Face à la forte incidence de brûlures graves pendant la guerre, des chercheurs de l'Université de Tel-Aviv et du Centre médical Sheba Tel Hashomer ont développé une « peau artificielle » innovante, destinée à être greffée chez les grands brûlés., produite à partir des propres cellules du patient, et réduisant considérablement le temps de guérison. La technologie, développée le Prof. Lihi Adler-Abramovich, et la doctorante Dana Cohen-Gerassi du Laboratoire des matériaux inspirés de la nature et des nanotechnologies de l'Université de Tel-Aviv, pourra également être utilisée pour d'autres plaies difficiles à cicatriser, comme les plaies diabétiques et d'autres cas complexes.
L'étude a été réalisée en collaboration avec le Dr. Amit Sitt de la Faculté de chimie de l'Université de Tel-Aviv, le Prof. Itzhak Binderman de l'Ecole de médecine dentaire et le Prof. Shahar Diamand de la Faculté d'ingénierie, ainsi que le Dr. Ayelet Di Segni, directrice de la Banque de tissus et du laboratoire d'ingénierie cutanée de l'hôpital Sheba, le Dr. Moti Harats, directeur de l'Unité nationale de soins intensifs pour brûlés (Sheba), le Prof. Yossi Haik, directeur du service de chirurgie plastique et du Centre national de prise en charge des brûlés (Sheba).
Elle a été publiée dans la prestigieuse revue Advanced Functional Materials.
La guerre Glaives de fer qui a éclaté en octobre 2023 a posé d'énormes défis à la médecine israélienne, notamment le grand nombre de victimes souffrant de brûlures graves, parfois sur de vastes zones du corps. « Depuis octobre 2023, Sheba a soigné de nombreux jeunes brûlés », explique le Dr. Di Segni. Pour ces blessés, les options existantes sont limitées et parfois douloureuses et complexes. Dans ce contexte, la nécessité de trouver des solutions innovantes est donc devenue urgente. Les brûlures du deuxième et du troisième degré comptent parmi les blessures les plus graves et les plus douloureuses, et nécessitent souvent une intervention chirurgicale, non seulement esthétique, mais aussi essentielle pour sauver la vie, prévenir les infections, favoriser la fusion des tissus et restaurer les fonctions cutanées.
« Dans de telles situations, le traitement standard actuel est la greffe de peau autologue, qui consiste à prélever de la peau saine sur une autre zone du corps du patient et la transplanter sur la zone brûlée », explique le Prof. Adler-Abramovich. « Cependant, cette approche présente des inconvénients majeurs, notamment la nécessité d'endommager les tissus sains pour soigner les tissus lésés, créant ainsi une nouvelle plaie qui nécessite également une cicatrisation s'accompagnant parfois de douleurs intenses. De plus, lorsqu'il s'agit de brûlures étendues, il n'y a pas toujours suffisamment de peau saine utilisable ».
L'une des alternatives les plus avancées, actuellement proposée en Israël au centre médical Sheba, est l'autogreffe épidermique de culture (CEA), permettant de cultiver de la peau en laboratoire à partir des propres cellules du patient. « Le procédé consiste à prélever un petit échantillon de peau par biopsie, en extraire des cellules souches et les transformer en greffon », explique le Prof. Adler-Abramovich.
Cette méthode n'est pas sans limites. « Ces greffons sont cultivés sur une couche de cellules d'origine murine (provenant de la souris) ; il existe donc une réglementation stricte pour garantir qu'aucun résidu de cellules étrangères ne subsiste dans les tissus humains », explique le Dr. Di Segni.
De plus, une fois retiré de la boîte de culture, le greffon rétrécit considérablement, parfois de plus de 50 %, ce qui rend son utilisation problématique. Pour couvrir une zone de la taille d'un bras ou d'une jambe, des dizaines de greffons sont nécessaires. De plus, il s'agit d'un tissu très délicat, constitué uniquement d'épiderme (la couche superficielle de la peau), qui est donc fin, fragile, se replie sur les bords et est très difficile à manipuler en bloc opératoire.
