« C’est une combinaison d’excitation, d’anxiété et de larmes de soulagement », résume la Dr Lena Feldman Koren, directrice adjointe du centre médical Rabin et responsable du campus Bellinson, qui a accueilli plusieurs des otages libérés cette semaine. « Chaque membre du personnel vit cet événement. »
Depuis des jours, médecins et infirmiers dorment à peine. L’hôpital s’est préparé à toute éventualité : simulations médicales, aménagement de chambres dédiées, protocoles pour chaque scénario.
« Nous avons construit un département spécial, le “service des revenants”, conçu pour ressembler à une maison », explique la praticienne. Chaque ex-otage dispose d’une chambre individuelle, avec une pièce attenante pour sa famille. « À tout moment, ces chambres peuvent se transformer en unités médicales hautement équipées. »
Parmi les vingt otages libérés lundi, cinq ont été hospitalisés à Beilinson : Guy Gilboa-Dalal, Alon Ohel, Eitan Mor, Avinatan Or et Evyatar David. Mais cette fois, souligne la médecin, « il s’agit de personnes détenues dans des conditions d’une brutalité extrême pendant plus de 700 jours — bien au-delà de tout ce que nous avions connu. »
« Chaque organe est affecté par une captivité aussi longue, sans mouvement, sans soleil, avec une alimentation pauvre et des carences vitaminiques graves. Leur corps doit littéralement réapprendre ce qu’est une nourriture normale », confie-t-elle. « Nous écrivons de nouveaux chapitres de la médecine. J’espère que personne n’aura jamais besoin d’une “médecine de l’otage”, mais c’est la réalité. Nous apprenons en avançant, perfectionnons nos protocoles et adaptons un traitement personnalisé à chacun. »
Chaque patient est suivi par une équipe attitrée : un médecin, une infirmière, un diététicien, un travailleur social et un psychologue. Autour d’eux gravitent des spécialistes de toutes disciplines : hématologie, endocrinologie, dermatologie, gastroentérologie, ophtalmologie, chirurgie... « C’est tout l’intérêt d’un grand hôpital », note-t-elle.
Les médecins s’appuient sur une expérience ancienne - celle des prisonniers de la guerre de Kippour - mais aussi sur deux années d’apprentissage empirique.« Quand l’alimentation se limite à du pain, du riz et des fèves, le corps entre en mode survie. Il brûle les graisses, dégrade les muscles, économise l’énergie, mais au prix d’une destruction des réserves vitaminiques et du système immunitaire », explique-t-elle.
Pour éviter le syndrome de réalimentation, potentiellement mortel, la reprise alimentaire se fait de manière extrêmement progressive. « C’est un travail de patience, accompagné de soutien nutritionnel, de physiothérapie, puis d’une longue rééducation. »
Les réactions varient. « Certains se taisent, d’autres racontent. Nous aidons les familles à ne pas brusquer, à écouter, simplement à être là. » Psychologues et psychiatres encadrent ce retour à la parole et au lien, pour que les émotions puissent s’exprimer sans réactiver le traumatisme.
La première nuit ? « Très intense ! Le passage de la captivité à un lit chaud n’a rien de simple. Certains se sont endormis d’épuisement, d’autres n’ont pas réussi à fermer l’œil. Nous leur avons laissé la liberté : pas d’heure d’extinction des feux. Retrouver le contrôle de son temps, c’est déjà guérir. »
Le service, décoré comme une maison, comprend une chambre privée pour chaque ex-otage, une autre pour la famille proche, et un espace commun pour recevoir les proches. « Le personnel médical n’entre que si nécessaire. Le matin, ils se lèvent à leur rythme, prennent le petit-déjeuner sous la supervision de la diététicienne, passent des examens, des entretiens thérapeutiques, puis du temps libre dans le petit jardin du service. Nous voulons leur rendre la maîtrise de leur vie. »
Même les soins dentaires sont intégrés : « Deux ans sans se brosser les dents ont causé de graves dommages. Chacun est vu par un spécialiste en chirurgie maxillo-faciale. »
Ce qui l’a le plus émue ? « Le moment où Guy Gilboa-Dalal et Evyatar David, deux amis d’enfance, se sont retrouvés. Pas un mot. Juste un regard, un long élan. On n’oublie pas ça. »
« Pour nous, médecins, c’est une forme d’aboutissement, la fermeture d’un cercle ouvert il y a deux ans. » Depuis deux ans, nous avons soigné des centaines de blessés de guerre. Voir les otages revenir sur le même héliport que les soldats blessés, c’est un moment historique. Nous sommes la première étape de leur guérison. Notre mission est claire : les ramener à la maison — dans leur corps, dans leur famille, dans la vie. »