Culture

Les Aventures Extraordinaires de Moïse Levy SAISON 2 - Episode 8 – L’espace d’un instant

Kibboutz Shtetl Gan Eden, Israël Recruté par le Mossad, Moïse Levy n’est jamais retourné sur le terrain depuis 26 mois. Il a repris le cours tranquille de sa vie au kibboutz, une existence rythmée par les lois de la terre et celle des saisons, loin du tumulte du monde.

6 minutes
25 juillet 2025

ParEden Levi Campana

Les Aventures Extraordinaires de Moïse Levy SAISON 2 - Episode 8 – L’espace d’un instant

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En Corse, dans le maquis, devant une grotte

Bahram Al-Nassiri reçoit un appel de Grese. Son visage se ferme immédiatement. La voix à l'autre bout de la ligne est pressée, sèche. « Il faut rentrer d'urgence ! »

Bahram est surpris. Il s'éloigne de l'entrée de la grotte, jetant un regard rapide derrière lui.

« Qu'est-ce qui se passe ? »

« Les sionistes s'apprêtent à faire une descente dans l'usine en Irlande. Notre indic nous a prévenus. »

Bahram enfonce son talon dans le sol poussiéreux. « Je ne peux pas aller à Dublin maintenant. »

« Il faut faire le ménage en Irlande, vite. »

« Les deux espions sont dans un bunker. Il faut envoyer quelqu'un d’autre si je pars. »

Un silence s'étire, pesant. 

« Enfin… si… »

La réponse tombe, tranchante. « L’orpheline attendra, pas l’Irlande. »

Bahram ferme les yeux une seconde. Il inspire lentement. Il n'aime pas être manipulé. « Très bien. »

Il raccroche d'un geste brusque et se retourne vers ses hommes. Son regard balaie le groupe. « On lève le camp. Maintenant. »

Il désigne quatre de ses hommes. « Vous restez ici et vous finissez le travail. Je les veux vivants. »

Puis il marche d'un pas rapide vers le véhicule garé un peu plus loin. Il ouvre la portière, s'installe au volant, démarre. Le moteur rugit, les roues soulèvent un nuage de poussière.

Dans des tunnels, quelque part en Corse

Yaël montre à Moïse une carte ancienne, jaunie par le temps. 

« Ton père m’a montré ces cartes. Elle appartenait à ton grand-père Mo, et selon les annotations griffonnées à la hâte, elle indique l'emplacement des tunnels cachés. Là, … je pense que ce sont des codes permettant d'accéder à des portes secrètes. »

Moïse passe un doigt sur les tracés sinueux, comme s'il tentait de déchiffrer les inscriptions en yiddish.
« Tu ne sembles pas surpris. » l’interroge Yaël. 

« Ken, ken, je suis très surpris, c'est pour ça que je n'ai pas l'air surpris. »

Yaël l'observe du coin de l'œil, sa respiration est encore haletante après leur fuite. Lentement, elle se rapproche, ses prunelles sombres le détaillant avec une intensité qu'il reconnaît mais qui le met mal à l'aise. Le silence s'installe, pesant. Moïse lève la tête, croise son regard. Un frisson lui traverse l'échine.

« Vingt-cinq ans, Moïse » murmure-t-elle enfin.

« 9222 jours » répond-il dans un souffle.

L'attirance est là, brute, presque douloureuse. Mais il y a aussi tout le poids du passé. Yaël, soudain, comble l'espace entre eux et l'embrasse, d'abord avec retenue, puis avec ferveur. Moïse se souvient de leur enfance, Yaël, lui, le kibboutz.

Kibboutz Diamantkring – Haute Galilée, nord Israël, samedi 9 mai 1998

« Tu as le vertige ? » demande l’adolescente.

« Ken. »

« Normal, c’est l’amour. »

« C’est le précipice. »

« Routzpa ponem ! »

« Pas plus effronté que toi » répond Moïse « mais j’ai vraiment le vertige. »

« Tu sais comment dit toujours maman ? Ferme les yeux …

« … Inspire à fond et compte sur tes doigts » complète Moïse en fermant les yeux et en prenant une forte respiration.

Park Tzameret, de nos jours

Dans la chambre, Ephraïm prit place dans un fauteuil, pendant qu’Ilan déposait sur le bureau une série de schémas.

« L’Iran a remplacé les smartphones il y a six mois. Trop peur des écoutes. Ils pensent qu’un bipeur c’est inoffensif.

