Tribune

"Le courage de perdre ses enfants" – réflexion sur les propos du chef d'état-major français

Un regard israélien sur la déclaration largement commentée du chef d'état-major français.

4 minutes
25 novembre 2025

ParDaniel Saada

"Le courage de perdre ses enfants" – réflexion sur les propos du chef d'état-major français
Photo: IStock

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J'ai lu avec beaucoup d'attention les propos tenus récemment par le Chef d'état-major des armées français qui ont soulevé en France une polémique.

J'ai suivi cela avec beaucoup d'intérêt je l'avoue, car comment ne pas comprendre pour nous autres Israéliens le sens profond de son message.

L'écho de ces déclarations résonne très fort pour chacun d'entre nous. Y-a-t 'il un parent israélien qui, à la naissance d'un nouvel enfant et ce depuis des générations déjà, ne souhaite-t-il pas pour lui qu'une seule chose : qu'il n'ait plus à faire l'armée, que la paix enfin soit instaurée avant que cet enfant n'atteigne ses 18 ans.

C'est la prière individuelle et collective de tous les Israéliens, le rêve ardent qui a remplacé celui millénaire du retour à Sion. Songer, aspirer, prétendre, fantasmer à cesser de devoir sacrifier tant et tant de nos enfants.

En d'autres termes et pour reprendre ceux qu'a prononcés le général Fabien Mandon il faut que la France, comme nous Israéliens l'avons fait et le faisons depuis la première minute de notre existence, soit prête "à perdre ses enfants".

Ce message n'est pas alarmiste ni défaitiste, bien au contraire : il touche je crois au cœur même du destin de chaque nation.

Car il faut le rappeler : les armées peuvent remporter des batailles, s'imposer dans des conflits ; mais seules les nations gagnent les guerres. Seules les nations qui ont le courage d'envoyer leurs enfants se battre et risquer leurs vies pour défendre leurs valeurs, pour protéger les vertus et les principes qui font la grandeur d'une nation et sa raison d'être. C'est la seule jauge de l'héroïsme et du courage.

Car il en faut du courage pour un parent d'envoyer son enfant sur le champ de bataille. Il en faut du courage pour un chef d'Etat d'envoyer ses soldats à la guerre.

C'est ce courage et cette détermination que nous avons en abondance en Israël, pour risquer la vie de nos enfants pour nous permettre de continuer "d'être un peuple libre sur la terre de nos ancêtres, la terre de Sion et de Jérusalem".

C'est ce courage et cette détermination qui semble donc cruellement manquer à la France, je reprends ici à nouveau la déclaration du Chef d'état-major : "ce qui nous manque, c’est la force d’âme pour accepter de nous faire mal pour défendre la Nation. (…) Il faut accepter de perdre nos enfants, de souffrir économiquement. Si nous ne sommes pas prêts à cela, alors nous sommes en risque".

Tirer la sonnette d'alarme, lancer l'alerte, appeler à la mobilisation, ouvrir les yeux et stimuler les esprits à cette grandeur d'âme que nous venons d'évoquer est une bonne chose.

C'est incontestablement aussi une grande preuve de force, d'audace et de courage de la part du Général Mandon que d'avoir osé appréhender avec une telle transparence cette question essentielle au devenir de la France et de l'Europe.

Cependant, comment ne pas y voir également une grande faiblesse résidant dans une erreur fondamentale : celle de la désignation de l'ennemi.

Pour le chef d'état-major français, l'ennemi, l'adversaire immédiat, celui contre lequel il faudra accepter de perdre nos enfants, c'est la Russie.

Je le cite à nouveau : "Sur le continent européen, la Russie ne s’arrêtera pas à l’Ukraine. Elle prépare une confrontation pour 2030 avec nos pays et les membres de l’Otan".

Alors oui, l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022 a ouvert sur le continent européen une scène de conflit et de déstabilisation. Oui la Russie se dessine chaque jour un peu plus l'adversaire de l'Occident tout comme l'était l'URSS à l'époque de la guerre froide.

Mais comment ne pas voir l'autre danger qui menace l'Occident, l'Europe et tout particulièrement la France je parle bien entendu de la menace islamiste et de la violence du terrorisme qui s'en revendique.

Une récente étude publiée par la Fondation pour l'innovation politique s'est attachée à mettre en relief la violence des attentats islamistes sur les 40 dernières années. Un peu plus de 35 000 actes terroristes islamistes ont été perpétrés aux quatre coins du globe, faisant au total plus de 200 000 morts.

À l’échelle européenne, la France est le pays ayant compté le plus de morts, avec 394 causés par près de 71 attentats islamistes. C’est 100 morts de plus que l’Espagne, et trois fois plus que le Royaume-Uni.

L'islamisme tue en France. Il menace les fondements de la république française. Il alimente les pires dérives de la société française relayé et conforté par des partis politiques mus par des visées clientélistes et électoralistes. 

L'islamisme – c'est incontestablement le danger véritable qui menace la France ; le Général Mandon aurait dû avoir également le courage de le désigner. Il risque de saper la paix civile en France bien avant que la menace russe ne soit mise à exécution.

 

Chronique de Daniel Saada pour Radio J en date du 23/11/2025

Daniel Saada était ambassadeur d'Israël en France