Culture

Les Aventures Extraordinaires de Moïse Levy SAISON 2 - Episode 15 - Kol Damim Zo’ek (le sang crie encore)

Kibboutz Shtetl Gan Eden, Israël Recruté par le Mossad, Moïse Levy n’est jamais retourné sur le terrain depuis 26 mois. Il a repris le cours tranquille de sa vie au kibboutz, une existence rythmée par les lois de la terre et celle des saisons, loin du tumulte du monde.

6 minutes
12 septembre 2025

ParGuitel Benishay

Les Aventures Extraordinaires de Moïse Levy SAISON 2 - Episode 15 - Kol Damim Zo’ek (le sang crie encore)

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Marais, Paris, France

Moïse s’agite dans son sommeil, allongé dans la pénombre de la planque de luxe du Mossad, qui lui semble soudain étroite, oppressante. Yaël dort à ses côtés, mais dans son esprit, une autre nuit prend forme. Une nuit où tout a basculé. Des cris, des détonations. L’odeur du sang et de la terre humide. Moïse enfant, debout dans le dortoir du kibboutz, figé comme une statue. Une voix résonne dans son crâne : « Kol Damim Zo’ek - le sang crie encore. » Cette phrase, encore et encore, en boucle. Il ne comprend pas, mais il sait qu’il ne doit pas se retourner. Il voit le réfectoire s’illuminer de lueurs fulgurantes, les corps qui tombent, le sang qui se répand. David est déjà en train de prendre les choses en main, rassemblant les enfants. Dora se penche sur Yaël, sa chemise déchirée, rouge de sang. Moïse veut bouger, veut aider, mais il est figé, un poids énorme sur ses épaules. Un coup de feu claque, il sent la chaleur d’une balle frôler sa tempe. Il tombe près de Yaël, son amour. Le noir. Le silence. Puis les murmures. La petite Shoshana, près de Moïse, les yeux remplis de larmes, d’une voix fragile. Elle supplie : « Aide-nous Moïse, sauve-nous… »

 

Un autre épisode s’installe. Un tumulte dans la nuit sombre qui déchire sa mémoire. Moïse revoit la course avec les enfants en direction de la grotte. Dans la forêt. Une silhouette surgit de ses souvenirs. Son visage est flou, indistinct, mais Moïse reconnaît cette voix. Josef Grese. Il parle, murmure des ordres aux soldats qui encerclent le kibboutz. Il cherche quelqu’un : Moszek Feinstein, son grand père. C’est pour lui qu’ils sont venus. Le massacre n’était pas aveugle.

 

Des flashs. Moïse est dans le bunker en Corse avec Yaël. Elle marche, elle est adulte puis enfant, et encore adulte. Elle l’embrasse, c’est chaud, c’est brûlant, c’est confus. Il devient fou. Les dossiers ouverts devant lui. Des noms, des dates. La scène devient trouble. Elle bascule encore. La nuit, encore la nuit, le danger, la mort, la mort, la mort et pire l’odeur de la mer, du sang séché, ce goût de métal dans la bouche. Devant le bar du Marais, Moïse voit les soldats, Jarod, et plus loin une ombre. L’ombre devient distincte. Elle parle. Josef Grese. Moïse le reconnaît, plus vieux de vingt-cinq ans. Le même homme, celui du kibboutz qui donnait les ordres aux assassins, celui qui cherchait Moszek Feinstein, son grand-père. 

 

Dans ce délire cauchemardesque, entre vie et sueurs nocturne, Moïse comprend enfin : Josef Grese n’était pas seulement un spectre de son passé. Il est lié au programme nucléaire iranien actuel. C’est le même homme, le même réseau, la même soif de destruction. 

 

Son rêve se transforme en chaos. La rue disparaît, remplacée par des ombres menaçantes, des voix indistinctes qui chuchotent en hébreu, en allemand, en russe. Il revoit Moszek Feinstein, blessé, protégeant les survivants. Il revoit ses parents sauver Ella, sa petite sœur, puis disparaître dans la nuit. Il voit son propre reflet, enfant, couvert de sang, et l’adulte qu’il est devenu, incapable d’échapper à ces souvenirs.

