Plusieurs pays ont donc annoncé qu’ils boycotteront le concours de l'Eurovision pourvu qu’ils n’y participent pas aux côtés d’Israël.
Voilà une décision qui m’inspire bien évidemment de la colère, du dégoût et de l’inquiétude de voir encore une fois cette obsession quasiment pathologique à l’encontre de l’Etat juif. On pourrait en parler longuement, se demander pourquoi a-t-on modifié le règlement qui régit le vote du public dès lors que l’on a constaté que les téléspectateurs européens avaient largement soutenu les prestations d’Israël ces dernières années - bref des lois spéciales et d’urgence qui visent un pays en particulier comme hier des lois spéciales qui visaient les communautés juives sur le Vieux Continent…décidément les Européens ne sont pas très originaux….
Mais je voudrais m’arrêter quelques instants pour réfléchir et analyser cette affaire sous un autre angle.
Dans cette croisade contre Israël sur l’affaire de l’Eurovision comme sur d’autres sujets dès lors qu’il s’agit d’Israël c’est à peu près toujours les mêmes pays européens qui sont à la pointe du combat.
Ici nous avons l’Irlande, l’Espagne, les Pays-Bas et la Slovénie qui ont été rejoints par l’Islande.
Je m’étonne que ni le Portugal, ni la Belgique et le Luxembourg ne figurent pas dans ce hit parade infâme. Sans jouer les devins de mauvais augure je ne serai pas étonné qu’ils finissent eux aussi par renoncer à participer à l’Eurovision au prétexte de la participation d’Israël.
Si je mets de côté quelques instants le cas des Pays Bas, un pays qui a très tôt sombré dans la radicalité de la tolérance et d’une certaine forme de libéralisme dévoyé en laxisme et laisser-faire qui a donné naissance à une permissivité sociétale dans laquelle l’antisionisme, la haine d’Israël et l’antisémitisme d’inspiration islamiste y ont trouvé un terreau fertile, les autres pays ont un point commun.
Tous ces pays partagent en commun un détail très intéressant à mes yeux. Ce sont les derniers pays du Vieux Continent à s’être déchristianisés.
L’Europe a connu ce phénomène né et inspiré de la philosophie des Lumières qui privilégie la raison sur la foi et a donné naissance depuis la fin du 19ème siècle à la perte d’influence politique, sociétale et philosophique de la religion chrétienne sur les élites et les décisionnaires.
Le principe de la séparation des églises et de l’Etat est devenu au fil du siècle dernier la boussole de l’évolution des sociétés qui se libéraient au fur et à mesure du carcan et des chaines d’une chrétienté qui les avaient conditionnées pendant des siècles a ses valeurs, ses principes, mais aussi ses dérives et je pense ici bien évidemment aux racines chrétiennes de l’antisémitisme. L’enseignement du mépris selon la formule de Jules Isaac avait constitué le socle de l’antijudaïsme et formaté les esprits à la haine des Juifs déclinée sous toutes ses formes : l’anathème, l’exclusion, le boycott….
Oui déjà, le boycott….
L’Irlande est considérée comme l’un des derniers pays européens à s’être déchristianisé. L’influence de l’église catholique y est encore très puissante. La dépénalisation de l’avortement – souvent présentée comme une jauge sérieuse pour mesurer la libéralisation et l’évolution des esprits dans les sociétés modernes – n’a été votée qu’en 2019. Vous imaginez, presque un demi-siècle après la France.
En Espagne il a fallu attendre la fin des années 80, 1993 en Belgique (avec un Roi très pieusement catholique au point de décider d’abdiquer pendant 24 heures pour ne pas avoir à signer la promulgation de cette loi…), 2007 au Portugal et 2014 au Luxembourg….
La séparation officielle de l’église et de l’Etat n’est intervenue qu’en 1976 au Portugal et en 1978 en Espagne.
En Islande, l’église luthérienne reste l’église d’Etat dans un pays qui ne connait pas la laïcité.
La Slovénie catholique était la plus religieuse des anciennes républiques yougoslaves dans laquelle l’athéisme d’inspiration socialiste n’a jamais réussi à avoir de prise.
Bref vous l’avez compris plus les racines chrétiennes sont encore vives, plus l’antisionisme s’y répand.
Dans ces sociétés ou hier encore on prêchait et enseignait la théorie du peuple déicide, on propage et célèbre aujourd’hui celle du peuple génocidaire.
De l’antijudaïsme d’inspiration chrétienne à l’antisionisme d’inspiration wokiste le pas est franchi avec une facilite déconcertante.
Mais comme je le disais tout à l’heure, rien d’original sur ce vieux continent : c’est la même haine et le même acharnement contre le même peuple.
Chronique de Daniel Saada diffusée le dimanche 14/12 sur Radio J
Daniel Saada était ambassadeur d'Israël en France