Israël

Analyse exclusive: ce que révèlent les données sur les soldats tombés de Tsahal depuis le 7 octobre

Une analyse inédite des 608 tombés étudiés (sur un total de 922 soldats israéliens tombés depuis le 7 octobre 2023, selon Tsahal) bouscule un slogan tenace : oui, les localités sionistes-religieuses et le monde agro-communautaire sont très présents au combat ; non, « la majorité » ne vient pas des périphéries pauvres. Décryptage chiffré, sources à l’appui.

3 minutes
9 novembre 2025

ParDelphine Miller

Analyse exclusive: ce que révèlent les données sur les soldats tombés de Tsahal depuis le 7 octobre
Porte parole de Tsahal

Désolé, votre navigateur ne supporte pas la synthèse vocale.

Depuis le 7 octobre 2023, le débat public martèle que « la plupart des soldats tombés viennent de localités religieuses et périphériques ». Une étude fouillée signée par le Dr Roi Naon et le Pr Uzi Ben Shalom, chercheurs à l’Université d’Ariel, apporte des chiffres, des cartes et des comparaisons pour tester cette affirmation. Réalisée jusqu’en août 2024, cette étude repose sur 608 cas de soldats tombés, classés selon le type de localité (ville, kibboutz, moshav, localité communautaire), la coloration religieuse (laïque, sioniste-religieuse, haredi, druze, bédouine, arabe), le district (Sud, Centre, Nord, Haïfa, Jérusalem, Tel-Aviv) et le niveau socio-économique officiel du Bureau central des statistiques (CBS), en dix clusters (1 = plus bas, 10 = plus élevé).

L’analyse distingue trois séquences : 7–8 octobre (choc initial), 9–25 octobre (reconfiguration) et 26 octobre–1er août (manœuvres prolongées).

Premier enseignement : le “tout périphérie” ne tient pas. En volume, 66 % des tombés viennent des clusters socio-éco 6–10 (moyen+ à élevé) et 23,4 % du cluster 5 ; les clusters 1–4 ne pèsent que 10,6 %. Rapporté à la population de chaque cluster, les taux relatifs les plus élevés se situent en haut de l’échelle (9–10) et dans 6–8, les plus faibles dans 1–4. Autrement dit : proportionnellement à leur poids démographique, les localités plus favorisées paient elles aussi un lourd tribut — bien au-delà des clichés.
L’étude conclut ainsi qu’il existe une certaine équité du fardeau militaire entre les couches socio-économiques, contrairement à ce que laisse entendre le discours dominant.

Deuxième enseignement : la propension combattante compte. Les localités sionistes-religieuses contribuent fortement aux tombés, tout comme, en taux, les kibboutzim et moshavim — surtout dans la troisième phase, lorsque les unités de combat et spéciales sont intensément engagées. Les grandes villes et conseils locaux apparaissent plus proches de leur poids démographique. À l’inverse, les localités arabes et haredi — faible obligation de service ou exemptions structurelles — sont très peu présentes dans les chiffres.

Troisième enseignement : l’effet géographique reflète l’effort opérationnel. En nombre, le Sud et le Centre concentrent de nombreuses pertes (logique des combats et des déploiements). Mais en taux par population, Jérusalem ressort au plus haut (~0,0166), devant Tel-Aviv/Centre/Sud ; le Nord est plus bas (~0,0038). Ces écarts recoupent la composition des districts (part d’arabes et de haredim) autant que la cartographie de la guerre.

Ces constats, étayés par les données du CBS 2021 et par le croisement des localités d’origine, ne valident donc pas la formule selon laquelle « la majorité » des tombés viendraient des seules périphéries religieuses. Ils confirment en revanche une réalité connue des familles de soldats : certaines communautés portent une propension élevée au service combattant et aux unités d’élite — en particulier le monde sioniste-religieux et le tissu agro-communautaire — tandis que d’autres, pour des raisons juridiques, culturelles ou statutaires, sont structurellement sous-représentées.

Les auteurs soulignent enfin les limites des données publiques : manque d’information individuelle (spécialité, unité, degré de religiosité, exposition précise au risque), sous-couverture probable des blessés, hétérogénéité des listes. Ils recommandent d’ouvrir les données (blessés, fonctions, unités, lieux) afin d’éclairer le débat public et de mesurer, au-delà des slogans, l’équité réelle de la “prise de risque” militaire dans la société israélienne.

ActuJ
Tags