Culture

L'art comme réveil identitaire

Richard Kenigsman expose à Jérusalem.

6 minutes
8 octobre 2025

ParAJ Mag

L'art comme réveil identitaire

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Le 28 octobre, en préambule au colloque « Sous le signe de Sion – MAKOM. Identité humaine, identité juive. Du 7 octobre 2023 à octobre 2025… », aura lieu le vernissage de l’exposition Larmes aux yeux, l’arme à l’épaule du célèbre artiste belge Richard Kenigsman. Une exposition née d'un choc : celui du 7 octobre, qui a bouleversé son vécu identitaire et sa pratique artistique.

 

AJ MAG : Vous dites que le 7 octobre a représenté pour vous un bouleversement personnel et artistique…

Richard Kenigsman : Oui, c’est une rupture formelle et stylistique qui s’est produite pour moi dès le lendemain du 7 octobre. Le 8 octobre, je me suis retrouvé dans mon atelier. Contrairement à certains de mes amis artistes qui m’ont confié qu’ils ne pouvaient plus peindre, j’éprouvais le besoin de jeter mes émotions sur la toile. J'ai pris ce que j’avais sous la main, de gros pinceaux qui traînaient dans la boue des pots de térébenthine et du papier kraft. Je voulais faire les choses telles que je les ressentais, en abandonnant toutes les techniques et les influences dont mon art était pétri, de manière volontaire et consciente. Soudain, c’est mon âme qui a pris le dessus. Dans la profondeur de mon âme et de mon atelier, en pleurant parfois, j’ai traversé quelque chose – au fond, c’est moi-même que j’ai traversé… Très vite, j'ai réalisé un premier tableau très expressif sur les enfants. Une série a suivi, qui a été publiée sur un site juif, puis repérée par Michel Gad Wolkowicz. Il m’a encouragé à monter une exposition qui a eu lieu à Paris six mois après la tragédie, à l'Espace Culturel et Universitaire Juif d’Europe (ECUJE), avec le soutien de son directeur.

 

Richard Kenigsman

Vous avez fait allusion à un « réveil identitaire »…

Nous avons tous été ébranlés, secoués dans notre âme. Il y a eu une rupture qui a conduit à un retour du juif en nous, du judaïsme en nous, au-delà de toutes les formes géopolitiques, historiques, philosophiques et artistiques. Le 8 octobre, je ne le savais pas encore. Depuis j’ai énormément appris sur l'islam, les Musulmans, le judaïsme, notre histoire… Et je réalise à quel point nous ne sommes plus les mêmes. Nous revenons à nous.

 

Les œuvres que vous présenterez à Jérusalem ont été réalisées sur papier kraft. Pourquoi ?

Nombreux sont ceux qui cherchent une interprétation symbolique. Certains de mes amis analystes me disent que cela m'a permis de ne pas m'effondrer – le papier kraft est résistant. Je ne voulais pas prendre une toile blanche, qui fait référence à l'histoire de l'art. Je devais aller au plus près. C'est comme si j'avais peint sur le mur. J'ai pris du matériau à portée de main, à portée de pinceau, à portée d'âme. Je ne pouvais pas prendre une toile blanche dans une période aussi sombre.

 

Les œuvres de cette exposition sont poignantes de vérité. On les comprend immédiatement…

Oui, j’ai peint cash, brut de décoffrage. C'était spontané – et en même temps, c’était très compliqué pour moi car d’habitude j’ai une approche plus travaillée. Utiliser une approche aussi épurée n’a pas été simple. Mes nouveaux travaux de 2025 ne poursuivent d’ailleurs pas cette tendance née avec le 7 octobre.

 

Quel est votre lien avec Israël ?

J'ai beaucoup de famille en Israël. J'y suis allé souvent depuis les années 1950. Je me suis porté volontaire en 1967 ; le 9 juin j'étais déjà là, la trouille au ventre, évidemment. Mes parents ont échappé à la guerre, ma grand-mère a été déportée. Les racines sont là.

 

Êtes-vous optimiste pour l'avenir d'Israël ?

J'ai toujours été optimiste, d'abord du fait de la puissance militaire d'Israël. Je suis optimiste parce que je ne peux pas imaginer une seule seconde qu'Israël disparaisse ; ce n'est même pas une question. C'est inscrit au fond de l'âme. À mesure que je m'informe, que je rencontre des gens, je me rends compte qu'il y a quelque chose de réel que je ne m'explique pas dans la place du peuple juif parmi les nations.

Je voudrais remercier The Menachem Begin Heritage Center d'accueillir cette exposition avec le soutien de Shibboleth.

 

L'exposition de Richard Kenigsman se tiendra pendant un mois à Jérusalem à partir du 29 octobre prochain.

Vernissage le 28 octobre

Entrée libre

Inscriptions : QR CODE

Par téléphone : 02-5652020

 

 

 

 

Extraits du catalogue de l’exposition

 

« L'exposition de Richard Kenigsman est une tentative d'exprimer l'ineffable. Bien au-delà de la simple contemplation artistique, c'est un hommage aux victimes de cette interminable et si sombre journée où la barbarie terroriste a ôté la vie à plus de 1200 âmes innocentes au cœur d'Israël, laissant derrière elle un sillage de douleur, de questionnement et d'incompréhension.

Comment espérer que les œuvres fulgurantes de Richard Kenigsman cristallisent l'indicible horreur de ce massacre qui a secoué Israël, ce pays que nous aimons et qui dévoile depuis une force que nous soupçonnions, mais aussi une fragilité dont la découverte rajoute la peur au choc ressenti ?

C'est bien ce que nous offre cette exposition, où l'art ne cherche pas à représenter les

événements dans leur brutalité mais aspire à capturer l'essence de l'émotion, de la perte et de la résilience qui en découlent. Les œuvres puissantes de Richard Kenigsman deviennent alors des miroirs de l'âme, reflétant la douleur, le deuil, mais aussi l'espoir et la force indomptable de l'esprit juif face à l'adversité. Un vieux dicton yiddish disait que “tous les Juifs sont des frères, mais chacun est un grand seigneur”. Ce peintre au nom de roi redonne à chacun de nous la force incommensurable de voir, sans ciller, de continuer, sans effroi, malgré l'effarante profusion, de siècle en siècle, des Amalek.

À travers une trentaine d'œuvres, cette exposition montre toute la capacité de l'art à exprimer l'inexprimable, à rendre hommage à la vie même dans l'ombre de la mort. »

Gad Ibgui

Directeur général de l'ECUJE et de l'Institut Elie Wiesel

 

 

« Chaque jour, depuis le 7 octobre, je trempe mes pinceaux dans les ténèbres.

Je les trempe dans la boue, au fond des bocaux qui servent à les nettoyer.

Les digues s’écroulent, l'humanité se décompose, l'inhumanité s'écoule, une immondation de peinture a envahi mon atelier.

Des images et des mots surgissent. Je les consigne avec une maladresse désespérée, avec colère, avec sidération, avec honte.

Je tourne le dos au bel ouvrage. Je me déprends de mes influences. Je quitte les rivages de mes propres conformismes. Je nage à contre-courant. Je nage contre l'immondation menaçante… Je veux atteindre la haute mer. Je prends le large.

Mes tableaux sont des bouées auxquelles je m'accroche.

Je laisse à d'autres les dimensions traditionnelles et le nombre d'or. Un simple mètre carré fera l’affaire. Je troque la toile de lin contre du papier kraft. Hissé sur mon passé de peintre, je peins plus loin, je vois plus loin, j'ose enfin voir. »

Richard Kenigsman

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