Une perquisition menée mardi soir par la police argentine dans une villa de Mar del Plata relance l'enquête sur un "Portrait de dame" de Giuseppe Vittore Ghislandi, dérobé il y a huit décennies à un collectionneur juif par un officier nazi. Cette affaire rouvre un chapitre sombre de l'histoire argentine, refuge de nombreux criminels de guerre après 1945.
Une découverte fortuite révélatrice
L'enquête a pris une tournure inattendue grâce au travail d'investigation du quotidien néerlandais Algemeen Dagblad. Des journalistes ont repéré ce qui ressemblait à l'œuvre disparue sur une visite virtuelle en 3D d'une propriété mise en vente. Le tableau baroque était visible au-dessus d'un canapé en velours vert dans cette villa côtière appartenant aux descendants présumés de Friedrich Kadjin, un nazi ayant fui l'Europe après la guerre.
Quelques heures après cette révélation, l'image disparaissait mystérieusement de l'annonce immobilière. Le lendemain, les autorités argentines lançaient une perquisition dans la propriété.
Bien que le tableau lui-même n'ait pas été retrouvé lors de la perquisition, le procureur fédéral Carlos Martinez a confirmé la saisie "d'autres objets susceptibles d'être utiles à l'enquête, notamment des armes, des gravures et des périodiques". Les autorités étudient désormais d'éventuelles poursuites pour recel et contrebande.
Cette affaire s'inscrit dans le contexte plus large de l'exfiltration nazie vers l'Argentine sous la présidence de Juan Perón (1946-1955). Des dizaines de responsables du Troisième Reich, dont Adolf Eichmann, ont trouvé refuge dans ce pays sud-américain, emportant avec eux un important butin constitué d'œuvres d'art, d'or et d'objets précieux spoliés aux victimes juives.
De Amsterdam à Buenos Aires : l'itinéraire d'un pillage
Selon la base de données officielle néerlandaise sur l'art de la Seconde Guerre mondiale, le "Portrait de dame" appartenait initialement à Jacques Godsticker, marchand d'art juif d'Amsterdam. Sa galerie fut confisquée en mai 1940 lors de l'occupation allemande des Pays-Bas. Contraint de vendre son stock, Godsticker vit de nombreuses œuvres acquises illégalement par Hermann Göring, bras droit d'Hitler.
Les archives révèlent ensuite le passage du tableau entre les mains de Friedrich Gustav Kadjin, membre du parti nazi. Cet homme supervisait la confiscation des devises étrangères, métaux précieux et biens juifs, gérant leur vente pour financer les transactions de Göring.
Après la défaite allemande, Kadjin a pris la fuite vers la Suisse puis l'Argentine, selon un rapport déclassifié de la CIA. Son nom et celui de sa famille apparaissent régulièrement dans les registres fonciers et judiciaires argentins dès les années 1950. Jamais inquiété pour ses liens avec le régime nazi, il a vécu paisiblement à Buenos Aires jusqu'à sa mort en 1978.
L'unique héritière de Jacques Godsticker poursuit depuis des décennies ses efforts de restitution. En 2006, elle avait récupéré 202 tableaux spoliés à l'issue d'une longue bataille juridique avec le gouvernement néerlandais. Cette nouvelle découverte pourrait marquer une étape supplémentaire dans cette quête de justice historique.