Israël

Qui se cache derrière les noms des opérations militaires de Tsahal ?

Comme pour un bon film, le titre d’une opération militaire n’est jamais anodin. Il doit marquer les esprits, transmettre un message, inspirer les troupes, rassurer les civils… et parfois même intimider l’ennemi.

5 minutes
27 octobre 2025

ParSarah Dray

Qui se cache derrière les noms des opérations militaires de Tsahal ?

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Article paru dans AJ Mag Octobre 2025

Comme pour un bon film, le titre d’une opération militaire n’est jamais anodin. Il doit marquer les esprits, transmettre un message, inspirer les troupes, rassurer les civils… et parfois même intimider l’ennemi. En Israël, ces noms sont souvent de véritables concentrés de symbolique. Certains puisent dans la Bible, d’autres dans la nature ou l’histoire juive ; certains sont grandiloquents, d’autres mystérieux… Et dans de rares cas, ils changent en cours de route. Il faut dire qu’avec la fréquence des conflits, il a fallu redoubler de créativité.

Depuis la création de l’État, l’armée baptise ses campagnes avec un soin particulier. Le ministère de la Défense, en coordination avec l’état-major, définit des critères stricts : deux mots hébraïques, une connotation forte mais pas trop explicite, et une cohérence avec le récit national. Alors que certains noms émergent de facto– comme « Guerre du Liban II » ou la “Guerre de Kipour” – d’autres naissent d’un travail de fond mêlant politique, psychologie et stratégie de communication.

Mais d’où viennent ces noms ? Une étude sur 81 opérations depuis 1948 jusqu’à « Plomb durci » a identifié quatre sources principales : noms bibliques, noms de lieux en Israël, plantes et animaux. Ces thèmes se répartissent en deux grands univers : nature et Tanakh (Bible). Sur 239 noms d’opérations et d’armes (char Merkava, fusils Galil ou Tavor, avion Lavi…), un tiers vient du monde naturel, un tiers du registre biblique, et le reste combine les deux – comme « Amoud Anan ».

État juif oblige, de nombreuses opérations s’inspirent de versets bibliques. En 2012, « Amoud Anan » – Colonne de nuée – évoque la présence divine qui guida les Hébreux dans le désert (Exode 13:21). En 2021, « Shomer Ha’homot » – Gardien des murailles – cite Isaïe 62:6, liant ainsi défense militaire et mission spirituelle. En juin 2025, face aux infrastructures nucléaires iraniennes, Tsahal lance « Am Kelavi » – Eveil du Lion – tiré de Nombres 23:24. Ce nom devient rapidement un mot d’ordre national. Films pour enfants, chansons et dessins circulent massivement. « Dans l’abri, ma fille de 5 ans se calmait en regardant la vidéo de Lavi le lion qu’on avait reçue sur le groupe du gan », confie Juliette, habitante de Jérusalem. Le nom devient un symbole, une source de force pour la population.

D’autres noms frappent par leur puissance visuelle : en 2008, « Oferet Yetsouka » – Plomb durci – évoque une frappe lourde et implacable, mais fait aussi allusion à Hanouka. En 2014, « Tsouk Eitan » – Rocher inébranlable – suggère la stabilité morale d’Israël face à l’épreuve. Ces noms ne sont pas que des étiquettes militaires : ils deviennent des repères temporels. En Israël, on se souvient d’un événement familial « l’anniversaire de ma grand-mère juste avant Tsouk Eitan » ou « le mariage d’un tel deux jours après Oferet Yetsouka », comme si la vie oscillait constamment entre deux conflits.

Parfois, les noms évoluent. En 2014, l’opération de recherche des adolescents enlevés s’appelait « Shuvu Achim » – Revenez, frères. Après la découverte de leur assassinat, le nom devient « Tsouk Eitan ». Certains noms testés en interne sont rejetés : une opération autour du Mont du Temple fut un temps appelée « Beit Hamikdash », mais abandonnée en raison de sa charge explosive… au sens propre comme au figuré.

Et parfois, un nom entre dans l’histoire. Le cas le plus célèbre reste celui d’Entebbe : en juillet 1976, l’opération de libération des otages à l’aéroport ougandais était initialement baptisée « Thunderbolt » – Boule de Tonnerre. Mais après la mort de son commandant, Yonatan Netanyahou, frère de l’actuel Premier ministre, elle sera rebaptisée « Mivtsa Yonatan » – Opération Yonatan. C’était alors un cas unique : le nom d’un soldat donné à une mission, devenu symbole national, gravé dans la mémoire collective.

Il faudra attendre juin 2024 pour qu’un autre nom rejoigne cette lignée. L’opération « Graines d’été », menée pour libérer quatre otages retenus à Gaza, est renommée « Opération Arnon » après la mort de l’officier Arnon Zamora, grièvement blessé lors du raid. Son courage et son sacrifice conduisent les forces israéliennes à donner son nom à la mission, perpétuant ainsi sa mémoire.

Le nom n’est donc pas neutre : il influence la perception de l’opération dans l’opinion publique. Un nom porteur d’une vision claire comme « Shalom HaGalil » (Paix en Galilée) rassure. D’autres, plus flous – « Kéchet BaAnan » (Arc-en-ciel), « Horef Ham » (Hiver chaud), « Anavé Zaam » (Raisins de la colère) – laissent volontairement planer le doute. Est-ce pour laisser une marge diplomatique ? Ou pour ne pas trop s’engager ? À moins que, comme le veut la légende urbaine, ce soit un mystérieux ordinateur qui improvise les noms à chaque fois…

En réalité, à travers le nom de ses opérations, Israël ne désigne pas seulement une manœuvre militaire : il raconte une histoire. Chaque nom inscrit l’instant présent dans une trame ancienne, entre mémoire biblique, identité nationale et enjeux contemporains. C’est une manière, pour ce petit État souvent en guerre, de puiser sens et force dans le récit millénaire d’un peuple en marche.

Article paru dans AJ Mag Octobre 2025

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