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Le Collectif « Nous Vivrons », un combat au cœur de l’intelligence

12 minutes
25 novembre 2024

ParIsraJ

Le Collectif « Nous Vivrons », un combat au cœur de l’intelligence
Copyright Rachel A. Silberman

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Article d'Eden Levi-Campana

 

France - À l'approche de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, 80000 personnes (selon le collectif #NousToutes) ont manifesté à Paris, marchant ce samedi de la gare du Nord à Bastille. Bien entendu, les militants d’extrême gauche ont occupé le terrain et la rue, comme ils le font de manière intensive depuis le 7 octobre, surfant entre la vague « woke » et le désespoir des quartiers populaires. Oubliant les violences faites aux femmes, thème du jour, une large partie de la Marche est devenue un procès populaire, à charge contre Israël et contre Benyamin Netanyahou visé par des mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI).

Cette forte concentration d’antisémites (ou d’antisionistes), n’a pas effrayé le Collectif « Nous Vivrons » dirigé par Sarah Aizenman, qui était présent dans le cortège.  Les militants du Collectif ont pourtant été violements agressés lors d’une précédente manifestation de ce type. Loin de ployer sous les menaces, le Collectif a trouvé - avec les autorités - les voies et moyens d’être présent au cœur du cortège, avec un nombre conséquent de militants venus de toute la France, plus de 500 personnes. Une victoire qui permet au Collectif « Nous Vivrons » d'entrer définitivement dans les rangs des grandes formations de lutte contre l'antisémitisme en France.

Copyright Rachel A. Silberman


« Indépendamment de toute autre justification que celle de la parole des victimes, le Collectif portait la voix des femmes juives déshumanisées à qui l'on a refusé un soutien inconditionnel au lendemain des massacres du Hamas et, plus généralement, pour toutes celles victimes d'antisémitisme » nous dit Sarah Aizenman, ajoutant : « les Juives sont aujourd'hui essentialisées et renvoyées uniquement à leur judéité, pour mieux les discriminer. Les Juifs sont sionistes, les sionistes sont des génocidaires, les génocidaires méritent d'être agressés. Voilà la rhétorique portée par les semestres de haine, agissant en ligne, sur les campus ou à l'Assemblée. Une façon de faire taire la lutte contre l'antisémitisme et d'invisibiliser les 0,6 % de Français victimes de 57 % des actes racistes dans notre pays. »

Cette lucidité et cette détermination ne plaisent pas à tous. En témoigne l’évènement du 8 mars dernier à Paris, marqué par des affrontements entre des militants pro-palestiniens et le service d'ordre du Collectif. Ce jour-là, à l'occasion de « la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes » les militants du Collectif sont pris à partie par des individus visiblement pro-palestiniens. Ces derniers multiplient les provocations et les insultes, avant que des « antifas-blackblocs » en d'autres termes des racailles, ne s'en prennent physiquement au cortège. L'attaque implique rapidement des projectiles et des tessons de bouteilles, obligeant la police à intervenir pour protéger et exfiltrer les militants. Le Collectif exprime immédiatement sa colère et sa tristesse face à ces violences antisémites, déplorant qu'en 2024, des femmes juives participant à une marche pour les droits des femmes soient ciblées pour leurs convictions et leur solidarité avec les victimes israéliennes.

 

Tous les militants du Collectif « Nous Vivrons » ont ce background en tête quand ils se retrouvent ce samedi, dans une rue adjacente de la gare du Nord. Encadrés par un dispositif policier assez conséquent, ils attendent le départ du cortège principal pour s'insérer dans la Marche. Là, ils défilent, bonnets beiges vissés sur la tête, pancartes et banderoles fièrement arborées, où l'on peut lire : « Du festival Nova à Courbevoie, Juives déshumanisées ». Courbevoie faisant bien entendu référence à une adolescente de 12 ans, violée parce que juive.

 

La sécurité du Collectif « Nous Vivrons » est assurée de manière impressionnante par des militants et par les forces de police. Un peu comme pour le Stade de France, lors du match « Israël – France » où des bus et un dispositif important sont mis en place pour protéger les supporters de l'équipe israélienne. D'un côté, on ne peut que regretter que les organisations juives doivent être protégées de la sorte pour participer à de simples manifestations citoyennes, sportives ou culturelles, d'un autre côté, on ne peut que se réjouir que les autorités publiques protègent ses citoyens, conscientes de la gravité de la situation. D'ailleurs, en milieu d'après-midi, quelques énergumènes échappés du cortège pro-palestinien font les frais de l'efficacité des services de police. Ils essaient de s'en prendre physiquement aux militants juifs mais sont maîtrisés très loin du cortège, rapidement et très brutalement. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

