Tribune

Avi Pazner : « La hasbara, c'est tout ce qu'Israël représente de bien »

Monument de la hasbara, mémoire vive de l’État, à 88 ans Avi Pazner continue, avec une clarté sans concession, de faire entendre la voix d’Israël.

12 minutes
28 octobre 2025

ParEden Levi Campana

Avi Pazner : « La hasbara, c'est tout ce qu'Israël représente de bien »

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Interview publiée dans AJ Mag Octobre 2025

Avi Pazner a façonné l’histoire d’Israël comme peu d’hommes de sa génération. Porte-parole de six Premiers ministres, artisan des accords d’Oslo, ambassadeur à Paris et au Vatican, il fut le seul à obtenir une visite du pape Jean-Paul II à Yad VaShem. Sa parole a pesé dans toutes les grandes batailles diplomatiques du pays. Monument de la hasbara, mémoire vive de l’État, à 88 ans il continue, avec une clarté sans concession, de faire entendre la voix d’Israël.

 

AJ MAG : Vous avez été l’un des visages les plus emblématiques de la hasbara israélienne. Pouvez-vous nous raconter brièvement son origine et son évolution historique jusqu’à aujourd’hui ?

Avi Pazner : La hasbara existe depuis que le mouvement sioniste existe. À l’origine, elle était destinée à expliquer ce qu'était le mouvement sioniste, quels étaient ses projets et les défis qui se posaient à lui. Historiquement, la hasbara a toujours été au centre de tous les efforts, parce que, comme on le sait, le mouvement sioniste n'a pas eu que des amis… La hasbara a donc fait partie intégrante du mouvement de libération du peuple juif. Elle a eu de grands spécialistes, des voix très éminentes, avant et après la création de l'État d'Israël, des gens exceptionnellement doués – chacun à sa manière et chacun de son bord politique –, comme par exemple Abba Eban, ministre des Affaires étrangères de 1966 à 1974, ou Benyamin Netanyahou qui est maintenant Premier ministre. Des hommes doués peuvent parfois changer le cours d’un événement historique en présentant une image inédite et positive.

 

Vous avez vécu de l’intérieur les grandes heures de la diplomatie israélienne. Quelle était alors la stratégie de hasbara ?

J’évolue dans l’univers de la hasbara depuis la guerre des Six Jours, en 1967 : depuis presque soixante ans, j’ai donc j'ai connu toutes les guerres, tous les efforts de paix, toutes les situations. J'ai tout vu, j'ai tout vécu et jusqu'aujourd'hui j'essaie de tout expliquer de la façon la plus positive possible. Chaque problème, chaque événement est différent et nécessite d'autres moyens ; on ne peut pas dire qu’il y a « une ligne ». Lorsque vous expliquez un processus de paix comme Oslo, par exemple, ou quand vous expliquez la situation à Gaza aujourd'hui, c'est complètement différent. Il faut avoir une capacité d'adaptation, d'invention, et une agilité intellectuelle pour pouvoir expliquer d'une façon cohérente des situations qui sont complètement différentes les unes des autres, mais les expliquer de manière à présenter Israël sous un angle positif.

 

Le mot « hasbara » est souvent mal compris à l’étranger, voire assimilé à de la propagande. Comment, personnellement, définissez-vous la hasbara, et comment expliqueriez-vous sa légitimité démocratique ?

Cela n'a rien à voir avec de la propagande. La hasbara, c'est uniquement informer le public en Israël et dans le monde – particulièrement dans le monde, bien sûr. Cette information doit être crédible, ne jamais mentir, ne jamais exagérer, ne jamais donner une fausse image, mais présenter la situation telle qu'elle est du point de vue d'Israël, car c'est le point de vue que nous défendons. La propagande est mensongère. La hasbara, elle, doit refléter la vérité. C’est aussi simple que cela.

 

Quels ont été les plus grands succès de la hasbara dans l’histoire israélienne ?

Les plus grands succès ont toujours accompagné des événements dramatiques, comme les guerres, le processus de paix ou les intifadas – donc toujours des problèmes liés à la rivalité entre Israël et une partie du monde arabe. Je crois qu'un de nos plus grands succès était en 1978-79, lors du processus de paix avec l'Égypte. Nous avons alors rehaussé l'image d'Israël qui avait été fortement ternie par la guerre de Kippour. On croyait Israël faible. Nous avons démontré que nous étions capables de faire la paix avec les plus grands pays arabes.

Nous avons eu de gros succès durant la guerre du Golfe en 1991, lorsque nous avons été attaqués par Saddam Hussein. Nous avons eu la présence d'esprit de ne pas tomber dans le piège qu'il nous tendait, de ne pas répondre à ses provocations, pour laisser la coalition dirigée par les États-Unis remporter cette guerre.

