Le texte, qui devrait prochainement être soumis à la Knesset pour une première lecture, placerait les tribunaux religieux au-dessus de la ligne de séparation historique entre autorité civile et autorité religieuse — un principe fondateur de l’État d’Israël.
Selon l’organisation ITIM – Jewish Life Advocacy Center, dirigée par le rabbin Seth Farber, ce projet risquerait de créer une nouvelle catégorie de “Juifs conditionnels” : des citoyens israéliens dont la judéité pourrait être remise en cause à tout moment, sur simple initiative d’un rabbin ou d’un tribunal religieux : “C’est une porte ouverte à l’inquisition, des gens qui se considèrent juifs depuis toujours se verraient sommés de le prouver de nouveau.”
Actuellement, seules les personnes qui souhaitent se marier par le biais du Rabbinat ou clarifier volontairement leur statut peuvent faire l’objet d’un tel examen. La réforme inverserait cette logique, permettant à tout rabbin habilité à enregistrer des mariages ou à tout fonctionnaire des tribunaux rabbiniques de lancer une enquête de leur propre initiative.
Les défenseurs du projet y voient un moyen d’assurer la “pureté halakhique” du statut personnel et d’éviter des mariages invalides selon la loi religieuse. Mais ses opposants mettent en garde contre un outil potentiel d’intimidation ou de vengeance qui pourrait détruire des réputations, perturber des mariages et semer la peur.
Les procédures de vérification sont souvent longues et humiliantes, notamment pour les immigrés issus de l’ex-URSS, dont les documents familiaux sont incomplets. Bien que 95 % des enquêtes se concluent positivement, les démarches sont décrites comme traumatisantes.
Le projet de loi rétablirait aussi une pratique abolie en 2021 par la Cour suprême : celle d’interroger les membres de la famille d’une personne sous examen, les plaçant de fait sous soupçon. La Cour avait jugé la méthode illégale et contraire au droit à la vie privée. Le nouveau texte redonnerait ce pouvoir aux juges rabbiniques “afin d’éviter les erreurs de mariage mixte”.
Pour ITIM, il s’agit d’une remise en cause du principe démocratique fondamental selon lequel “l’État n’a pas le droit d’imposer une enquête religieuse à ses citoyens”.
Dernier point controversé : les décisions négatives du Rabbinat -déclarant qu’une personne n’est pas juive- resteraient “internes”, mais les décisions positives seraient partagées avec les autorités civiles.
Les juristes redoutent qu’à terme, cette asymétrie influence le registre civil et réduise la définition officielle de la judéité, y compris pour la loi du retour.
“Même si le gouvernement promet de limiter le champ d’application, une fois la loi votée, la frontière entre identité religieuse et identité civile s’effacera,” prévient Weigler.
Pour ses détracteurs, cette initiative traduit une volonté du Rabbinat de centraliser le contrôle sur l’identité juive — en Israël et, indirectement, sur la diaspora : “C’est contraire à l’esprit même de l’État d’Israël, conçu comme un refuge pour tous les Juifs, et contraire à la halakha elle-même,” souligne le rabbin Farber.