 

Une main le secoue. Il sursaute, haletant. Yaël le regarde, inquiète. « Moïse… Ça va ? »

Il fixe son visage, encore embué par le rêve. « Il était là. Dans la rue. »

Yaël fronce les sourcils. « Jarod ? »

Moïse se redresse, le souffle court. « Grese… Il était là. Depuis le début. C’est lui qui nous a attaqué au kibboutz en 98. C’est lui partout. Mon père et mon grand-père avait raison. J’ai eu une vision, je l’ai entendu. »

« Grese était à Paris ? » dit Yaël. « Tu n’es pas bien réveillé ? »

« Écoute moi. »

Je t’écoute mais c’est incohérent. Tu as vu des choses que je n’ai pas vu ? Nous étions ensemble et je n’ai pas vu Grese. » 

« Je vois mieux que toi. Différemment. Mon cerveau est différent. » répond Moïse.

« Ah oui, ton cerveau est différent du mien, … irrémédiablement. Je vais t’appeler Mme Irma. » dit Yaël dans un sourire.

Moïse serre la mâchoire. Il ne s’énerve que très rarement, mais depuis le début de cette mission, il est en colère. « Je ne plaisante pas. Je vois des choses que personne ne voit. »

« Ah oui, je vois ça » s’esclaffe Yaël.

« Arrête de te moquer, c’est vexant. »

Cette fois-ci, c’est elle qui se vexe.  « C’est toi qui es vexant et tu fais peur. On dirait ton père. »

« Je m’attendais à plus de perspicacité et d’intelligence de ta part. »

« Quoi ? Tu serais une sorte de génie ? C’est ce que tu essaie de me dire ? »

Moïse lui tourne le dos. « Enfant, tu étais une donneuse de leçon. Rien ne change. »

Le sourire de Yaël s’efface. « Attends, tu es sérieux ? »

« Essaie d’être intelligente. Depuis 1998, depuis l'attaque, quelque chose a changé en moi. J'accède à des souvenirs, des compréhensions que je ne devrais pas avoir. Ce n'est pas mystique, c'est scientifique. Il y a des études sur le cerveau… »

« Que j’essaie d’être intelligente ? Vraiment ? » 

« Ken. »

« Ton traumatisme t'a donné des pouvoirs ? C'est ça monsieur l’intelligent ? « 

« Ken. Quoi d’autre ? »

« Je ne sais pas. Hachem ? »

« Peut-être. »

La dispute explose, brûlante. Chaque phrase, une attaque. Chaque mot, une défense. Les nerfs à vif. Les blessures ouvertes. « Tu crois que le Mashia’h va descendre du ciel avec une épée en feu et régler tes problèmes de cerveaux ? »

« J’ai vu pire. » Yaël soupire. Son regard est dur. 

Moïse se courbe. « Je dis que tu es en vie pour une raison. »

« La vengeance. C’est ça ma raison. Contre tous ces enrubannés qui prennent la vie des gens, qui sèment le terrorisme et récoltent le désespoir. Et puis il y a une autre raison … »

Moïse éclate de rire. Un rire sec, nerveux. « Une autre raison ? Hachem a un plan, c’est ça ? Un projet pour toi, un projet pour moi, façon Yossef vendu par ses frères avant de devenir vizir en Égypte ? »

« Ce n’est pas ce que j’ai dit… mais oui… pourquoi pas. Tu trouves ça absurde ? »

« Je trouve ça cruel. » répond Moïse.

Elle croise les bras. « C’est toujours plus facile d’accuser D-ieu que de se regarder en face. »

Il s’approche. La voix plus basse. Plus tranchante. « Parce que moi, j’ai vu des gosses tomber. J’ai entendu les balles. J’ai tenu ta main quand… »

Il s’arrête net. Sa gorge se serre. Yaël ne recule pas.

« Et moi… tu crois quoi ? »

« T’étais morte ! hurle Moïse. »

Elle ne bronche pas. Le silence s’abat d’un coup. Une chape de plomb. Il respire fort, mais l’air lui manque. Yaël finit par détourner les yeux. Moïse s’éloigne et entre dans la salle de bain. Il s’observe dans le miroir, troublé par son propre regard. La porte s’ouvre. Yaël entre. S’approche sans un mot. Elle se colle contre lui, sa peau chaude et délicate contre la sienne. Il fixe une cicatrice sur sa poitrine offerte.

« Je ne veux pas qu’on se dispute » murmure-t-elle. On a déjà perdu vingt-cinq ans.

Moïse ferme les yeux. La tension s’efface. Ils sont nus. Moïse pose une main sur la sienne, se retourne, l’embrasse. Le monde peut attendre.

 

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