« Vous en avez vraiment piégés 5000 ? » demande David « Mais comment ont-ils pu passer les contrôles de sécurité iraniens ? »

« Ha’kodem shel ha-kodmim » répondit Ephraïm « Le meilleur des meilleurs. On a tout passé par une société écran à Budapest. Xso Consulting. Faux papiers, fausse chaîne logistique, vrai plastique, vrai PETN. Dix ans que nous préparons ça. »

Ilan complète : « On les a testés sur des mannequins biométriques. Le souffle est assez faible pour ne pas tuer mais assez précis pour mutiler. Main droite. Oreille. » 

David fronça les sourcils. « Mutiler ? Pas tuer ? »

« Exactement. Ils se souviendront. Kol pa’am she-ha-beeper yatzil, chaque fois qu’un bipeur sonnera... ils trembleront. »

Le silence s’installa.

« Et vous êtes sûrs qu’ils les ont tous distribués ? »

Ephraïm hocha la tête :

« Plus de huit mille en vérité mais nous tablons sur cinq. Officiers de terrain. Messagers. Jeunes recrues. Tous connectés au système, tous déjà… contaminés. »

Dans des tunnels, quelque part en Corse

Moïse reste figé un instant, prend une large respiration, avant de lui rendre son baiser, maladroitement. Yaël se détache brusquement, secoue la tête, se passe une main nerveuse dans les cheveux.

« On n'a pas le temps pour ça », dit-elle, la voix brisée. « Nous devons essayer ces codes avant qu'ils arrivent. »

Moïse ravale sa frustration et détourne les yeux. « Essayer les codes ? Où ? »

« Suis-moi ! »

Ils s’avancent dans la pénombre. Le danger est imminent. Mais dans le tunnel Moïse est heureux. Il sait maintenant que l'ombre du passé n'a pas suffi à étouffer ce qui brûle entre eux, depuis toujours. Sa plus grande crainte. 

Ils se replongent dans la carte, marchent comme des somnambules en suivant le mur naturel de la grotte, traquant les indices cachés dans les tunnels, avec l'urgence d'un compte à rebours invisible. Leurs pas résonnent sur la pierre froide. L'odeur de terre humide et de rouille remplit l'espace exigu. Moïse suit Yaël dans l'ombre, le cœur battant pour mille raisons. Le danger, l'excitation… et cette foutue tension entre eux.

Elle s'arrête brusquement. « Attends » murmure-t-elle. Elle écoute attentivement, puis se tourne vers lui. Son regard s'accroche au sien, sans détour. Vingt-cinq ans. Et pourtant, elle le connaît encore. Moïse a envie de rire. De pleurer. C'est absurde. On ne se remet pas ensemble entre deux tirs de kalachnikov. Et pourtant, ses doigts frôlent les siens, timidement. Un premier contact, hésitant, qui fait naître une onde de chaleur. Ils ont réappris à s'aimer au téléphone, avec leurs voix, leurs silences, leurs rires volés. Mais c'est maintenant qu'ils se retrouvent, en chair, en peau, en désir.

« On va mourir, Yaël. »

« Je sais. »

« On va mourir. » dit-il comme un écho.

« Tu es un poète. »

« On va mourir. »

« Rohhhhh. »

Elle l'embrasse, cette fois sans retenue. C'est pressé, un peu sauvage. Trop de temps perdu. Trop d'envies contenues. Moïse a envoyé ses mains qui s'accrochent à elle, qui la presse contre la pierre du tunnel, comme s’ils voulaient graver ce moment quelque part, le rendre réel, le figer avant qu'on ne leur arrache encore tout. Leurs corps se cherchent à tâtons, découvrent le temps passé sur la peau de l'autre. Il caresse son visage, cherche la jeune fille dans cette femme, et trouve mieux : Yaël, tout entière. Celle qu'il a aimée, celle qu'il aime encore. Sa chemise s'entrouvre sous ses doigts impatients, la douceur d'une clavicule sous ses lèvres, l'odeur de poudre et de sueur. C'est idiot, et pourtant ça n'a jamais eu plus de sens. Il rit doucement, contre sa peau. 

« T'imaginais qu'on se retrouverait comme ça ? »

« Ken » souffle-t-elle contre ses lèvres. « C'est exactement comme ça que ça devait arriver. »

La tension monte de trois crans, devient insoutenable. Le désir et la peur, l'urgence et l'infini.

Et puis, soudain, un bruit au loin. Un écho aigre, un éclat métallique. Ils se figent. Yaël ferme les yeux, inspire, puis agrafe sa chemise d'un geste rapide. Moïse soupire, passe une main dans ses cheveux en bataille. La parenthèse se referme.

« On devrait peut-être éviter de mourir à moitié à nu » grommelle-t-il.

Elle esquisse un sourire. 

« T'es sûr ? Moi, j'avais un plan B. »

Il rit, malgré tout. Ils reprennent leurs armes, ajustent leurs vêtements, et se remettent en marche dans le tunnel. Moïse se dit que le passé n'est plus un fantôme. Il a un goût, une chaleur, une promesse. Et même si tout doit s'effondrer, il l'aura retrouvée l’espace d’un instant.

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