D’après le journal, le projet d’invasion d’Israël remonte à l’opération « Gardien des murailles » en 2021. Des responsables du mouvement et du Hezbollah libanais expliquent avoir examiné la dynamique de cette opération et conclu que « des forces armées palestiniennes, libanaises, irakiennes et syriennes pourraient pénétrer en Israël depuis Gaza, le Liban et la Syrie, s’emparer des grandes villes — Haïfa, Tel-Aviv, Ashkelon et Jérusalem — et conditionner leur retrait à un retrait total israélien de la Judée-Samarie, y compris Jérusalem-Est, et à la création d’un État palestinien indépendant. »
Toujours selon l’enquête, lors de réunions de préparation, le Hezbollah a présenté des cibles israéliennes vitales qu’il était possible, affirme-t-il, de paralyser dès le premier jour de l’attaque. Parmi elles : les 12 centrales électriques et installations d’eau, l’aéroport international Ben-Gourion, « l’axe routier traversant le pays du nord au sud », les ports de Haïfa, Ashdod et Eilat, ainsi que les complexes gouvernementaux — Knesset, siège du gouvernement et ministères. Les responsables du Hezbollah assuraient qu’Israël n’oserait pas bombarder des cibles civiles à Beyrouth, Damas ou Gaza, de peur de se retrouver plongé dans l’obscurité, sans eau, ni approvisionnement maritime ou aérien.
Selon des représentants du Hamas, « Gardien des murailles » a prouvé que les Palestiniens en Judée-Samarie, à Jérusalem et à l’intérieur d’Israël pouvaient rejoindre un affrontement — comme cela s’était produit en 2021, avec des émeutes, des protestations et des manifestations dans des villes et villages palestiniens et mixtes — et que ces dynamiques pouvaient être exploitées.
Le Hamas aurait commencé à préparer un « grand combat » ; l’Iran aurait presque doublé son soutien financier annuel dans les deux années précédant l’opération pour parvenir à cet objectif. Salah al-Arouri — ancien responsable des activités militaires du Hamas en Judée-Samarie et vice-chef du bureau politique — a exposé devant des cadres les idées théoriques et les plans d’attaque. Certains présents ont approuvé, d’autres ont exprimé des réserves. Les plans détaillés n’étaient toutefois pas finalisés ni entérinés par des réunions formelles.
La direction politique et militaire du Hamas dans la bande de Gaza, menée par Yahya Sinwar et Mohammed Deif, a décidé de déclencher l’attaque sans coordination préalable avec les « partis de l’axe » ayant participé aux délibérations. Selon Asharq Al-Awsat, la vraie raison est que Sinwar estimait que l’Iran pouvait hésiter pour des considérations régionales et que, de toute façon, « les Palestiniens, en tant que parties prenantes, devaient initier l’offensive ; les autres suivraient s’ils constataient la capacité opérationnelle et la faiblesse d’Israël face à une telle attaque. »
L’Iran, selon l'enquête, a exprimé des réserves sur la décision du Hamas : la frappe aurait dû être approuvée par les « partis de l’axe », et la décision est arrivée trop tôt, alors que ces partis n’étaient pas prêts pour une guerre d’une telle ampleur impliquant l’Occident, en particulier les États-Unis. Quant à Hassan Nasrallah — alors secrétaire général du Hezbollah — Asharq Al-Awsat rapporte qu’il a opté pour une posture de « soutien et de diversion » : il a bombardé des positions militaires israéliennes au nord et menacé d’élargir l’opération à l’intérieur d’Israël. Mais Israël a surpris la donne et lancé une série d’opérations imprévues, y compris des assassinats ciblés — dont, affirme le journal, une tentative contre Nasrallah et son successeur supposé, Saffi al-Din.
Rappelons qu’une lettre révélée par Ben Kaspit en juin montre que les dirigeants du Hamas à Gaza — Yahya Sinwar, Marwan Issa et Mohammed Deif — n’avaient pas informé Nasrallah ni le commandant du « corps palestinien » des Gardiens de la Révolution en Iran du calendrier de l’attaque du 7 octobre, et se sont excusés par la suite. Le document, long de plusieurs pages, détaille les raisons qui ont poussé Deif, Sinwar et Issa à lancer l’offensive. Il s’agit, selon le quotidien, d’un véritable « ordre du jour » du Hamas pour l’ouverture de la « campagne pour détruire l’entité sioniste », accompagné d’addenda et de mises à jour. La lettre aurait été envoyée à Nasrallah avec Saeed Izadi comme co-auteur.
Trois jihadistes sunnites — Deif, Sinwar et Issa — rendent compte en temps réel à deux jihadistes chiites — Nasrallah et Izadi — du début de l’opération conjointe visant, de leur point de vue, la destruction de l’« entité sioniste ». Nasrallah reçoit un état des lieux en temps réel et une excuse explicite pour ne pas avoir été prévenu du calendrier, la raison invoquée étant les capacités de renseignement de l’ennemi.
Des sources ont confirmé à Asharq Al-Awsat que, depuis le lendemain du massacre, la direction politique du Hamas s’est employée à stopper la guerre et à en limiter la destruction. Au départ, elle comptait sur le rôle des « partis de l’axe », en particulier le Hezbollah et les Houthis, puis a misé sur l’entrée de l’Iran dans le conflit, transformant l’affrontement en guerre régionale nécessitant une intervention internationale. Elle espérait aussi un effet de pression interne et international — pari qui, selon le reportage, n’a pas produit les résultats attendus, poussant la direction du mouvement à adopter une posture plus « flexible ».
Après avoir constaté les conséquences de l’attaque, le Hamas aurait opté pour une stratégie visant à négocier un accord mettant fin aux hostilités, obtenant le retrait israélien de Gaza et amorçant la reconstruction. Le mouvement aurait accepté de faire des concessions sur certains sujets liés aux otages, à l’autorité dans la bande de Gaza et au transfert d’armement, en échange d’un accord global arrêtant la guerre et entraînant un retrait. Néanmoins, le Hamas affirme préférer « combattre jusqu’au dernier fusil et au dernier combattant » plutôt que de capituler.
Parmi les domaines où le Hamas se dit prêt à montrer de la flexibilité figurent la gouvernance et la question des armes. Toutefois, il exige le retour de l’Autorité palestinienne au pouvoir et la prise en charge de la sécurité et de la gouvernance de la bande — en exprimant sa disposition à un consensus national sur le sujet des armes. Des observateurs estiment qu’une telle flexibilité pourrait ouvrir la voie à une percée dans les négociations en cours, calquées notamment sur le plan proposé par le président américain Donald Trump. Selon des sources interrogées par Asharq Al-Awsat, le Hamas considère que ces questions requièrent l’implication centrale de l’Autorité palestinienne, qui déterminerait le statut futur de la bande dans le cadre d’un État palestinien.