Copyright Rachel A. Silberman


Juste devant le Collectif « Nous Vivrons », marche le char d'EuroPalestine. Ici, la violence verbale, les menaces et le jargon anti-police contrastent étonnamment avec le civisme du Collectif pro-israélien. Entre chien et loup, règne une toute autre ambiance, plus secte, plus agressive, avec une mise en scène macabre et des poupées de bébés ensanglantés. On se croirait dans un remake de Walking Dead. Des zombies suivent un véhicule blanc rappelant ceux du Hamas, mais en plus imposants, version char de la « Pride », avec plus de barbus et de femmes voilées. Sur le plateau arrière, un DJ et Olivia Zemor s'improvisent en chauffeurs de salle à ciel ouvert : « Palestine vivra, Palestine vaincra, libérez Georges Abdallah ». Pour ceux qui ne connaissent pas Georges Abdallah, il s’agit d’une grande figure du féminisme, absent contre sa volonté de la Marche contre les violences faites aux femmes. Il avait piscine. En attendant la libération de Georges Ibrahim Abdallah, pour bonne conduite, la fondatrice d'EuroPalestine met la pression à ses disciples. Transportés par l'ivresse de la situation et les slogans provocateurs de « Grandma Olivia », une quinzaine de zombies se décident à aller « croquer du Juif » et en passant de faire un peu d’art. Sur un mur des inscriptions « Un sioniste, une balle. Justice décoloniale », c’est beau la poésie palestinienne. En attendant il falloir que LFI fasse supprimer rapidement le délit « d’apologie du terrorisme » du Code pénal, sinon il ne va plus rester assez de Députés LFI à l’Assemblée Nationale pour s’occuper du tout nouveau et charmant groupe d’amitié France-Palestine.

Copyright Rachel A. Silberman


Comme leurs prédécesseurs, la quinzaine de zombies qui voulaient « croquer du Juif » n’arrive pas non plus à franchir le cordon de sécurité. Leur intention est à nouveau contrariée par des forces de police intransigeantes et sans humour. On comprend pourquoi au demeurant. Eux aussi ont vu la série et savent qu'on ne rigole pas avec des zombies qui rêvent d'Intifada au cœur de Paris. Surtout pas avec des zombies qui semblent disposer d'importantes ressources financières. On ignore qui finance l'opération, mais nous sommes loin des quartiers populaires. On pense à LFI ou au NPA, remerciés chaleureusement par Olivia Zemor, ou peut-être le Qatar, qui sait ? Les éléments de langage aussi sont intrigants : « Pourquoi ce mouvement s'est-il choisi une Juive comme égérie et pourquoi la Shoah est-elle utilisée pour évoquer Gaza ? Mystère et boule de gomme. »

 

Derrière, en comparaison, le Collectif « Nous Vivrons » paraît presque sage. De nombreux élus sont en tête de cortège, à l'instar du conseiller de Paris Mahor Chiche, de la maire-adjointe du XVIIe Aurélie Assouline (présidente du collectif du 7 octobre) et bien entendu de la députée Caroline Yadan, qui soutient efficacement toutes les organisations luttant contre l'antisémitisme. Pendant une pause du cortège, elle nous annonce avec fierté que sa proposition de loi contre le « nouvel antisémitisme » vient de franchir une nouvelle étape à l’Assemblée Nationale. C’est brillant. (Ndlr : portrait de Caroline Yadan à découvrir dans le numéro de décembre du mensuel AJ MAG – Actualité Juive ).

 

Le cortège du Collectif « Nous Vivrons » est sans doute l'un des plus importants de la manifestation. Sarah Aizenman s'en réjouit : « Malgré les menaces des uns et les réticences des autres, nous sommes allés au bout. Fiers et Forts. Juifs et en colère. Ne rien lâcher, ne pas nous taire, ne pas nous terrer, c’est notre honneur. Contre l’antisémitisme, pour la République, on se battra toujours avec ferveur et détermination comme aujourd’hui ! Merci à toutes celles et ceux qui se sont mobilisés. Merci à celles dont la voix porte, merci à celles qui nous ont encadrés, merci à ceux qui ont fait en sorte que l’on avance, merci à ceux qui ont assuré notre sécurité, merci à ceux qui ont filmé, merci à celles qui ont photographié, merci à ceux qui ont crié. On avait probablement le plus grand cortège de la Marche. Soyons fiers. Ce n’est pas tous les jours facile pour nous mais quand le Collectif nous porte, nous sommes invincibles et cela n’a pas de prix. Nous finirons par gagner. Pour la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité. On est là et on reste là ! »

 

