Des documents saisis par Tsahal dans la bande de Gaza exposent l'ampleur des liens entre le Hamas et le réseau qatari Al-Jazeera. Selon une nouvelle étude du Centre Meir Amit d'information sur le renseignement et le terrorisme, la chaîne contrôlée par la famille régnante de Doha aurait joué un rôle central dans la propagande et la guerre psychologique du Hamas, particulièrement depuis le début de la guerre.
Instructions précises sur la terminologie et les récits
Les recherches menées par Avishai Karo révèlent que la relation entre Al-Jazeera et le Hamas ne relève pas d'une simple convergence idéologique, mais d'une "relation continue, ordonnée et réglementée". Les documents attestent de la transmission d'instructions détaillées des responsables de l'information du Hamas aux rédacteurs et journalistes d'Al-Jazeera, incluant des directives sur la terminologie à utiliser et des consignes pour "ne pas nuire à l'image de la résistance".
Un document de 2022 illustre cette coordination : après une attaque à la roquette du Jihad islamique à Jabaliya qui avait tué des civils palestiniens, le Hamas avait ordonné d'éviter le terme "massacre" et de préciser que "ces événements n'étaient pas dus à des attaques de l'occupation". Le document indique que cette directive "avait été transmise à Al-Jazeera et avait reçu une réponse positive de la part de la rédaction de la chaîne".
Le "téléphone Al-Jazeera" : une ligne directe avec l'état-major du Hamas
Un document de 2023 révèle une donnée encore plus évocatrice : la mise en place d'un "téléphone Al-Jazeera", une ligne de communication sécurisée destinée à permettre une coordination directe entre le centre des opérations d'urgence militaire du Hamas et les bureaux du réseau à Doha. Cette ligne devait servir en cas d'urgence pour garantir au Hamas le contrôle de la couverture médiatique de sa branche armée, avec des instructions en temps réel sur le contenu à diffuser, à cacher et les termes à utiliser.
Selon le centre, il s'agit d'une "preuve rare de l'existence d'une coordination systémique entre une organisation terroriste et un réseau d'information international".
Cinq journalistes identifiés comme membres de la branche armée
Les documents révèlent que plusieurs journalistes travaillant pour Al-Jazeera à Gaza étaient également membres des Brigades Izz al-Din al-Qassam, la branche armée du Hamas. Certains auraient même participé aux raids du 7 octobre :
Anas al-Sharif, tué lors d'une frappe israélienne le 10 août 2025, apparaît dans les documents comme membre de la branche armée du Hamas, rattaché au bataillon de Jabaliya-Est. Il aurait servi comme combattant, chef d'escouade et chef du service d'information du bataillon.
Ismail Abu Ammar, correspondant à Khan Younès grièvement blessé en février 2024, figure comme commandant de groupe au sein de l'unité d'entraînement du bataillon de Khan Younès-Est. Il fut parmi les premiers à couvrir l'attaque du 7 octobre en temps réel, suggérant qu'il était informé à l'avance de l'opération.
Talal Mahmoud Abdel Rahman Al-Arouki, reporter de terrain grièvement blessé en novembre 2024 à Nussirat, est identifié comme commandant de groupe avec le grade de capitaine dans la brigade "Jérusalem".
Hussam Shabat, "journaliste" tué lors d'une frappe ciblée en mars 2025, apparaît sur une liste d'agents de la compagnie antichar du bataillon de Beit Hanoun, décrit comme tireur d'élite.
Abdullah al-Jamal, photographe et rédacteur ayant collaboré avec Al-Jazeera, a été tué en juin 2024 lors de l'opération de libération de trois otages israéliens retenus à son domicile à Nusseirat. Bien que la chaîne ait nié tout lien professionnel avec lui, son nom figure sur le site anglophone d'Al-Jazeera comme reporter ayant couvert les "Marches du Retour" en 2019.
Censure des critiques et interruption d'interviews
Le centre documente plusieurs cas où des journalistes d'Al-Jazeera ont interrompu des tentatives de critiques du Hamas par des habitants de Gaza lors d'émissions en direct. Le 5 novembre 2023, lors d'une interview dans un hôpital de Gaza, un Palestinien blessé avait déclaré que "des membres du Hamas se cachent parmi les civils", mais le journaliste avait immédiatement coupé l'interview. Les critiques visant le Qatar ou la Turquie ont été censurées de la même manière.
Selon le centre, "faire taire les critiques et préserver l'image du contrôle du Hamas font partie intégrante du système de conscience que le réseau sert – non seulement comme média, mais comme outil de guerre psychologique".
Couverture biaisée du cessez-le-feu
Même après l'annonce du cessez-le-feu négocié par l'administration Trump, Al-Jazeera a continué de promouvoir le discours du Hamas, soulignant sa survie et ses capacités militaires tout en minimisant la couverture des retrouvailles entre les otages libérés et leurs familles en Israël.
Contrairement aux autres médias, les journalistes d'Al-Jazeera ont bénéficié d'un accès exclusif aux lieux de remise des otages et aux points de transfert des corps à la Croix-Rouge, tandis que l'arrivée des otages en Israël était "quasi inexistante" sur la chaîne.
Le centre conclut qu'"Al-Jazeera ne s'est pas contentée de relayer les messages du Hamas, mais est devenue partie intégrante du système d'influence, de propagande et de guerre psychologique mis en place par le mouvement pendant la guerre".