Une cicatrisation deux fois plus rapide
Le besoin urgent et les limitations des solutions existantes ont donc conduit les chercheurs à se fixer un objectif ambitieux : développer un greffon capable de se comporter en tous points comme la peau naturelle afin d'améliorer les chances de guérison des brûlés. Le résultat semblait tout droit sorti d'un film de science-fiction.
« La technologie que nous avons développée permet de prélever un petit échantillon de peau par biopsie, cultiver ce petit nombre de cellules en laboratoire afin d'en produire un grand nombre, et de faire s'organiser ces cellules en tissu cutané pouvant être greffé au patient au bout de quelques semaines », explique le Prof. Adler-Abramovich.
« Nous avons conçu une matrice de nanofribres à partir d'un polymère appelé PCL, déjà approuvé par la FDA, et l'avons associé à un peptide bioactif, une courte séquence d'acides aminés qui favorise l'adhésion, la croissance et la prolifération cellulaire », explique Dana Cohen-Gerassi. « Nous avons ensuite ensemencé cette matrice avec des cellules cutanées issues d'une biopsie d'un patient. Etonnamment, les cellules se sont organisées naturellement, imitant la structure de la peau humaine, fibroblastes d'un côté, kéranocytes de l'autre. Une fois le greffon prêt, nous pouvons le transplanter ». « Notre greffon est unique en son genre : il ne rétrécit pas, est durable, flexible et facile à manipuler », ajoute le Dr. Marina Ben Shoshan, chercheuse au Centre des greffes cutanées de l'hôpital Sheba.

De gauche à droite: le Dr. Amit Sitt, le Dr. Marina Ben-Shoshan, le Dr. Ayelet Di Segni, le Prof. Lihi Adler-Abramovich et Dana Cohen-Gerassi (Crédit :Université de Tel-Aviv)
Les chercheurs ont démontré l’efficacité de cette méthode lors d’expériences précliniques sur des modèles animaux. « L'implantation sur des modèles animaux a donné des résultats impressionnants, multipliant par deux la vitesse de cicatrisation. Alors que le traitement standard permet de refermer la moitié de la brûlure en huit jour, notre méthode n'a pris que quatre jours. Nous avons montré que nos greffons favorisent la cicatrisation et réduisent considérablement le temps de guérison. L’implant favorise réellement la cicatrisation de la brûlure, remplace la peau endommagée et permet son intégration à la peau existante ».
Entièrement fabriquée à partir des cellules du patient
« En combinant ingénierie tissulaire et ingénierie des matériaux, nous avons développé un tissu cutané qui représente une véritable avancée dans le traitement des brulures. Entièrement fabriquée à partir des cellules du patient, cette peau est résistante, flexible, facile à manipuler et accélère considérablement la cicatrisation. Il s'agit d'un progrès majeur vers des thérapies personnalisées qui peuvent grandement améliorer la guérison et la qualité de vie des victimes de brulures graves, soldats comme civils », conclut le Prof. Yossi Haik.
« Nous collaborons actuellement avec l'hôpital Sheba, et travaillons dans le cadre de protocoles basés sur les normes cliniques actuelles », explique le Prof. Adler-Abramovich. « Pour que la technologie puisse véritablement être utilisée chez l'homme, nous devons passer par tous les processus réglementaires et obtenir les autorisations nécessaires. L'essai préclinique que nous avons mené constitue la première étape, qui nous permet d'avancer dans ce développement et de nous rapprocher de l'application sur le terrain ».
« Je rêve que cette méthode devienne le traitement standard des brûlures », ajoute-t-elle. « Mais de plus, le potentiel de cette technologie est vaste : elle peut également convenir aux plaies difficiles à cicatriser comme les plaies diabétiques, et à d'autres cas complexes. Beaucoup de patients en Israël et dans le monde sont confrontés à ces problèmes. Si nous parvenons à leur rendre ces implants accessibles, nous pourrons non seulement sauver des blessés, mais aussi améliorer considérablement la qualité de vie de milliers de patients ».