Ils sont là, venus de toute la France pour soutenir le Collectif. Bernard Zimbris, délégué régional de Yad Vashem, a fait le déplacement depuis le sud, se désolant au passage du peu de soutien qu’il reçoit dans le contexte actuel : « En mai 1990, un cadavre - parce que juif - est profané à Carpentras où je réside. Je monte à Paris avec ma fille de 5 ans pour la rassurer et lui expliquer que nous ne sommes pas seuls. Elle est sur mes épaules et voit la place de la République noire du monde. Aujourd'hui, 34 ans après, je ne peux plus le lui dire. Nous sommes place de la République... mais seuls. Elle est en Israël, régulièrement dans des abris à chaque alerte et c'est elle qui a peur pour nous. »

 

La manifestation se déroule sans encombre pour les militants du Collectif « Nous Vivrons » mais reste la problématique de la post-manifestation. Comment éviter que se produisent les plaisanteries d'Amsterdam ? C’est sans doute là le coup de génie du Collectif. Tout est prévu pour que les participants puissent quitter le cortège, sans risque d'agressions physiques. Nous ne dévoilerons pas ici la méthode utilisée (qui pourrait être employée à d'autres occasions), mais nous attestons que l’opération finale est d'une grande intelligence. Une ruse digne de l'affaire des beepers … comprenne qui pourra. A 18 heures, après avoir remercié chaleureusement et collectivement la police, après avoir entonné La Marseillaise, les militants du Collectif ont disparu comme s'ils n'avaient jamais été là. Malin, très malin.

 

Restent sur place deux ou trois militants, dont une jeune femme retenue par un couple de personnes âgées qui vient d'assister au clou final et demande des explications sur le Collectif. La jeune militante, avec douceur et courtoisie, leur apporte des éléments de réponses : « Les fondateurs du collectif partagent une histoire commune. Quand ils étaient étudiants, ils militaient déjà ensemble pour porter une voix juive républicaine, convaincus que ces combats étaient essentiels pour le vivre-ensemble. Il y a Benjamin, Bettina, Caro, Julie, et Samuel, qui sont au cœur de cette association gérée comme une start-up familiale. Celle qui incarne publiquement la structure est Sarah Aizenman, 38 ans, dirigeante d'entreprise et mère de deux enfants. Cette ancienne militante de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) revendique un engagement à la fois sioniste et antiraciste. Elle enchaîne les actions non-violentes et percutantes, ciblant autant l'extrême droite que l'extrême gauche, dont la rhétorique depuis le 7 octobre 2023 est particulièrement ignoble et antisémite. Ainsi, les membres du Collectif insistent sur la nécessité d'agir dans tous les domaines : dans les écoles, les entreprises, les partis politiques, et même sur les réseaux sociaux, où le cyber-antisémitisme prospère. Le Collectif a déjà mené plusieurs actions symboliques pour dénoncer ce qu'il considère comme un antisémitisme latent, souvent dissimulé sous le masque de l'antisionisme. Lors de la Marche contre l'antisémitisme, il a empêché La France Insoumise de déposer une gerbe au Vel d'Hiv, estimant qu'on ne peut « soutenir les bourreaux des Juifs en quête de vie en Israël le samedi et honorer la mémoire des Juifs exterminés le dimanche ». Il n’a pas hésité à interpeller directement les responsables politiques d’extrême-droite comme d’extrême-gauche, ni facho, ni facho. Par exemple à Roissy, lors du retour de Jean-Luc Mélenchon du Liban, lors d’un débat à France Tv de Jordan Bardella ou encore pendant les vœux des députés LFI en scandant : « Insoumis, le Hamas vous dit merci ». Pour nous, ce combat dépasse les frontières d'une communauté. « Nous ne demandons rien de plus que les autres. Mais rien de moins non plus ». La lutte contre l'antisémitisme, n'est pas une affaire communautaire, mais un impératif républicain. L’objectif est de faire reculer la haine et de rendre la République plus forte. Comme le disait Albert Camus : « Mal nommer les choses, c'est ajouter du malheur au monde. » Face à ce malheur, nous répondons par des mots justes et des actes concrets. »

 

Le couple, assommé par ce déluge d'informations, paraît reconnaissant malgré tout, même s'il ne retient certainement qu'une infime partie du laïus. La jeune femme, ravie de sa pédagogie et de son dernier coup militant, sourit et s'éclipse à son tour comme par magie. En protégeant ses militants, avec ce tour de passe-passe final, le Collectif « Nous Vivrons » démontre son savoir-faire et sa clairvoyance. Cette opération nécessitait sagacité et réalisme mais finalement face à la force brute, dans cette partie d’Échecs à taille humaine, l'intelligence en sort grand gagnant. Voilà qui est rassurant pour la communauté juive de France. Nous attendons la suite du show avec impatience.

 

Informations : nous-vivrons.fr

 

Eden Levi-Campana
Boaron blue