International

Pékin voit rouge

Ce matin, nous vous révélions la visite discrète en Israël du vice-ministre taïwanais des Affaires étrangères, François Wu, et anticipions la colère de Pékin, la réaction n’a pas tardé : la Chine dénonce une “violation flagrante du principe d’une seule Chine”, tandis que l’État hébreu reste muré dans le silence.

4 minutes
11 décembre 2025

ParNathalie Sosna Ofir

Pékin voit rouge
Pek

Désolé, votre navigateur ne supporte pas la synthèse vocale.

Selon plusieurs sources citées par Reuters, Wu a effectué sa visite ces dernières semaines, loin des caméras, et dans la continuité d’un précédent déplacement lui aussi tenu secret : celui du vice-ministre taïwanais de la Défense, venu préparer une coopération stratégique avec Israël. Deux visites à huis clos qui, mises bout à bout, marquent un tournant discret mais décisif dans les relations entre les deux pays.

À peine l’information révélée, l’ambassade de Chine en Israël publiait une réaction tranchante, dénonçant une violation du principe d’« une seule Chine » : « La question taïwanaise touche à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la Chine et constitue une ligne rouge non négociable. Nous appelons Israël à corriger immédiatement ses actions erronées. »

La Chine rappelle aussi que le communiqué fondateur des relations diplomatiques sino-israéliennes reconnaît Taïwan comme « partie intégrante du territoire chinois ». Un rappel à l’ordre qui sonne comme un avertissement : Pékin voit dans ce rapprochement un affront direct — et une remise en cause de son autorité.

Les visites taïwanaises s’inscrivent dans un moment diplomatique particulier. Depuis le 7 octobre, Taïwan — qui se voit souvent comme une démocratie menacée par une puissance autoritaire — a multiplié les signes de soutien à Israël. En retour, Jérusalem observe l’île avec un intérêt renouvelé. Taïwan, tout comme Israël, vit sous la pression constante d’un voisin hostile, scrute les signaux faibles et investit massivement dans la défense antimissile. Les analogies stratégiques ne manquent pas.

Les discussions ont probablement porté — même si aucune confirmation officielle ne l’admettra — sur le système de défense aérienne taïwanais T-Dome, dévoilé à Taipei en octobre. Ce système, inspiré dans son concept et ses composants du Dôme de Fer israélien, symbolise une coopération technologique discrète mais réelle. Selon plusieurs rapports, l'assistance israélienne porterait sur : technologie radar de nouvelle génération, composantes de guidage, modules d’interception et adaptations du système aux scénarios d’invasion chinoise.

Autrement dit : un sujet explosif pour Pékin, obsédée par l’éventualité d’une militarisation de Taïwan soutenue par des puissances étrangères.

Il serait naïf de penser qu’Israël agit seul.
Chaque geste de Jérusalem envers Taipei s’inscrit dans une équation où les États-Unis tiennent la plume. Washington voit en Taïwan un front stratégique central face à la Chine — et en Israël un partenaire technologique clé. Difficile d’imaginer ces visites sans un feu vert américain voire une incitation directe de Washington.

Pékin, évidemment, le sait.

Ces derniers jours, plusieurs tensions ont déjà crispé les relations sino-israéliennes. Israël a récemment signé à l’ONU une déclaration condamnant les violations des droits humains en Chine — une démarche inhabituelle qui a immédiatement déclenché la colère de Pékin. Netanyahou avait également accusé la Chine, aux côtés du Qatar, de contribuer à la « guerre cognitive » contre Israël.

Dans ce climat tendu, la révélation de visites taïwanaises à haut niveau tombe comme une étincelle supplémentaire dans un baril déjà instable.

De son côté, Taipei assume pleinement son repositionnement.
Le ministère taïwanais des Affaires étrangères, sans confirmer la visite, déclare :« Taïwan et Israël partagent les valeurs de liberté et de démocratie. Nous renforcerons nos échanges dans le commerce, la technologie et la culture. » Quant au président taïwanais Lai Ching-te, il multiplie les comparaisons entre Israël et Taïwan, parlant de « résilience face à la menace ». et avait accueilli récemment à Taipei une délégation de parlementaires israéliens.

Depuis 2019, Israël et Taïwan entretiennent des liens officieux mais solides dans la cybersécurité, l’intelligence artificielle, la recherche militaire et la défense anti-missile.

Taïwan voit en Israël un modèle de survie et d’innovation sous pression. Israël voit en Taïwan un partenaire démocratique aligné — et un marché hautement technologique.

Comment Pékin réagira-t-il ?

Tout indique que la Chine était déjà au courant de ces visites par ses propres services. La question n’est donc pas « si », mais quand et comment Pékin choisira d’exprimer son mécontentement.
Rétorsions diplomatiques ? Pressions économiques ? Signal politique ? Israël devra manœuvrer avec précaution : préserver sa relation stratégique avec Washington et maintenir ses liens économiques avec la Chine tout en développant un nouveau partenariat avec Taïwan. Un équilibre fragile — et désormais exposé.