Le processus de paix et les efforts que nous avons déployés pour faire la paix ont eux aussi redoré le blason d'Israël, que ce soit la conférence de paix de Madrid ou la conférence de Camp David. Notre histoire est mouvementée. Chaque épisode demande une autre hasbara, une autre formule. Nous ne pouvons pas être dogmatiques.

 

La hasbara est-elle uniquement une affaire de diplomates ou pensez-vous que les artistes, les écrivains, les réalisateurs, les influenceurs jouent aujourd’hui un rôle aussi fondamental que celui des ambassades ?

On ne peut pas tout laisser aux ambassades. Les ambassades doivent savoir créer des cercles d'amis d'Israël qui soient capables de venir en aide aux ambassades. Mais les ambassades, avec tout l'honneur qu'on leur doit, sont les porte-paroles officiels de l'État d'Israël. La hasbara, c'est beaucoup plus profond : c'est tout ce qu'Israël représente de bien ; et il est important que des cercles d’amis d'Israël participent aussi à cet effort. C'est le rôle des ambassades, des ambassadeurs, de trouver des artistes, des écrivains, des philosophes, des journalistes, évidemment, qui comprennent la réalité d'Israël et soient prêts à la défendre. La tâche ne peut pas échoir seulement aux ambassades et aux ambassadeurs. C'est ce que j'ai essayé de faire durant ma carrière : mobiliser d'autres personnes pour défendre Israël. Ce n'est pas moins important que le travail que j'ai fait moi-même.

Aujourd'hui, dans certains pays européens, la réalité n’est pas ce qu’elle était il y a dix, vingt, trente ans. Par exemple, il y en Europe et en Amérique de très profonds mouvements islamistes qui n'existaient pas – en tout cas pas de cette manière, pas avec cette force – il y a vingt ou trente ans. Ces mouvements constituent un danger pour Israël et un danger à long terme pour les pays mêmes dans lesquels ils sont installés, comme la France, la Belgique, les Pays-Bas, certains pays scandinaves, où il y a d’importantes minorités islamiques. C'est une réalité politique. Donc le devoir d’Israël et de ceux qui aiment Israël est aujourd’hui plus difficile qu'il ne l'était, et nous devons intensifier nos efforts.

 

Vous mettez l'accent sur l'importance de la Diaspora…

Absolument. Israël n'est pas seul. Ses alliés les plus fidèles, ce sont les communautés juives en Diaspora – et certaines d'entre elles sont menacées. Il y a une alliance très profonde entre Israël et les communautés juives, et ils doivent se renforcer l'un l'autre. Mais ce n'est pas toujours facile. Ceux qui sont les meilleurs en hasbara se trouvent toujours en Diaspora ; mais ils doivent savoir quoi communiquer et comment communiquer, et c'est Israël qui peut et devrait le leur enseigner.

 

Certains avancent que le facteur démographique – notamment la montée d’un islam politique dans de nombreux pays occidentaux – pèse lourdement dans la bataille de l’opinion. Partagez-vous cette analyse ?

Certains pays comptent aujourd’hui entre 10 et 15 % de Musulmans, certains d'entre eux – pas tous, évidemment, loin de là – des islamistes extrémistes convaincus ; alors bien sûr que cela a un poids politique dans ces démocraties. C’est le cas par exemple en Belgique où les partis politiques se font concurrence pour savoir lequel est le mieux « placé » pour avoir les voix des islamistes. Idem en France avec La France Insoumise, un parti qui va chercher ses électeurs parmi les Musulmans.

Même si, évidemment, tous les Musulmans ne sont pas des intégristes, ils ne sont bien sûr pas du côté d'Israël, mais du côté des ennemis d'Israël ; et cela a une répercussion sur la politique de tous les pays, spécialement en Europe de l'Ouest où une proportion considérable des sociétés européennes est musulmane et vote – et la démographie va exacerber encore davantage ce problème avec les années.

 

Depuis le 7 octobre, l’opinion mondiale semble de plus en plus hostile à Israël, malgré les atrocités subies. Pourquoi, selon vous, la machine de hasbara paraît-elle aujourd’hui grippée ?

À mon grand regret, elle est en effet terriblement grippée. De tout temps, dans le bureau du Premier ministre, il y a eu une cellule extrêmement importante de hasbara. Je n'entre pas dans les raisons mais elle n'existe plus aujourd'hui. À présent, la hasbara se fait par l'entremise du ministère des Affaires étrangères, qui fait un bon travail mais qui ne peut pas tout faire à lui seul. Je me rappelle d'autres conflits, d'autres situations, lors desquels nous étions quelques dizaines à être affiliés au bureau du Premier ministre et pour qui la hasbara était un des fronts les plus importants. Aujourd'hui, malheureusement, cela n'existe pas. Le Premier ministre lui-même fait de grands efforts de hasbara, mais ce n'est pas un seul homme qui peut réussir à tout expliquer. À mon avis, il est essentiel de reconstituer cet effort de hasbara qui, jusqu'à il y a quelques années, a toujours existé dans les bureaux de tous les Premiers ministres.

