Culture

Les Aventures Extraordinaires de Moïse Levy SAISON 2 - Episode 1 Hatikvah

Kibboutz Shtetl Gan Eden, Israël Recruté par le Mossad, Moïse Levy n’est jamais retourné sur le terrain depuis 26 mois. Il a repris le cours tranquille de sa vie au kibboutz, une existence rythmée par les lois de la terre et celle des saisons, loin du tumulte du monde.

10 minutes
16 mai 2025

ParGuitel Benishay

Les Aventures Extraordinaires de Moïse Levy SAISON 2 - Episode 1 Hatikvah

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kibboutz Shtetl Gan Eden, Israël

Recruté par le Mossad, Moïse Levy n’est jamais retourné sur le terrain depuis 26 mois. Il a repris le cours tranquille de sa vie au kibboutz, une existence rythmée par les lois de la terre et celle des saisons, loin du tumulte du monde. Il partage ses journées entre ses champs de pommiers et la startup de son fils Dov, qu’il aide à l’atelier. Startup, un nom bien pompeux pour parler d’une micro-entreprise artisanale de fabrication de bougies parfumées.

 

Deux ans plus tôt, Dov est devenu orphelin et Moïse l’a adopté, à sa demande. Cette paternité nouvelle, les tâches du kibboutz, l’odeur de la cire chaude, tout cela offre à Moïse un répit bienvenu. Dov, un petit roublard du marché de Tel-Aviv, devenu un gamin du kibboutz « Shtetl Gan Eden », un marqueur de l’avenir, une promesse de bonheur. Moïse voit en lui le fils qu'il n'a pas eu avec Yaël. Il regarde avec admiration et fierté, cet enfant des rues grandir, devenir un jeune homme opiniâtre, habile de ses mains, plein d'une fougue bavarde. C’est simple, Dov parle tout le temps, comme s’il fallait tout faire, tout dire, ici et maintenant. Sans doute les effets de la guerre sur le tempérament des jeunes israéliens. On l’oublie par habitude, par conviction, mais la guerre est omniprésente, à nos portes. La guerre et ses guerriers, la guerre et ses guerrières.

 

Dans le silence des nuits, quand le kibboutz respire doucement sous l'astre qui palpite, l’esprit de Moïse vagabonde vers d’autres horizons. Il ouvre son passeport fournit par le Mossad. Un nom exotique, Pasquale Paoli. Un pseudonyme pour faire la guerre, pour dissimuler ses traces, pour cacher sa paranoïa et vivre son amour avec Yaël, la guerrière. Elle appartient à ce monde-là, lui non. Elle, en mission à Paris, lui, enraciné dans sa Haute Galilée. Deux mondes. Deux chemins parallèles qui ne demandent qu'à se croiser, encore. Il ne l’a pas vu depuis 25 ans et 26 mois, depuis qu’elle est morte, puis revenue à la vie.

Chaque soir, ils se parlent. Un peu à la manière de naufragés qui n’ont pas pu se nourrir pendant de longues périodes, ils s’alimentent progressivement. Leur faim, leur amour n’as jamais cessé. Leurs conversations oscillent entre une espièglerie complice et une tension latente. Leur amour ressuscité doit encore trouver ses marques.

« Tu crois vraiment pouvoir te cacher derrière tes pommiers toute ta vie, Moïse Levy le kibboutznik espion ? »

« Kibboutznik. C’est un projet comme un autre. Espion c’est erreur de casting. Toi, tu crois vraiment pouvoir t’habituer à la pluie parisienne sans devenir une aquarelle ? »

Elle rit doucement, mais son ton redevient sérieux.

« La mission avance. J’ai une piste sur Mahdavi. »

Moïse pince les lèvres. « Et moi, j’ai une récolte de pommes en retard. Chacun sa galère. »

Yaël reste silencieuse un instant. « Tu veux que je te dise ? Tu fais semblant de ne pas t’intéresser. Tu as déjà une opinion pour Mahdavi ou pas ? »

Moïse répond du tac au tac : « Be'emet ? (vraiment ?) Mahdavi c’est ton ancien prof de maths ? Il t’a traumatisé ? »

Yaël soupire. « Stam (juste comme ça). Tout cela ne t’atteint pas ? »

Moïse plaisante. « En fait, je doute même que tu sois une vraie espionne. Tu ne me parlerais pas de tes missions par téléphone. »

Yaël sur le même ton. «T’inquiètes, je te donne de fausses informations car ma ligne est sur écoute. »

Moïse rit de bon cœur. Elle met fin à l’appel, faignant d’être vexée par son rire.

 

« Elle t’a encore raccroché au nez ? » demande Dov à Moïse, tout en sculptant de la cire.

« Ken. »

« La conversation fut brève. »

Moise regarde sur son téléphone. « 2 heures 02. »

« Miskine. »

« Chatatan (curieux). » lui répond Moïse.

