Culture

33e Festival du Film Juif de Toronto, quand le 7e art invente des futurs

Le 33e Festival du Film Juif de Toronto, qui se tient du 5 au 15 juin 2025, ne célèbre pas seulement un cinéma aux racines anciennes et aux ramifications planétaires : il en est, plus que jamais, l’un des foyers vivants. Par Eden Levi Campana

4 minutes
8 juin 2025

ParGuitel Benishay

33e Festival du Film Juif de Toronto, quand le 7e art invente des futurs
Sasson Gabay

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Le 33e Festival du Film Juif de Toronto, qui se tient du 5 au 15 juin 2025, ne célèbre pas seulement un cinéma aux racines anciennes et aux ramifications planétaires : il en est, plus que jamais, l’un des foyers vivants. Depuis trois décennies, cette manifestation portée par une équipe réduite mais acharnée a su faire bien plus qu’exister dans le paysage saturé des festivals. Elle a forgé une tradition, bâti un socle, imposé un style - celui d’un regard juif pluriel, en mouvement, irréductible à une seule géographie ou à une seule langue. Festival sans paillettes mais non sans éclat, le TJFF demeure l’un des rares lieux où les récits juifs se pensent en cinéma comme autant de lignes de fuite : entre mémoire et exil, rire et déchirement, transmission et dissension.

La scène du Théâtre Leah Posluns, ce 8 juin à 13h, en est la plus belle preuve. C’est là que le public est invité à une rencontre exceptionnelle avec Sasson Gabay. Icône du cinéma israélien, véritable pont entre les cultures, il revient sur cinquante années d’une carrière prodigieuse, entre extraits rares et confidences précieuses. De La Visite de la fanfare, qu’il porta à l’écran comme sur les planches de Broadway, à Shtisel ou Gett, jusqu’aux visages de l’Histoire qu’il incarne sans grimace - Shimon Peres, Anouar el-Sadate, Rudolf Kastner - Gabay traverse le siècle et les frontières, avec la gravité souple d’un acteur nourri à plusieurs langues, plusieurs blessures. Hébreu, arabe, yiddish, anglais ou français, son verbe épouse les contours mouvants de l’identité juive diasporique. Fils d’Irak et homme de théâtre, Gabay incarne à lui seul ce que le TJFF célèbre depuis 33 éditions : la circulation des récits, des corps, des mémoires.

Cette fidélité aux histoires fracturées, ce goût pour les silences lourds et les mots dansés, on les retrouve dans la programmation de cette année encore. L’ouverture avec Once Upon My Mother donne le ton : humour tendre, intimité dévastée, filiation bancale et pourtant indestructible. L’histoire, inspirée de la vie de Roland Perez, est racontée avec un souffle universel - une mère juive d’Algérie, un fils rêvant de liberté, et la comédie comme ultime refuge. Le public rit et pleure dans un même geste. Et l’on comprend que, derrière chaque projection, ce festival œuvre pour quelque chose de plus vaste qu’une simple diffusion : une éthique de la mémoire vivante.

Cette année encore, le TJFF s’aventure sur des terrains où peu osent s’attarder. All I Had Was Nothingness de Guillaume Ribot réanime les fragments inédits de Shoah, rouvre la question de la trace et de ce qui, du visible, échappe au montage. Le documentaire est un coup de tonnerre feutré, et reçoit le David A. Stein Memorial Award pour son approche lumineuse de l’obscur. Il faut aussi citer la rétrospective en hommage au duo yiddish Dzigan et Schumacher, introduite par le Dr Diego Rotman, ou encore la soirée de clôture consacrée à Charles Grodin, entre humour acide et engagement sincère.

Mais au-delà des titres, des hommages et des palmarès, c’est l’élan même du TJFF qui frappe. Ce festival n’est pas un simple révélateur de talents : il est la courroie de transmission du cinéma juif vers le monde, et du monde vers le cinéma juif. Un acteur israélien, resté anonyme, l’a dit un jour à voix basse, en quittant une séance tardive : « Ce que je n’ai pas réussi à montrer à Tel Aviv, ils l’ont compris à Toronto. » Tout est là. Une lucidité sans slogans, un amour du détail, une hospitalité faite de respect et de passion pour l’œuvre. À Toronto, le cinéma juif ne se fige pas dans le patrimoine : il invente des futurs.

Eden Levi Campana