 

Quels ont été, selon vous, les grands échecs et les grands succès de la hasbara depuis le 7 octobre 2023 ?

Le grand échec, vous le voyez actuellement. Nous n'avons pas su répondre à la propagande du Hamas. Nous n'avons pas su présenter notre action d'une façon qui soit crédible et positive. C'est tout simplement comme si nous laissions les autres parler et que nous nous taisions. Et cela continue, malgré le fait qu'il y a un débat ici en Israël sur le fait que le gouvernement reste silencieux. C'est assez incroyable. Nous sommes aujourd'hui témoins du plus grand échec de la hasbara israélienne depuis sa création.

En même temps, je dois dire qu'il y a deux mois, nous avons remporté un grand succès. Notre action contre l'Iran a été applaudie un peu partout dans le monde parce que depuis quinze ans nous préparons soigneusement l'opinion publique en informant du grand danger d'un Iran nucléaire qui menace non seulement l'existence d'Israël, mais aussi tous les pays limitrophes, l'Europe et le monde entier. Alors, quand nous avons pris cette décision d'une action militaire – et c’est toujours compliqué –, tout le monde a compris que nous faisions ce qu'il fallait faire.

Nous avons donc ici deux exemples d’un grand succès et d'un grand échec. Je n'arrive pas à m'expliquer le silence du gouvernement israélien sur cette guerre qui est pourtant justifiée, qui est une guerre de défense contre l'organisation terroriste et que cependant nous n'arrivons pas à expliquer à l'opinion publique mondiale.

 

Avez-vous une petite idée des causes de ce silence ?

Si nous recourions un peu partout à des agences publicitaires en France – comme par exemple Publicis –, en Angleterre, en Allemagne, évidemment aux États-Unis, nous parviendrions peut-être à toucher des publics que nous sommes incapables en ce moment de toucher. Si le gouvernement n'est pas capable de faire le travail lui-même, alors qu'il engage quelqu'un pour le faire à sa place ! Sinon, nous risquons de payer cher cette carence.

 

Comment expliquez-vous que l’on n’ait pas réussi à inverser le narratif, malgré tout ce qu’a subi Israël ?

Je crois que l’on n'a tout simplement pas accordé assez d'importance à ce sujet. Le gouvernement a pensé qu’il était tellement clair qu'Israël se défendait contre une organisation terroriste qui a juré sa perte que tout le monde comprendrait nos actions. Et puis, une guerre dans des zones urbaines est très difficile à mener, et encore plus difficile à expliquer.

Beaucoup de gens essaient, comme moi, de sonner l'alarme, des gens qui connaissent l'Europe, qui connaissent les États-Unis, qui connaissent le monde – mais apparemment sans grand succès, parce que je ne vois pas le gouvernement bouger. Nos ennemis ont aujourd’hui une complète liberté d'action dans le domaine de la communication.

 

La hasbara, n’est-elle pas parfois insuffisante pour faire face à un antisionisme et un antisémitisme aussi virulents ?

On ne peut bien sûr pas tout solutionner avec la hasbara. Face au violent antisémitisme qui se déchaîne un peu partout, en Europe, aux États-Unis, la hasbara ne suffit évidemment pas. Il faut aussi mobiliser l'aide des gouvernements des pays concernés. Prenez le cas des pays où vivent de grandes communautés juives, comme la France ou la Grande-Bretagne : leurs gouvernements font très peu. Certes, il y a des déclarations, on condamne l'antisémitisme ; mais pratiquement, on ne fait rien, contrairement, par exemple, à ce qui se passe aux États-Unis où le président Trump a pris des mesures concrètes contre des universités dans lesquelles l'antisémitisme faisait rage – Harvard, Columbia et d'autres. Il est vrai qu’il y a moins de Juifs en Europe qu’aux États-Unis, mais le fléau est là et les gouvernements européens ne font rien, à part des déclarations. Ce n'est pas suffisant, ni en France, ni en Angleterre.

 

Si vous étiez aujourd’hui chargé de réinventer la hasbara israélienne, que faudrait-il faire de toute urgence ? Et que faudrait-il reconstruire à long terme ?

Il faut reconstruire une importante cellule de hasbara, de personnes qui connaissent la hasbara, au niveau du bureau du Premier ministre, ou créer un ministère ad hoc. Et c'est hier qu'il fallait commencer, pas demain. Le problème est urgent et il s’illustre particulièrement en Europe avec la reconnaissance de l'État de Palestine par les pays européens, sans conditions, sans frontières… – un État qui n'existe pas. On ne parle pas des otages, on ne parle pas des droits d'Israël – rien du tout. On ne parle que de la Palestine.

 

Propos recueillis par Eden Levi Campana pour AJ Mag Octobre 2025

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