Culture

Les Aventures Extraordinaires de Moïse Levy SAISON 2 - Episode 16 - Tzarikh lalechet, il faut aller aux tunnels

Kibboutz Shtetl Gan Eden, Israël Recruté par le Mossad, Moïse Levy n’est jamais retourné sur le terrain depuis 26 mois. Il a repris le cours tranquille de sa vie au kibboutz, une existence rythmée par les lois de la terre et celle des saisons, loin du tumulte du monde.

6 minutes
19 septembre 2025

ParEden Levi Campana

Les Aventures Extraordinaires de Moïse Levy SAISON 2 - Episode 16 - Tzarikh lalechet, il faut aller aux tunnels

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Tel Aviv, Israël

Le vol retour par un vol commercial vers Tel-Aviv était resté dans un silence presque religieux. Moïse et Yaël, côte à côte, échangeaient des regards furtifs, des sourires fragiles, comme si un fil invisible les reliait au-delà des mots. Mais derrière ce calme, chacun sentait gronder un ra’ash, un tremblement secret que rien ne pouvait apaiser.

À la descente de l’avion, une voiture discrète les attendait. Direction la Kirya. Dans les sous-sols du complexe du « Pentagone israélien », une salle nue, un néon qui grésille, l’odeur du café brûlé. David, Yonatan et Ephraïm étaient déjà là.

David parla le premier : « Jarod a disparu. »

Un silence lourd, presque suffocant.

« Lo normali » dit Yaël, les sourcils froncés.

« On avait des yeux partout. »

« Visiblement pas assez » répondit-elle plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu.

Yonatan sortit un dossier gonflé de documents et le fit glisser vers eux.

« Nous avons découvert ses liens avec une société offshore. Derrière, c’est l’Iran. Pas seulement une couverture, un pont direct vers leurs Pasdaran. »

Ephraïm, fatigué, les yeux cernés par des nuits blanches, prit la parole : « Jarod est leur taupe mais il n’est qu’une pièce d’un puzzle immense. »

« Et ? » Interroge Yael.

« Il n’avait aucune information sur l’opération Docteur du Désert. L’opération se poursuit.   Nous avons infiltré leur chaîne logistique. Les turbines qu’ils recevront sont sabotées de l’intérieur. Quand ils voudront activer leur programme, tout va partir en vrille. Il faut que tu prépares Yaël, tu dois jouer ta partition. » 

Moïse inspira profondément. Une colère glaciale montait. « Et moi, j’étais censé l’apprendre quand ? »

Yaël détourna les yeux.

David répondit net : « Ata lo hayita tzarikh lada’at. Tu n’avais pas à savoir. Tu n’es pas le chaperon de Yaël. » Puis il lâcha le mot qui claqua comme une prophétie : « L’étape suivante, c’est Esther. »

Un silence, cette fois habité. Esther, la reine juive qui, en Perse, avait sauvé son peuple. Aujourd’hui, le nom résonnait comme une promesse et une menace.

Yonatan déroula une carte satellite sur la table. Trois points rouges apparurent. « Ici, Natanz, expliqua-t-il. Le cœur du programme, l’usine de centrifugeuses. Ici, Fordow, enfoui dans la roche, protégé par des bunkers de plusieurs dizaines de mètres. Ici, Ispahan, le centre de conversion et de recherche. »

Puis, d’un doigt, il désigna un quatrième point, non marqué, au nord-est. Sa voix se fit plus basse.

« Et là… ha-revi’i, le quatrième.  Sous la montagne. Personne n’en parle. Officiellement, il n’existe pas. Mais nous savons. »

Le silence dans la pièce devint presque mystique. Comme si le simple fait de nommer ce lieu pouvait déclencher une malédiction. Ephraïm reprit, sec : « Votre mission sera de préparer le ciel. Le Mossad a placé des balises dans leurs radars, leurs systèmes de communication, leurs centrales électriques. Mais quelqu’un doit activer le code sur place. C’est vous. Quand Esther commencera, nos F-35 entreront invisibles. Et frapperont ces quatre cibles. »

Moïse sceptique observe tour à tour les 4 points. « L’Iran ? Vraiment ? La superpuissance militaire ? »

David croisa ses bras : « Et même le Qatar si besoin, le bras long d’Israël va partout. Avec vous, les Iraniens se réveilleront trop tard. Zeh pashut, c’est simple. Sans vous, l’aviation ne passe pas. »

Moïse sentit le poids des siècles sur ses épaules. Esther, Shushan, la Perse… L’Histoire se rejouait, mais cette fois en flammes et en acier.