« Aba, c’est comment déjà ton nom d’espion ? », demande Dov ?

« Pasquale. Pasquale Paoli. »

« Quel drôle de nom. Tu vas partir en mission ? » demande doucement Dov, sans lever les yeux de sa tâche.

Il l’appelle « aba, papa » avec tendresse. Sa voix est calme, mais Moïse devine la fragilité du mot. Moïse hausse les épaules.

« Je n'ai pas dit que je partais. »

Dov pose lentement sa bougie. « Ata takhman, tu n’as pas dit que tu ne partais pas. »

Moïse soupire, le regard fuyant.

« Et David ? Tu lui as répondu ? »

« David ? Pour faire quoi ? Sauver des veuves et des orphelins ? »

« Toi aussi tu sauves des orphelins. » Sourire exagéré.

« Ken mais pas pour le Mossad, enfin pour l’Institut, c’est comme ça qu’ils disent. »

« Pourquoi tu ne lui réponds pas ? »

« David est… » silence.  

Ce que Moïse hésite à dire, c’est que David ignore à quel point le chemin entre la folie et le génie est mince. En s’exposant, Moïse peut rapidement basculer dans l’un ou l’autre, il le sait mais pas David. « Ha-tirouf ve-ha-geonut hem shnei tzdadim shel oto matbéa - La folie et le génie sont deux faces d'une même pièce. » lui avait dit Dora. Elle, ne riait pas.

 

Réfectoire du Kibboutz

Moïse observe Dora qui s'affaire à ranger des boîtes de conserves sur l'étagère. Il y a dans ses gestes une efficacité tranquille, cette manière qu'ont ceux qui portent un univers sur leurs épaules sans jamais se plaindre. Moise est appuyé contre le chambranle de la porte du réfectoire.

« Lama ata nishar ? (Pourquoi restes-tu ?) » demande-t-elle sans se retourner.

Moïse hausse un sourcil. « Dans la cuisine ? »

Dora sans se retourner. « Pas à moi. »

Moïse doucement : « Lé'an at rotza she'elekh ? (Où veux-tu que j’aille ?) »

Elle claque une boîte sur l'étagère et lui fait face, les bras croisés. « Là où est ta vie. Ata choshev she’af echad lo roeh she’ata kan beguf aval lo bema'ase ? (Tu crois que personne ne voit que tu n’es pas vraiment ici ?) Elle t’attend depuis plus de deux ans. »

Il baisse les yeux, triturant le bord de son manteau noir. « Et moi depuis 27 ans. »

Dora s’approche, pose sa main sur son bras. Sa voix s’adoucit.

« Va rejoindre Yaël. On s’occupe de Dov, du kibboutz. C’est entre de bonnes mains. »

« Je me gère tout seul. » annonce Dov, qui entre dans la cuisine en sifflotant l’Hatikvah, ouvre le frigidaire et en sort un sachet de Bamba. Il déchire le plastique d’un geste féroce et fourre une poignée de ces cacahuètes soufflées dans sa bouche tout en chantant l’hymne national. Il lance un regard curieux à Moïse et Dora.

« Yesh baaya ? (Il y a un problème ?) » demande-t-il la bouche pleine.

Dora sourit. Elle regarde Moïse : « Tu es un génie, un génie au chômage... »

Moïse lève les yeux. Sentant venir l’analyse psychiatrique, il l’interrompt. « Chamour chamour (super sérieux), depuis quand tu fais des compliments, Dora ? »

Dora fait un pas en arrière, détourne la tête. Elle est allée de multiples fois dans le bureau. Elle a vu l’indicible, elle sait le secret de Moïse. Son regard revient vers l’accusé. Elle croise les bras, le toisant avec cette même intensité qu'avec ses élèves dissipés.

« Non, Moïse. Je sais et tu sais que je sais. Tu sais la menace... Tu sais le danger. »

« Mazal tov, tu viens d’inventer la première énigme en boucle infinie. Et lui aussi… » dit Moïse en montrant Dov qui fait un selfie-vidéo avec son sachet de Bamba, en chantant : « Ayin letsion tsofiya… »

« Je vais faire comme lui. Influenceur sur TokTok. » 

« Insta ! Et oui tu pourrais faire les aventures de Moïse Levy du kibboutz ? » plaisante Dov en mettant sur la table un sac de supermarché en plastique.

« Oy vaï » soupire Moïse.

Dora regarde Moïse avec une intensité redoublée. « Au moins tu arrêteras de fuir. Ata tamid boreach, ne'elam, mitmas (tu passes ton temps à fuir, à disparaître, à te fondre dans l’ombre). »

« Je suis un Maverick, un non-conformiste.  Je t’assure. Je le revendique. »

« Tu dois prendre ta part dans le cercle du vivant. » 

Moïse plisse les yeux, une ombre de malice sur le visage. « Comme ce clown ? » dit-il en désignant Dov.

