersé qui n’a jamais cessé d’attendre son retour.

Né d’un poème écrit en 1878 par Naftali Herz Imber, un jeune juif galicien inspiré par les idéaux du renouveau national juif en Eretz Israël, Tikvatenu (« notre espoir »), devenu Hatikvah (« l’espoir »), traverse l’histoire comme un fil tendu entre les ruines de Jérusalem et les murs du ghetto, entre les cendres d’Auschwitz et les ruelles de Sdérot. Il est chanté à voix basse dans les caves de Varsovie, hurlé par les rescapés de la Shoah débarquant à Haïfa, chuchoté par les soldats sur la route de Jérusalem en 1948, et repris aujourd’hui dans les rues de Paris, Bastia, New York ou Tel Aviv, par les familles des otages du 7 octobre.

Car L’Hatikvah n’est pas un chant de victoire. C’est un chant de survie.

Le 7 octobre 2023, jour de Sim’hat Torah et de Shabbat, a ouvert une plaie nouvelle dans la chair du peuple juif. L’attaque sans précédent du Hamas — organisation islamiste terroriste palestinienne — a coûté la vie à 1 189 personnes dont 37 enfants, 815 civils, blessé plus de 7 500 autres, et vu l’enlèvement de 251 âmes vers les tunnels de Gaza. 58 sont encore retenues. 34 seraient mortes. Pour la communauté juive mondiale, cette journée n’est pas seulement un massacre : c’est un pogrom moderne, un effondrement moral, suivi d’une vague négationniste.

Et face à cette horreur, que reste-t-il ? Un chant.

Kol od balevav penimah, nefesh Yehudi homiyah…

 « Tant qu’au fond du cœur, l’âme juive palpite… »

Ces mots qui ouvrent L’Hatikvah, qui résonne aujourd’hui sur la place des otages à Tel Aviv, dans les synagogues, les manifestations, les écoles, les hôpitaux, les cimetières. Elle incarne la tikvah, ce mot hébraïque qui signifie non seulement l’espérance, mais aussi le fil — tikvah vient de kav, la corde — qui nous relie les uns aux autres, d’un siècle à l’autre, d’un exil à l’autre.

Le clip musical de L’Hatikvah, interprété par le groupe Adama, porté par la mise en scène sobre et habitée du journaliste et cinéaste Eden mis en image et produit par Rachel A. Silberman (Balagan films), incarne cette tension entre douleur et espoir. Quatre danseurs — Sarah Ashel, Lydia Haouzi Barbas, Emy Bens’, Patrick Delbart-Gondrée — y tracent des gestes de rupture et de reliance, comme des lettres d’un alphabet ancien qui tente encore de dire l’indicible. Leurs corps deviennent des prières, des psaumes en mouvement, une fuite dans un tunnel, un morceau de tissus que l’on déchire, celui du deuil, celui dans lequel on s’enveloppe et qui devient l’emblème de la libération des otages.

Mais ce film est aussi une œuvre chorale. Il assemble les fragments d’un engagement collectif : les visages du de Studio Qualita, d’ActuJ, d’IsraJ, d’AJ Mag, de « Netsah », du « Collectif Tous 7 octobre », de « The Truth », du « Collectif Nous vivrons », de « Schibboleth – Actualité de Freud », d’« Agir ensemble », d’« Elnet », du « Forum des familles des otages », du « Crif », du « Fonds Social Juif Unifié », de David Reinharc Editions, de Marseille-Cassis Bring them home, de la Nuit des Etoiles, de l’ECUJE . Toutes ces Institutions, Collectifs et associations, depuis plus de 18 mois (et bien avant), maintiennent vivant ce fil, cette tikvah. Les images, extraites pour la plupart d’un documentaire en cours sur lequel Eden travaille depuis ce shabbat noir, racontent ce que les chiffres taisent : les visages, les mains, les silences, les cœurs ébréchés.

Dans le judaïsme, l’espoir n’est jamais naïf. Il est lucide. Il se construit sur les ruines, comme les enfants d’Israël l’ont fait après chaque exil, chaque destruction du Temple, chaque bûcher. Le Talmud enseigne que kol Yisrael yesh lahem helek le’olam haba— « tout Israël a une part dans le monde futur » (Sanhédrin 90a) — mais il ne dit jamais quand, ni comment. L’attente si centrale dans la tradition juive, n’est pas une fuite : c’est une posture. Une résistance.

Ainsi Hatikvah, dans son texte même, affirme que le peuple juif est un peuple de l’entre deux mondes, entre l’ici et l’ailleurs, entre Eretz Israël et la diaspora, entre le ciel et la terre  :

Ayé lefa’at mizrach,

Ayin letzion tzofiyah

 « Nos regards tournés vers l’Orient, vers Sion qui nous appelle »

Ce regard vers Jérusalem est moins une géographie qu’un horizon spirituel. Comme l’écrit Emmanuel Levinas, « l’âme juive est une nostalgie ». L’espérance juive n’attend pas le miracle : elle le sème, chaque jour, à travers l’étude, l’action, la mémoire. Elle refuse le silence.

En ces jours de combats, alors que les enfants d’Israël luttent pour leurs survie, l’Hatikvah devient plus qu’un hymne. Il devient le chant de ceux qu’on a voulu faire taire. Il devient la voix d’un peuple que ni l’exil, ni les pogroms, ni les camps n’ont pu effacer.

C’est ce qu’ont compris ceux qui ont porté ce projet : faire de la musique un acte de résistance, de la danse un témoignage, de l’image un sanctuaire. Et rappeler que tant que l’âme juive palpite, tant que des enfants récitent le Shema Israël avant de dormir, tant que des mères allument les bougies du shabbat dans les décombres, l’espoir vit.

Car L’Hatikvah n’est pas seulement un chant. C’est une réponse. À la mort, à l’exil, à la haine.
Une réponse juive : humaine, fragile, inébranlable. Le rire et les pleurs des familles de ces otages qui reviennent dans un hélicoptère et d’autres dont nous n’entendrons plus jamais le son de la voix, parce que juifs. C’est pour eux que nous chantons l’HATIKVAH.

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