« Avant cela » ajouta David, « vous partez au vert. Au kibboutz. En ville… au niveau sécurité c’est compliqué. »

Il le dit comme une évidence, mais pour Moïse, ce n’était pas un repos. C’était une condamnation.

Les fantômes du kibboutz… plus menaçants encore que les Pasdaran.

 

kibboutz Shtetl Gan Eden, Israël

Le kibboutz sentait la terre humide et la cire chaude. Dov les accueillit comme une bourrasque, mamash plein d’énergie, son enthousiasme tranchant avec l’humeur lourde de Moïse. Yaël l’apprécia à la première seconde. Il aurait pu être son fils. Il l’était en quelque sorte.

« Aba, regarde ça… Une ligne de production entière de bougies. Je vais devenir le melech ha-neirot, le roi de la bougie ! »

Yaël éclata d’un petit rire. Moïse, lui, esquissa à peine un signe de tête. Le jeune homme rayonnait d’une fougue toute israélienne, une chutzpah joyeuse qui contrastait avec la gravité du monde où vivaient Moïse et Yaël. Dov avait grandi dans le vacarme de la guerre, vu ses amis disparaître un à un, orphelin trop tôt. Peut-être était-ce là sa source : cette urgence de vivre, de créer, de s’accrocher à chaque instant. Bientôt ce sera le service pour lui aussi, trois ans.

Son obsession pour les bougies n’était pas une lubie. Il avait des plans griffonnés, des calculs précis, même des contacts à Tel-Aviv pour trouver des financements. Entre deux explications, il sortit un vieux registre poussiéreux qu’il feuilletait comme un trésor. Et c’est dans ces pages qu’un détail éveilla l’attention de Moïse. Une carte esquissée par Moszek Feinstein, un système de codes, de symboles, qui s’ouvrait comme des clés invisibles pour les tunnels. Pas d’intelligence artificielle, pas d’électronique et pourtant, une précision presque prophétique.

Moïse se figea. « Tzarikh lalechet, il faut aller aux tunnels. »

Yaël acquiesça.

 

Le lendemain matin, Dov était prêt comme pour une expédition au cœur de l’Amazonie. Treillis trop grand, lampe frontale vissée, sac à dos rempli d’objets hétéroclites, corde, biscuits, gourde, tournevis.

« Tu n’as pas oublié la machette, la tente et les répulsifs contre les serpents et les insectes ? » ironisa Moïse.

 « Lo yodea, on ne sait jamais ! » répondit Dov avec un sourire malicieux.

Ils franchirent ensemble l’entrée des tunnels. L’air y était glacial, saturé d’une poussière ancienne. Les parois ruisselaient par endroits, comme si la pierre transpirait une mémoire millénaire. Des inscriptions presque effacées couraient sur les murs. Moïse ressentait le poids invisible de son enfance, de cet endroit qui fut leur maison, un temps.

Dov, lui, avançait avec une excitation fébrile. Il s’arrêtait, observait la voûte, touchait la pierre.
« Eize davar metoraf… C’est dingue, comment ils ont construit ça sans machines ? »

Après des heures de découvertes, un détail les arrêta. Une paroi semblait différente. De grosses pierres obstruaient un passage secondaire. Tous trois se mirent à dégager les blocs, suant, haletant. Le bruit sourd des pierres roulées résonnait dans les galeries comme un cœur battant. Enfin, dans un souffle de poussière, le passage céda. Une ouverture béante s’ouvrit sur un second tunnel, plus étroit, plus sombre.

C’est là que Dov s’arrêta net. Sa lampe frontale illumina une structure improbable : un réseau de rigoles taillées dans la pierre, reliées à un système de vannes métalliques rouillées, semblables à des poumons figés dans le temps. L’eau stagnante luisait dans la pénombre.

« Aba… ra’eh et zeh, regarde ça… » chuchota Dov.

Yaël s’accroupit, effleurant la pierre.

 « Mashhu atik beyoter, c’est incroyablement ancien. »

Moïse se pencha, fasciné malgré lui.

 « Un système hydraulique… tachanat mayim. Mais ici ? Dans un tunnel ? »

Dov éclata d’un rire incrédule.

« On pourrait irriguer des champs entiers avec ça ! Mais pourquoi sous terre ? Qui ferait passer l’eau dans l’ombre, loin du soleil ? »

Le mystère restait entier, suspendu dans l’air glacé des galeries.

C’est alors que le téléphone de Yaël vibra, strident, brisant l’instant. Elle décrocha, écouta, son visage se ferma d’un coup.

« Ken, ani mevinah. Oui Monsieur. »

Puis, se tournant vers Moïse : « Nous partons pour Téhéran. Maintenant. »

 

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