Le « clown » pose, chante et fait des grimaces, en prenant des selfies.

Dora à bout d’arguments. « C’est mieux que d’être invisible. »

« Invisible ? Lama kol ha'olam chay be-TokTok hayom ? (Pourquoi tout le monde vit sur TokTok aujourd’hui ?). Regarde cet idiot avec ses photos, comme si le monde entier attendait le cliché de sa bouche en cul-de-poule ou de son sachet de Bamba. »

« 947398 followers, bientôt millionnaire. » annonce fièrement Dov.

« Havel havalim, hakol havel (Vanité des vanités, tout est vanité). » réplique Moïse.

Dora secoue la tête. « Et si ce n'était pas une question de vanité ? Plutôt de partage ? Peut-être que les gens ont juste envie de garder une trace. »

« Une trace ? Comme les escargots ? » Il hausse les épaules. « La mode est à l’exhibition, c’est indécent. On photographie tout, du petit-déjeuner jusqu’au coucher, comme si l’existence elle-même dépendait de la validation numérique. Que cherche-t-on à prouver ? Que notre vie est plus belle que celle du voisin ? Que notre shakshouka est mieux assaisonnée que l’assiette de houmous des autres ? Oy vey, quel matzav ! (Quelle situation) »

Dora rit doucement cette fois-ci. « Moïse, tu es irrécupérable. »

« Juste perplexe. Autrefois, on écoutait Einstein parler de l’univers, on lisait Amos Oz pour comprendre le monde. Aujourd’hui, un type en legging fluo vous explique comment réaligner nos chakras avec un thé detox, … »

« Pourquoi pas ? » 

« … et il est pris plus au sérieux que Michel Gad Wolkowicz dans un débat sur Freud. Ze meshuga (c’est de la folie). »

Il croise les bras, son regard semble rieur.

« Le plus terrifiant, ce n’est pas l’obsession de paraître, c’est l’absence de silence. Tout doit être dit, commenté, liké, retweeté … »

« Hazak … tu as du vocabulaire ! » plaisante Dov, la bouche pleine, en poursuivant son refrain. 

Moïse murmure : « … plus personne ne sait se taire… »

Dov postillonne et fait un signe de fermeture éclair sur ses lèvres.

« … et moi, ce vacarme me fatigue. Je me sens pris en otage. Zaken ve'atzouv (vieux et triste). Notre génération a perdu ses illusions, la suivante a perdu son panache. Et je ne sais pas ce qui est pire. »

Dora hausse les épaules. « La vraie question, ce n’est pas de savoir ce que les autres font de leur existence, mais ce que toi, tu fais de la tienne. »

Il ouvre la bouche pour répliquer, puis se ravise. Il vient s’assoir devant la table. Un silence s'installe.

« Tiens, je ne t’en veux pas de dire du mal de moi, boomer » dit Dov en poussant le sac de supermarché devant Moïse et en murmurant l’Hatikvah.

Moïse le fixe.

« Pourquoi tu chantes l’Hatikvah en boucle ? Tu ne connais rien d’autre ? »

Dov sourit à pleine dent. « Aussi longtemps qu’au fond du cœur, l’âme juive vibre… »

« Ça ne veut rien dire. » 

Dov sourit à la réponse de Moise : « Finalement, l’univers est à sa place. J’incarne l’espoir et toi le désespoir ». 

Moïse ne l’écoute plus. Il ouvre le sac et y trouve une bougie rouge fabriqué par Dov et un Mug entièrement rouge.

« Aba, ça fait deux ans aujourd’hui que tu es mon père. »

Moïse prend la bougie observant la cire lisse et le parfum d'orange amère qui s'en dégage. Il hoche la tête sans rien dire, il est touché. Il se lève pour prendre Dov dans ses bras mais celui-ci n’a pas vu son geste. Il s'éloigne en marchant en moonwalk, déjà à la porte avec son reste de Bamba. Il lui dit sans se retourner : « Met l’eau chaude avec ta tisane et regarde la tasse. Tu verras… un truc de geek. »

« Ma tisane ? » 

Dov rit. « Je vais voir ailleurs si j’y suis, c’est trop bruyant pour un live ici. » Il se met à chanter l’Hatikvah à plein poumon. »

« Ma tisane ? Tu m’as pris pour un retraité ? » s’étrangle Moïse.

« Non, mais je te ramène ton déambulateur ? »

Moïse rit et met sa main en cornet, contre ses lèvres. « Merci pour les cadeaux… » puis il rajoute doucement pour lui : « …mais le vrai cadeau c’est toi. »

Dora a entendu.

Moïse reste là, à contempler la mèche prête à incendier sa vie, une nouvelle fois.

 

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