Culture

Les Aventures Extraordinaires de Moïse Levy SAISON 2 - Episode 11 - L'orpheline

Kibboutz Shtetl Gan Eden, Israël Recruté par le Mossad, Moïse Levy n’est jamais retourné sur le terrain depuis 26 mois. Il a repris le cours tranquille de sa vie au kibboutz, une existence rythmée par les lois de la terre et celle des saisons, loin du tumulte du monde.

7 minutes
15 août 2025

ParEden Levi Campana

Les Aventures Extraordinaires de Moïse Levy SAISON 2 - Episode 11 - L'orpheline

Désolé, votre navigateur ne supporte pas la synthèse vocale.

Pour lire l'épisode précédent, cliquer ici.

Téhéran, Iran, complexe des Affaires stratégiques – Quartier Chizar, bureau de Bahram Al-Nassiri

De hautes baies vitrées laissaient entrer une lumière tamisée par des feuillages trop bien taillés. Le murmure d’un petit bassin artificiel s’infiltrait dans le silence, comme pour donner l’illusion d’un monde en paix. Bahram Al-Nassiri, costume anthracite, pianotait d’un doigt lent sur son ordinateur portable, les lunettes glissées au bout du nez. Face à lui, sur la table basse en marbre, une photo en noir et blanc, légèrement froissée : Yaël, le regard fixe, captée par une caméra de sécurité au moment de son exfiltration.

Une carte d’embarquement ouverte à l’écran : Destination – Bastia, Corse. Vol discret. Nom d’emprunt. Mais la trace était là.

La porte s’ouvrit sans frapper. Josef Grese entra. Costume beige comme le désert. Une odeur de menthe séchée sur lui. « Où en êtes-vous ? » demanda-t-il d’une voix calme, presque douce.

Al-Nassiri ne détourna pas les yeux de l’écran. « Elle a pris un billet pour la Corse. »

Il referma lentement l’ordinateur et posa ses lunettes sur la table. Grese resta immobile. Son regard descendit vers la photo.

« Nous avons plus d’informations sur elle ? »

« Profil verrouillé. Elle a été recrutée très jeune par le Mossad. Après la mort de ses parents. 1998. Un kibboutz. Près de la frontière du Liban. » 

Un silence. Puis le froissement d’une veste. Grese s’approcha en souriant. « Un kibboutz… en 1998 ? »

Il se pencha. Al-Nassiri ouvrit un dossier. Une carte s’afficha. Un cercle rouge. Kibboutz Diamantkring en Haute Galilée, nord Israël. Une date : 9 mai 1998.

 

Grese posa une main sur le dossier, regarda la photo. « Salut vous. Le monde est petit. » murmura-t-il. Ses yeux parcoururent les lignes. Puis il s’arrêta. Son regard s’assombrit. Il se redressa lentement. Un sourire carnassier s’étira sur ses lèvres : « La pauvre orpheline… »

Il ferma les yeux une seconde. Puis, presque dans un murmure : « Vous aurez son identité dans l’heure. C’est moi qui ai tué ses parents. » 

Un rire bref, cassant, jaillit de lui. Court. Tranchant. Al-Nassiri ne réagit pas. Il se contenta d’attendre. Grese se tourna vers la fenêtre. Il y avait dans son port une élégance cruelle. Une droiture d’assassin. « Je sais ce qu’elle va faire en Corse. C’est inscrit dans sa tragédie. »

Il se retourna. « Allez en Corse. Vous-même. Personne d’autre. »

Al-Nassiri hésita. « Vous êtes sûr ? »

« Oui. C’est personnel maintenant. C’est sadique même. Je veux voir son visage au moment où elle comprendra. Vous la ramenez vivante. »

Un silence glacé s’installa. Puis Grese sortit une boîte de cigares. L’enflamma. Et dans la fumée bleutée, il souffla : « La mémoire est un poison lent. » 

 

Trois jours plus tard, dans des tunnels, quelque part en Corse

La lumière rouge d’urgence palpitait comme un cœur trop lent. Une odeur de poudre, de métal humide. Moïse, adossé contre un pilier de béton, respirait par vagues courtes. Sa chemise était poisseuse. La plaie à son épaule n’était pas profonde, mais chaque pulsation cognait dans ses tempes. Yaël faisait les cent pas, inspectant chaque centimètre de mur, chaque ligne de vis. Elle ne parlait pas. Son silence était tranchant. Un fil tendu. Son regard glissa une fois de plus vers le plafond, là où couraient les conduits d’aération.

Elle confirma : « Trop étroits pour toi » dit-elle sans se retourner.

Moïse hocha la tête. Une grimace contenue. Elle avait un plan. Elle allait passer par-dessus. Par le ventre du monstre.

« Et si on se perd en chemin ? » demanda-t-il, la voix basse.

