Le musée des Beaux-Arts de Gand (MSK) en Belgique a décidé de ne pas restituer aux héritiers d’un marchand d’art juif un tableau spolié pendant la Shoah, malgré la reconnaissance explicite de son vol. La décision, entérinée jeudi par la municipalité, justifiée selon le musée par des compensations financières qui auraient été versées par le passé aux ayants-droit, a suscité un vif tollé parmi les organisations juives européennes.
Cette controverse intervient un mois après l’annulation, par le comité du Festival de Flandres, d’un concert de l’Orchestre philharmonique de Munich au motif que son chef est israélien. Deux épisodes qui, selon plusieurs responsables juifs, illustrent un aveuglement moral persistant à Gand.
L’œuvre en question, Portrait de l’évêque de Trieste (1630) de Gaspar de Crayer, appartenait à la prestigieuse galerie anversoise du marchand d’art juif Samuel Hertfeld. Durant l’occupation nazie, la galerie – forte de 66 tableaux – fut placée sous le contrôle de Heinrich Kunst, membre du parti nazi. L’une des toiles finit par intégrer les collections du MSK.
Dans un communiqué conjoint, le Centre juif d’information et de documentation et l’Association juive européenne (EJA) dénoncent une décision « indigne » et « incompatible avec les principes internationaux ».
Ralph Peis, vice-président du Centre, accuse la ville de Gand d’inventer une fiction juridique en évoquant une hypothétique “compensation présumée”. « Aucun document ne prouve que la famille Hartfeld ait reçu la moindre indemnisation », insiste-t-il.
Les organisations rappellent que les Principes de Washington et la Déclaration de Terezin exigent la restitution des œuvres dès lors que le pillage est établi. Plusieurs musées européens – dont la Tate Gallery ou de grandes institutions autrichiennes – ont déjà restitué des œuvres issues de la collection Hartfeld.
Pour Ralph Peis, la décision isole la Flandre et renvoie l’image d’une Belgique qui bloque la restitution d’œuvres volées par les nazis. « C’est une injustice supplémentaire infligée à une famille juive déjà martyrisée », déplore-t-il.
Le Centre juif d'information et de documentation demande au gouvernement belge d’intervenir, d’ordonner la restitution, et de créer une commission nationale de restitution, comme il en existe ailleurs en Europe.
La municipalité de Gand défend pour sa part son choix : une commission d'experts aurait conclu à l’unanimité qu’aucune restitution n’était justifiée, estimant que Hartfeld ou ses héritiers avaient déjà perçu des compensations après-guerre.
Une version fermement contestée par Me Hans Hartung, avocat international spécialisé dans le droit de l’art et conseiller des héritiers. Il parle d’une affaire « honteuse et sans précédent » : « C’est la première fois en Europe qu’une commission reconnaît un vol nazi tout en recommandant de ne pas restituer l’œuvre. Désormais, seuls les tribunaux semblent en mesure de rendre justice. »