Alors que quelque 300 000 Bédouins vivent aujourd’hui dans le Néguev, environ 90 000 d’entre eux résident dans des localités dites « pzurah » – des implantations non reconnues par l’État et situées hors des limites municipales officielles. Cette réalité pose depuis des décennies un défi à la fois urbanistique, social et politique.
Le principal obstacle reste la question de la propriété foncière. Dans les années 1970, les autorités israéliennes avaient entrepris de recenser les revendications bédouines, sans pour autant leur accorder de reconnaissance juridique. Depuis, plusieurs commissions gouvernementales ont souligné l’impératif de trouver un cadre légal pour régler ces litiges, condition préalable à toute régularisation.
Or, en l’absence d’accords sur la propriété, il est juridiquement impossible de créer des infrastructures ou de développer les localités reconnues. Conséquence : des villes planifiées pour accueillir des milliers d’habitants, comme Rahat, Lakiya ou Kuseife, restent largement sous-peuplées, tandis que des dizaines de milliers de personnes vivent en marge des plans d’urbanisme.
Les précédents plans, comme celui de Prawer-Begin en 2013, basés sur des compensations et des concessions mutuelles, ont échoué. Le gouvernement actuel change d’approche. Il propose de négocier rapidement, pendant une période limitée, des accords fonciers incluant des incitations généreuses, au-delà de ce qu’exige la loi. Mais passé ce délai, les zones sans accord sortiront des plans municipaux – et seront potentiellement évacuées.
Des projets pilotes sont déjà en cours. Objectif : avancer même sans consensus total. L’État veut planifier des localités viables là où des accords partiels ont été obtenus, quitte à abandonner certaines zones.
Du côté des ONG comme AJEEC-NISPED, l’inquiétude est vive. Elles dénoncent une politique de confrontation, dans un contexte de grande fragilité. Le 7 octobre a durement touché la population bédouine – plusieurs dizaines de morts, de blessés, d’enlèvements. Depuis, l’économie locale est sinistrée. Agriculture, bâtiment, hôtellerie : tout est à l’arrêt.
« Ce que propose le gouvernement, c’est une guerre de territoire », déplore l’organisation, qui redoute une vague de démolitions. Elle réclame des investissements dans les services de base et le dialogue, plutôt que des expulsions. Exemple frappant : à Bir Hadaj, localité de plus de 10 000 habitants, seuls huit permis de construire ont été délivrés en plusieurs années.
Pour Yuval Turjeman, directeur de l’Autorité pour le développement des Bédouins, le statu quo n’est plus tenable : « 20 % de la population revendique des droits sur des terres. Résultat : des dizaines de milliers de personnes vivent sans cadre légal. » Il insiste sur la nécessité d’agir, tout en tenant compte des structures tribales et sociales bédouines.Il reconnaît toutefois que les notions de propriété dans la société bédouine ne correspondent pas aux standards occidentaux. Elles sont imbriquées dans des dynamiques tribales, familiales, avec des enjeux de hiérarchie sociale. D’où l’importance, selon lui, d’agir de manière déterminée, mais sans ignorer ces codes culturels.
Ce plan pourrait marquer un tournant : entre régularisation partielle et fermeté affichée, l’État cherche à sortir de l’impasse.