Yaël s’arrêta. Puis posa brièvement une main sur son bras. « On ne se perdra pas. »

Sans autre mot, elle monta sur une caisse de munitions renversée, ouvrit le conduit, et s’y glissa. Son souffle se ralentit, chaque mouvement devenu calcul mathématique. Elle avançait en rampant. Son coude droit, millimétré. Son genou gauche, étiré. Le métal grinçait, chaque respiration était un cri qu’il fallait étouffer. Puis… le vide. Une grille. Une ouverture. Elle s’immobilisa. En contrebas, deux hommes, fusils au poing. Un drapeau vert et noir à l’épaule. Emblème d’une unité qui n’existait pas officiellement. Ils parlaient bas. Ils pensaient avoir gagné. Ils pensaient que les vivants se taisaient. Yaël arma son Glock. Lentement. Sans bruit. Elle compta jusqu’à trois. Elle tira.

 

Dans le bunker. Le claquement des balles résonna comme un orage dans une grotte. Moïse sursauta. C’était le moment. Il se leva, chaque muscle protestant. Il tenait dans sa main gauche un petit revolver, le doigt mal posé sur la gâchette. Son autre main pressait la plaie.

 

Il sortit en boitillant, se plaquant contre le mur. Les terroristes hurlaient, tirant à l’aveugle. Ils ne comprenaient pas. Ils pensaient qu’un commando les encerclait. Moïse leva le bras. Un tir maladroit. Une étincelle. Un cri. Il avança. Pas à pas. Il n’était pas un soldat. Mais il était vivant. Et il avançait.

Les hommes de Bahram paniquaient. Une main invisible semblait les frapper de toutes parts. Ils coururent. Deux par deux. Puis seuls. Derrière le bunker, un cri. Un piège. Trop tard. Une explosion sourde secoua la terre. Le sol vibra comme une corde tranchée. Une détonation intérieure. Un souffle. Un tremblement. Le bunker s’effondra. Béton, flammes, poussière. Moïse tomba à genoux. Il n’entendait plus rien. Juste un sifflement. Un monde flou. Et puis… une silhouette. Yaël, couverte de suie, le bras en sang, sortait des bois. Elle avait contourné le feu, ses cheveux collés au visage, les yeux noirs.

Elle s’agenouilla à ses côtés. « Ze nigmar », dit-elle simplement. C’est fini.

Moïse rit. Un rire vide. Comme quelqu’un qui revient de loin. 

« Oy vaï ! J’ai eu l’air d’un héros ? »

Yaël posa la main sur sa joue. « Tu avais l’air d’un homme qui veut vivre. »

Elle se leva. « Viens. Je ne sais pas s’il y en a d’autres dehors. »

Route de montagne, Haute-Corse, nuit noire.

Le moteur hurlait dans les lacets. La Mercedes noire de Bahram Al-Nassiri avalait les virages à une vitesse suicidaire. Les phares découpaient la roche et les arbres comme des scalpels, jetant des ombres déformées sur les murs de pierre. Il restait à peine quinze kilomètres avant la piste clandestine. Son jet privé - un Gulfstream IV modifié - l’attendait, turbines déjà chaudes, silencieuses comme un jugement.

Derrière lui, rien. La nuit, pleine. Le vide. Un téléphone vibra. Un appel de Dublin, ligne diplomatique sécurisée. Il hésita. À cet instant, une explosion, lointaine mais nette, fit trembler les vitres de la voiture. Une vibration souterraine, comme si la montagne avait éternué. Bahram freina brutalement. La voiture dérapa, s’immobilisa en travers du bitume. Son cœur battait comme un tambour. Il saisit son téléphone. Appela Khaled. Une tonalité. Puis : « C’était vous ça ? » rugit-il.

« Non. » Puis plus rien et enfin, un chaos de cris. Des tirs. Des voix qui s’étranglent.

« Ils… ils ont fait sauter une charge de l’intérieur ! Tous les hommes sont morts ! »

Bahram questionne : « Et toi ? »

« J’étais dehors. » 

 

Il raccrocha. Jeta le téléphone sur le siège passager. Un cri muet lui monta à la gorge. Il jura en farsi. Puis il redémarra. Pied au plancher. Le jet était là, comme une bête à l’affût. Nez levé vers le ciel, lumières éteintes, coque mate. Bahram sauta hors de la voiture, sa veste claquant au vent. Il grimpa les marches sans un mot, sans un regard en arrière. L’agent de bord referma la porte d’un geste automatique. Dans la cabine, il s’assit. Défit sa cravate. Son visage restait impassible. L’appareil roula, puis s’élança. Et dans le ciel noir de Corse, une étoile métallique disparut.

2025©Eden-levi-Campana - Tous droits réservés : eden-hatikvah.com

Boaron blue