Le sondage de l’Ifop sur les musulmans de France publié la semaine dernière est à l'origine d'une véritable tempête politique et judiciaire. Des élus de La France insoumise (LFI) ont accusé l’étude d’alimenter un discours islamophobe, ouvrant la voie à une campagne d’attaques en ligne. Une série de plaintes croisées impliquant élus, journalistes et organisations musulmanes ont par ailleurs été déposées.
L’Ifop a annoncé porter plainte contre les députés LFI Paul Vannier (Val-d’Oise) et Bastien Lachaud (Seine-Saint-Denis). Le jour même de la publication, Paul Vannier avait dénoncé sur X une enquête “truquée” et pilotée par une “puissance étrangère”. Bastien Lachaud avait parlé d’une étude réalisée “n’importe comment” pour servir “l’idéologie de l’extrême droite”.
Sur BFM TV, le directeur général de l’Ifop, Frédéric Dabi, a vivement réagi, affirmant que ces accusations avaient “mis une cible dans le dos” de ses équipes. Il a rappelé que 80 % des questions du sondage avaient déjà été posées dans des enquêtes antérieures, notamment en 1989 à la demande du Monde, alors dirigé par Edwy Plenel. François Kraus, directeur du pôle politique de l’institut, a souligné que ce même échantillon avait récemment servi à une étude sur la musulmanophobie commandée par la Grande Mosquée de Paris, très relayée par des médias proches de LFI.
Avant l’Ifop, deux journalistes pigistes d’Écran de veille, Nora Bussigny et Emmanuel Razavi, avaient eux aussi décidé de porter plainte pour mise en danger de la vie d’autrui contre Paul Vannier. Le député avait diffusé leurs noms sur X, déclenchant une vague de messages de haine et de menaces de mort. En déplacement en Suisse, Nora Bussigny a été placée provisoirement sous protection policière. Emmanuel Razavi évoque un risque comparable à celui qui avait précédé l’assassinat de Samuel Paty.
Les deux journalistes avaient été auditionnés en octobre par l’Assemblée nationale dans le cadre d’une enquête sur les influences islamistes. Ils y avaient évoqué des liens entre certains élus LFI et des personnalités proches de mouvances fréristes ou salafistes, ainsi que des rencontres controversées, notamment au Caire ou à Paris.
Face à l’escalade des menaces, une quarantaine de députés centristes ont saisi le procureur de Paris sur le fondement de l’article 40 du Code pénal. “Cibler des journalistes, c’est viser la démocratie”, a rappelé la députée Caroline Yadan, évoquant la mémoire encore vive de l’attentat contre Charlie Hebdo.
La revue Écran de veille a également déposé plainte, accusant Paul Vannier d’avoir mis en danger la rédaction en publiant une capture d’écran où figurait son adresse. Depuis le 20 novembre, les locaux sont fermés et placés sous surveillance.
Les organisations musulmanes entrent dans la bataille
De leur côté, quatre conseils départementaux du culte musulman (Loiret, Aube, Bouches-du-Rhône, Seine-et-Marne) ont annoncé une plainte contre X. Ils estiment que le sondage contrevient à la loi encadrant la diffusion des enquêtes d’opinion, en s’appuyant sur des “questions orientées” et en valorisant des “résultats minoritaires” à des fins polémiques.
LFI soutient ces critiques, reprochant également à Écran de veille un passé de partenariat avec une société considérée comme proche des Émirats arabes unis. Le directeur de la publication, Atmane Tazaghart, assure que cette collaboration, transparente et désormais dissoute, fait indûment l’objet de soupçons récurrents.
Jean-Luc Mélenchon, de son côté, a dénoncé mardi “le sondeur OPIF”, accusant les enquêtes d’opinion de servir un agenda électoral favorable à “Bardella face à Le Pen”.