L’Arabie saoudite reste le principal acteur de la scène yéménite. Le Yémen demeure un État fragmenté, structuré par des clivages tribaux et politiques profonds. Au nord, les Houthis contrôlent de vastes territoires, tandis qu’au sud opère le Conseil de transition du Sud, héritier des revendications de l’ex-Yémen du Sud, unifié avec le Nord en 1990. Depuis, le Sud dénonce sa marginalisation et conteste l’autorité centrale, aujourd’hui largement affaiblie. L’absence de pouvoir central effectif a transformé le pays en terrain de compétition régionale, où les acteurs extérieurs façonnent les équilibres plus que les institutions locales.Le Conseil présidentiel est perçu comme dépendant de Riyad, sans réelle capacité militaire autonome. Après des années de confrontation directe avec les Houthis, la stratégie saoudienne a évolué vers la désescalade et la stabilisation, motivée par la sécurité de sa frontière sud et par des considérations internes.
Les Émirats arabes unis, en revanche, ont pris un chemin différent. Dès 2019, ils se sont retirés de la coalition militaire active contre les Houthis et ont privilégié une approche indirecte, misant sur des alliances locales. Abou Dhabi a identifié le Conseil de transition du Sud comme levier stratégique, nouant avec lui des liens politiques, sécuritaires et logistiques.
Là où Riyad cherche un Yémen unifié et fonctionnel, même imparfait, Abou Dhabi poursuit des objectifs géopolitiques plus larges. Le Sud du Yémen offre un accès à des points névralgiques : le détroit de Bab el-Mandeb, l’île de Socotra et d’autres positions insulaires clés. Cette présence s’inscrit dans une stratégie émiratie étendue, de la Corne de l’Afrique à la mer Rouge, mêlant sécurité maritime, commerce, ressources et influence régionale.
Le fragile statu quo s’est effondré lorsque les forces du Conseil de transition du Sud ont déplacé des unités vers des zones sensibles riches en gaz et en pétrole. Ce mouvement a été interprété par Riyad comme une violation manifeste des arrangements imposés ces dernières années. Incapable d’imposer son autorité, le gouvernement yéménite a laissé place à une intervention saoudienne directe : frappes d’avertissement, ultimatum, puis retrait des forces sudistes. Dans ce contexte, la frappe contre un convoi émirati marque une rupture qualitative : pour la première fois, l’Arabie saoudite cible de manière assumée un intérêt militaire lié à un partenaire régional.
Sur le plan opérationnel, l’action saoudienne a été précise et délibérée, signalant une volonté de dissuasion claire à l’égard d’Abou Dhabi. Elle traduit un changement de doctrine : Riyad n’entend plus tolérer des initiatives émiraties perçues comme déstabilisatrices de son agenda régional. Cette « montée d’un cran » suggère aussi que l’Arabie saoudite se projette désormais sur plusieurs théâtres simultanément, au Yémen mais aussi au Liban et en Syrie, avec une posture plus affirmée.
Malgré la gravité de l’incident, un conflit ouvert entre Riyad et Abou Dhabi reste improbable. Les deux capitales ont démontré par le passé leur capacité à contenir leurs différends et à privilégier des mécanismes de désescalade. Les signaux actuels pointent vers une gestion de crise diplomatique, avec des émissaires de haut niveau chargés de rétablir un équilibre acceptable. Les Émirats devraient chercher un retour à la normalisation, tandis que l’Arabie saoudite affine encore sa ligne, oscillant entre fermeté stratégique et pragmatisme.
Au-delà du Yémen, cet épisode illustre une reconfiguration plus large des alliances régionales. L’Arabie saoudite intensifie son activisme diplomatique et sécuritaire, quitte à provoquer des frictions avec des partenaires traditionnels. Cette dynamique se reflète aussi sur d’autres dossiers, notamment palestinien, où Riyad multiplie les initiatives politiques et institutionnelles.
En somme, la frappe saoudienne au sud du Yémen n’est pas un accident de parcours, mais le symptôme d’un nouvel équilibre de forces dans le Golfe. Une rivalité feutrée, désormais assumée, entre deux puissances qui cherchent à redéfinir leur rôle dans un Moyen-Orient en pleine recomposition.
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