L’ex-ambassadeur Avi Pazner a travaillé pendant dix ans aux côtés de Yitzhak Shamir en tant que porte-parole du ministère des Affaires étrangères puis à la présidence du Conseil lorsque celui-ci était Premier ministre – autant de positions qui lui ont permis d’apprendre à très bien le connaître. A l'occasion du documentaire projeté par le Centre Begin, il explique en quoi il est urgent de (re)découvrir le parcours et l’héritage de cette grande figure du pays, à qui l’actualité récente a souvent donné raison.
ActuJ : Qui était Yitzhak Shamir ?
Avi Pazner : Yitzhak Shamir était un homme politique comme on n’en fait plus : courageux, trèshonnête et aussi très direct, une extraordinaire personnalité qui agissait en fonction des profondes convictions qui l’animaient. Ce n’était pas un grand communicant mais il savait monter au créneau pour défendre ses positions. Il a également su prendre des décisions difficiles lorsque les circonstances l’exigeaient. Il me semble que ce n’est que maintenant, avec le recul de l’Histoire, que nous saisissons réellement sa grandeur et la portée décisive de ce qu’il a fait pour l’État d’Israël. Il a longtemps pâti d’une image assez terne qui ne rend pas justice à l’importance de sa contribution ; Il faut dire qu’il était arrivé au pouvoir juste après le flamboyant Mena'hem Begin, ce qui ne l’a pas aidé.
Quels sont, selon vous, les aspects les plus marquants de ses années au
pouvoir ?
Je retiens essentiellement trois grands points. Tout d’abord, l’idéal d’union nationale auquel il aspirait. Cet homme profondément de droite a recherché l’union avec la gauche. En dépit du fait qu’il n’appréciait pas du tout Shimon Peres, il a su bâtir un gouvernement d’union nationale qui a fonctionné pendant six ans. Le deuxième point est son combat pour l’Alyah des Juifs d’Union soviétique dans les années 1980, une cause qui le préoccupait jour et nuit, et pour laquelle il n’a pas hésité à mener une difficile confrontation avec la puissante communauté juive américaine, dont Israël dépendait beaucoup à l’époque. Le point de friction résidait dans le fait que les États-Unis voulaient accorder le statut de réfugiés politiques aux Juifs d’URSS, tandis que Yitzhak Shamir considérait que leur place était en Israël. « Un juif ne peut être un réfugié car il a désormais une patrie », disait-il. Et il n’a pas renoncé, jusqu’à ce que son rêve se réalise avec l’Alyah d’un million de Juifs d’Union soviétique qui ont changé la face du pays. Le troisième point montre sa capacité à prendre des décisions difficiles : lors de la Première Guerre du Golfe, il avait donné l’ordre à l’aviation de riposter à l’attaque sans précédent, par des missiles Scud, de Saddam Hussein contre Israël. Mais à la veille de l’attaque, et alors que tous ses instincts d’ancien commandant du Le'hi lui dictaient le contraire, il a su écouter les arguments du président américain George Bush en faveur de la retenue et compris qu’une riposte israélienne compromettrait la victoire de la coalition menée par les États-Unis contre l’Irak.

Vous souvenez-vous d’une anecdote particulière qui reflète sa personnalité ?
Comme je l’ai dit, Shamir était taciturne et mauvais orateur. Je l’ai connu en 1981, alors que j’étais jeune conseiller à l’ambassade d’Israël à Washington. Lui venait tout juste d’être nommé ministre des Affaires étrangères. Alors qu’il effectuait sa première visite aux États-Unis, j’ai pris l’initiative d’organiser une grande conférence de presse à Washington afin que l’opinion publique américaine le connaisse. Tout le gratin des médias était présent. Un premier journaliste a alors posé une question à Shamir et celui-ci a répondu laconiquement : « Oui ». À la seconde question posée par un autre journaliste, il a répondu : « Non ». À la troisième, il a dit : « No comment » – et ainsi de suite jusqu’à la fin. J’étais décomposé. Tous les journalistes sont repartis furieux. C’est alors que Shamir est venu vers moi et m’a dit, très satisfait : « Monsieur Pazner, vous avez vu comme j’ai réussi à éviter tous les pièges que ces journalistes me tendaient ? » Et moi de lui répondre : « Avec tout le respect que je vous dois, Monsieur le ministre, nous avons manqué ici une belle occasion d’expliquer la réalité et la politique israéliennes. » Les collaborateurs de Shamir m’ont regardé comme si j’étais suicidaire. Lui-même m’a dit alors : « J’aimerais vous parler, venez me voir demain matin à mon hôtel. » J’étais évidemment très inquiet, persuadé que j’allais être renvoyé sans ménagement pour mon impertinence. Mais à ma grande surprise, lorsque je suis allé le voir le lendemain, il m’a dit qu’il avait beaucoup apprécié mon courage et qu’il pensait que ma remarque était tout à fait justifiée, et il m’a proposé de devenir le porte-parole de son ministère, en m’expliquant qu’il était particulièrement mal à l’aise face aux médias et qu’il souhaitait que je le conseille. « Voyez-vous, m’a-t-il dit, j’ai commandé le Le'hi et j’ai passé vingt ans au Mossad. J’ai toujours vécu dans l’ombre, dans la clandestinité, et j’ai dû apprendre à me méfier des médias. Mais je comprends qu’il me faut désormais apprendre à travailler avec et non contre eux. » Lorsque je lui ai demandé quelques jours pour y réfléchir, il a rétorqué : « Aucun problème, à condition que vous disiez oui ! » Cette histoire illustre la manière dont il prenait sa mission à cœur et sa volonté de faire de son mieux pour servir son pays. À la fin de son mandat au ministère des Affaires étrangères, il avait d’ailleurs fait d’énormes progrès en communication.
Comment, d’après vous, aurait-il agi s’il avait été au pouvoir aujourd’hui ?
Je suis convaincu d’une chose, c’est qu’il aurait tout fait pour parvenir à l’établissement d’un gouvernement d’union nationale afin de mener à bien cette guerre et de garantir l’avenir du pays.
Projection du documentaire "Shamir : guerre, paix et rêve" au Centre Begin suivi d'un panel d'intervenants prestigieux
Mercredi 2 juillet à 20h
PAF : 30 shekels
Infos et réservations : 02-5652020
Propos recueillis par Johanna Afriat et parus dans ActuJ (numéro 1786)